Nafi Ngom Keïta n’est plus présidente de l'Office national de Lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC). Son mandat expiré, elle a été remplacée hier par la magistrate Seynabou Ndiaye Diakhaté par décret présidentiel n°2016-1004.
Pas de prolongation ou de renouvellement de mandat pour Nafi Ngom Keïta à la tête de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) depuis le 25 juillet 2013. Son mandat de trois ans a-t-il pris fin ce lundi qu’elle a été remplacée hier-même par la magistrate Seynabou Ndiaye Diakhaté. Son départ ne surprend guère au regard de ses relations qui étaient heurtées avec l’Exécutif et son chef en premier lieu. Durant son mandat de trois ans, l’ancienne responsable de l’Inspection générale d’Etat (IGE) a subi différents quolibets, attaques et critiques de la part de hauts responsables du pouvoir au premier rang desquels le Chef de l’Etat qui l’a nommée. Le président Macky Sall n’avait pas apprécié la sortie de Nafi Ngom Keïta quand celle-ci dénonçait au cours d’une rencontre le retard dans le démarrage de l’OFNAC. Créé le 24 décembre 2012, la présidente et le vice-président n’ont été nommés que sept mois après. Il a fallu quatre autres mois pour que les autres membres soient nommés, soit le 31 décembre 2013. Et ce n’est que le 27 mars 2014 que Nafi Ngom et son équipe ont prêté serment. Pire, ils ont dû attendre avant de disposer d’un budget de fonctionnement.
Ce qui avait motivé la sortie de l'ex-Vérificatrice générale qui, lors d’un panel contre la corruption organisée par le Forum civil, avait déploré que l’OFNAC, depuis sa création en décembre 2012, ne disposât que de deux membres. Courroucé par cette ‘’déclaration publique’’, le chef de l’Etat avait jugé nécessaire de taper du poing sur la table contre Nafi Ngom Keïta. ‘’L’OFNAC est un organe de l’Etat. Ses problèmes doivent être posés au sein de l’Etat. S’il y a un problème de budget, s’il y a un problème de nomination, je ne dois pas l’apprendre par la presse ou par la société civile. J’avais décidé d’ici la fin de l’année que je ne bougerais pas, afin que tout le monde comprenne que la meilleure démarche, c’est par le dialogue interne d’abord’’, s’était emporté Macky Sall, lors d’une rencontre tenue le 16 décembre 2013. Il avait ajouté sur un ton ferme : ‘’Ce n’est pas en le posant dehors, en menant la pression qu’on fera bouger les choses. Je ne fonctionne pas comme ça. Et l’Ofnac, ça a été ma décision personnelle. Ses contraintes seront levées mais il fallait que tout le monde le comprenne ainsi.’’
Levée de boucliers des ministres et autres Dg
A peine cette tempête passée, la présidente de l’Ofnac d’alors subissait la levée de boucliers de ministres et autres directeurs de sociétés à cause de la déclaration de patrimoine. La pilule avait du mal à passer pour beaucoup d’assujettis. ‘’Un ministre m'a réveillée à minuit et demi pour me dire qu’il ne peut pas faire sa déclaration, alors qu’un autre a appelé mes collaborateurs pour avancer des propos qui ne l’honorent pas‘’, avait déclaré l’ex-patronne de la lutte contre la corruption sur les ondes de la Rfm en décembre 2014.
Il s’y ajoute que son style n’était pas apprécié par certains de ses collaborateurs ainsi que des personnalités devant se soumettre à cet exercice. D’ailleurs, dans un entretien accordé à votre canard EnQuête, Luc Sarr, conseiller politique du chef de l’Etat était même allé jusqu’à dire que celui-ci pouvait même dissoudre l’Ofnac. Son argument était que ‘’c’est une institution qui doit travailler dans la sérénité et le calme avec moins de communication’’. Mais la réponse de Mme Keïta ne s’était pas fait attendre. ‘’Je suis légalement autorisée à communiquer conformément à la Déclaration de Djakarta qui consacre la déclaration de patrimoine. Je dois communiquer pour sensibiliser sur les prérogatives qui sont les nôtres mais aussi et surtout pour éviter la désinformation qu’on peut véhiculer sur l’institution qu’est l’Ofnac’’, avait-elle déclaré en marge d’un atelier de planification des actions stratégiques de l’institution qu’elle dirige. Toujours est-il que malgré les ultimatums et l’invite du Président Sall demandant aux membres de son gouvernement de faire leur déclaration de patrimoine, conformément à un engagement qu’il avait pris devant les citoyens, jusqu’à présent, des autorités et fonctionnaires traînent les pieds. Puisqu’ils ne sont pas encore présentés devant les services de Nafi Ngom Keïta. Selon un rapport rendu public en mai dernier, l’organe de lutte contre la corruption n’a reçu que 385 déclarations de patrimoine sur une base de données estimée à 742 assujettis, soit 51,89%.
Me Oumar Youm : ‘’L'Ofnac n'a pas respecté son obligation de réserve’’
Quant aux attaques, elles ont repris de plus. D’ailleurs, il a fallu que l’Ofnac publie ses rapports 2014 et 2015 pour que les responsables de l’APR se livrent à des tirs groupés contre Nafi Ngom Keïta et l’institution qu’elle dirige, sans qu’un soutien public du Président à Mme Keïta ne s’en suive. Me Oumar Youm, Directeur de cabinet du président de la République d’appuyer sur la gâchette : ‘’L'Ofnac n'a pas respecté son obligation de réserve.’’ Cheikh Oumar Anne accuse la structure ‘’d’acharnement contre le Coud et son directeur’’. Doudou Guèye, le directeur de Poste Finances, y voit quant à lui un organe ‘’mû par le besoin d’écrire coûte que coûte quelque chose’’. Une fois de plus, l’ex-sage-femme inscrite à l’Ecole nationale d’administration et de la magistrature (Enam) avec à la clé un brevet, n’y était pas allé du dos de la cuillère pour répondre à ses contempteurs. Le Directeur de cabinet du président de la République également en avait pris pour son grade. ‘’Oumar Youm a tort, il aurait dû m’appeler. Contrairement à ses allégations sur mon devoir de réserve, c’est la loi qui m’oblige à communiquer. La loi contraint l’Ofnac à publier et à diffuser les rapports. Il faut que les gens comprennent que l’Ofnac, c’est du sérieux, ce sont 12 hauts cadres des plus talentueux et expérimentés de notre administration qui y sont. Il faut que les gens arrêtent’’, avait asséné celle qui, en en 2013, a obtenu un Master en administration publique (MPA) à John Jay College of Criminal Justice de la Cité universitaire de New York (CUNY) aux Etats-Unis.
Cependant, le fait est que malgré les harcèlements, attaques et autres dénigrements, la titulaire d’un master en finances et gestion publique et d’un diplôme de la Fondation canadienne pour la vérification intégrée a toujours réaffirmé sa ferme volonté de traquer, jusqu’au bout des ongles, les fossoyeurs de la République. La preuve, elle est allée jusqu’à déclarer recevable une plainte contre Aliou Sall, le frère du chef de l’Etat. D’ailleurs au moment où ses détracteurs jetaient l’opprobre sur elle, des experts ont toujours salué ‘’la probité et l’intégrité d’une femme qui a accepté d’assumer une lourde charge, là où d’autres l’ont refusée’’.
PROFIL DE SEYNABOU NDIAYE DIAKHATE
La juge des dossiers sulfureux
Seynabou Ndiaye Diakhaté revient aux affaires. La nouvelle Présidente de l'Ofnac est magistrate de formation. Elle a occupé diverses fonctions dans l'appareil judiciaire national mais également au sein des juridictions communautaires de l'Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA). Mais au Sénégal, son nom est inscrit dans les annales de la justice pour avoir instruit certains dossiers sulfureux. Elle a tour à tour été, de 1989 à 1999, substitut du Procureur de la République près le Tribunal régional hors classe de Dakar chargée des mineures (tribunal des enfants) et des audiences de flagrant délit.
Procureur de la République près le Tribunal régional de Thiès de 1999 à 2003. Seynabou Ndiaye Diakhaté a été ensuite Doyenne des juges d'instruction au Tribunal régional hors classe de Dakar en 2003. Celle qui a été la doyenne des juges (2003- février 2007) a eu à inculper Idrissa Seck pour atteinte à la sûreté de l’Etat. On était de plain-pied dans la tempête de l’affaire dite des chantiers de Thiès.
Le dernier grand dossier qu’elle a eu à gérer est relatif aux accusations de pots-de-vin sur les chantiers de la corniche ouest. Dans cette affaire, un certain Pape Malick Ndiaye avait accusé le secrétaire général de la présidence de la République, par ailleurs Directeur exécutif de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique, Abdoulaye Baldé, d’avoir touché des pots-de-vin. Pape Malick Ndiaye a été même placé sous mandat de dépôt mais, c’est elle, en sa qualité de doyenne des juges, qui lui avait accordé une liberté provisoire le 16 janvier 2007. D’ailleurs, ils sont nombreux à penser que c’est la gestion de ce dossier dont Abdoulaye Baldé et le président de l’Anoci, Karim Wade, ont été cités qui a précipité son départ. Elle a été remplacée par Mahawa Sémou Diouf.
Par la suite, elle été détachée à la Cour de justice de l’UEMOA où elle fut Avocat général jusqu’en 2013. Elle est même devenue Premier Avocat général de la même juridiction au sein de la même juridiction à Ouagadougou en Burkina Faso. C’est en avril 2016 que la veuve de l’ex-président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté est revenue au sein des juridictions nationales après sa nomination comme Conseillère à la Cour Suprême du Sénégal, notamment à la Chambre administrative et Chambre criminelle.