Diomando Walo, Nord du Sénégal, 30 septembre 2013. Il est 3 h du matin quand, dans ce village peulh du Fouta, dans la région de Saint Louis, à 280 km de Dakar. La femme de Dramane Bocar Mbodj, Asta Gaye, sent les premières douleurs de l’enfantement. L’homme fait venir la « Bajenu Gokh » (marraine communautaire du village) qui, à son tour, emmène la parturiente à la Case de santé auprès de la matrone. Là le verdict est sans appel : elle saigne trop et il faut l’évacuer au poste de santé de Dodel, situé à 5 km du village.
Si cela était arrivé quelques jours plus tôt, Dramane se serait heurté à une équation, quasi-insoluble.
Heureusement pour lui, la veille, on lui a confié, en tant que conducteur, la charrette offerte le même jour au village par l'UNFPA, le Fonds des Nations Unies pour la Population, pour les évacuations sanitaires, notamment les grossesses à terme.
Ainsi, Dramane, accompagné de la Bajenu Gokh, a conduit sa femme à Dodel, à travers les champs et dans la chaleur d'étuve d'une nuit d'hivernage (saison pluvieuse).
Cette odyssée, la première qu'effectuait la charrette, a fini à l'hôpital de Ndioum, à 20 kilomètres environ du village, où la femme de Dramane a donné naissance à un mignon petit garçon, le 1er octobre au matin.
Certes pour rallier la ville de Ndioum, il a fallu recourir à un véhicule mais Dramane et les habitants de village savent bien que sans la charrette, l'heureuse naissance aurait pu se compliquer. Et pour cause, avant le don de l'UNFPA, les évacuations sanitaires depuis leur village étaient quasi-inexistantes faute de moyen de transport.
On comprend dès lors la joie de Dramane : « C'est une charrette de l'espoir, une charrette qui a sauvé la vie de ma femme et de mon bébé ».
A Diomando Walo, comme cela se fait encore dans les localités environnantes, on marchait des kilomètres jusqu'à la route principale pour y attendre le passage d'un hypothétique véhicule de transport public. A défaut, on allait à la recherche hasardeuse d'un charretier.
Tout cela appartient désormais au passé et grâce à la charrette d'une valeur de 600.000 FCFA ou 1200 dollars, cheval et attelage compris, fournie au village à titre expérimental, Dramane et ses co-habitants appréhendent moins les grossesses à terme de leurs épouses.
L'expérience prometteuse va d'ailleurs s'étendre aux villages environnants dans le cadre du plan de travail 2013-2014.
En vérité, la charrette fait partie des mesures mises en place par l'UNFPA, avec le soutien de la Coopération Luxembourgeoise, par l'intermédiaire de l'ONG Alliance des femmes pour la santé, l'éducation et les stratégies de prévention (WHEPSA en anglais) pour permettre aux populations du Fouta de prendre en main leur destin en matière de santé en général, de santé de la mère et de l'enfant en particulier.
Il s'agit d'intervenir dans les villages couverts par des postes de santé comme celui de Dodel qui polarise 16 villages et une population de 16 888 habitants, suivant des approches communautaires qui privilégient la proximité, l'organisation des populations et le renforcement des capacités.
Cela doit permettre de réduire les deux premiers retards qui contribuent de manière importante à la mortalité maternelle : le retard pris dans la décision au niveau de la communauté d'envoyer la femme en couches dans un centre de santé ; le retard mis à effectuer le trajet faute de moyen de transport adéquat.
Ainsi, les populations de Dodel et d'autres communautés se sont organisées autour de relais, d'infirmiers chefs de poste (ICP) et de médecins-chefs de district.
Tous les villages autour de Dodel ont des relais communautaires, des Bajenu Gokh et de comités de mamans formés par le district sanitaire pour appuyer l'ICP dans la sensibilisation des populations.
Les comités de mamans incitent les femmes en âge de procréer à changer leurs comportements pendant la grossesse, l'accouchement, l'après l'accouchement et durant l'intervalle entre deux grossesses.
Dans chaque village, le comité de mamans s'organise autour d'une paire d'agents de services à base communautaire (ASBC) composée d'un homme et d'une femme.
La sensibilisation sur la planification familiale (PF), question très sensible dans le Nord du Sénégal, fortement islamisé, est soutenue par des relais religieux formés sur la PF et la religion pour dissiper les problèmes d'interprétation portant sur la compatibilité entre l'islam et la pratique de la PF.
L'un des résultats les plus tangibles de cette stratégie mise en place depuis 2008 est la réduction des accouchements à domicile ou survenant sur le chemin du poste de santé par manque de moyen de transport adéquat.
« Tous les accouchements se font au niveau de la case de santé ou sont référés au poste de santé de Dodel parce que dans tous les villages il y a une matrone bien formée et recyclée, un agent de santé communautaire et des Bajenu Gokh », assure d'un air triomphant Mamadou Fall, l'ICP.
Les consultations prénatales sont passées de 41 par mois auparavant à près de 85 par mois aujourd'hui pour le premier contact au début de la grossesse et à près de 150 par mois toutes consultations prénatales confondues. Et pour se faire ausculter, les futures mamans viennent de tous les villages, même les plus éloignés comme Walé-Walé situé à 15 km de Dodel.
« Nous aurions souhaité que tous les accouchements se fassent à la maternité devant la sage-femme ou l'ICP mais les réalités de la zone avec l'enclavement, les routes impraticables surtout pendant la saison pluvieuse, nous ont amené à former des matrones pour tenir les cases de santé et faire les accouchements qui ne présentent pas de difficultés », ajoute Mamadou Fall.
En fait, le deuxième retard lié à l'évacuation des femmes en couches vers le poste de santé de Dodel reste encore un écueil pour les populations. A Diouga Diery situé à 7 kilomètres de Dodel, c'est la voiture du président de la communauté rurale qui sert aux évacuations. Or il lui arrive d'être en déplacement.
Pour y remédier, un système de partage du coût de transport a été mis en place par les associations de femmes des villages, à travers les caisses de solidarité villageoises.
L'UNFPA a fourni à chaque caisse 25 000 FCFA (50 dollars) comme fonds de démarrage. La caisse est ensuite alimentée par des cotisations mensuelles des femmes du village et toutes les évacuations pour complications sont prises en charge par la caisse.
« Les caisses facilitent la référence des malades vers l'hôpital de Ndioum, à 22 km d'ici », explique Mamadou Fall. Il faut dire que faute d'ambulance, les gens sont obligés de louer une voiture à 7000 FCFA soit 14 dollars ou d'utiliser les transports en commun au prix de 300 FCFA (60 cents) pour évacuer les femmes en couches.
En outre, pour faciliter l'évacuation des femmes enceintes en cas d'urgence, l'UNFPA a mis à la disposition du Ministère de la Santé et de l'Action Sociale 16 ambulances médicalisés dans les 8 districts sanitaires du Nord (Saint-Louis et Matam), grâce à la Coopération Luxembourgeoise.
A Saint-Louis, quatre ambulances sont positionnées dans les postes de santé ruraux dont celui de Namarel qui se trouve dans le Département que Dodel.
Les résultats obtenus dans la zone Nord sont encourageants : ainsi, le taux d'accouchement assisté par un personnel de santé qualifié dans la région de Saint-Louis est passé de 48,3% en 2007 à 68,8% en 2011 (source EDS).
La prévalence contraceptive dans la même région est passée de 9,9% en 2007 à 16,1% en 2011 contre une moyenne nationale de 12,1%.
Les efforts doivent être intensifiés afin de sauver davantage de vies de femmes et de nouveaux nés dans la région du Fouta.