Dakar - Une dame et ses trois gamins faisant la manche sont embarqués dans un bus par des assistants sociaux à Dakar. Une scène courante depuis plusieurs jours dans la capitale sénégalaise, où l’Etat mène une opération dite "de retrait des enfants de la rue" pour éliminer la
mendicité.
Le véhicule se faufile à travers un marché du populeux quartier de Pikine (banlieue est de Dakar). Il s’arrête devant des mendiants dont des "talibés", disciples d’écoles coraniques pour la plupart pieds nus, en haillons, sébiles à la main.
Des assistants sociaux, employés du centre Guinddi (pour la réinsertion d’enfants en difficultés, en langue wolof) les convainquent de monter à bord.
Dans un marché voisin, trois autres "talibés" sont occupés à faire la vaisselle pour une restauratrice qui, selon un agent de ce centre dépendant du ministère de l’Enfance, les "rétribuera ensuite".
Au bout de deux heures, une vingtaine d’enfants, en majorité des "talibés",
certains en pleurs, prennent place dans la voiture qui s’élance vers le centre, lors d’une nouvelle opération, après la décision de l’Etat sénégalais, en juin, de retirer les enfants de la rue pour lutter contre la mendicité dont celle des mineurs.
Après un séjour temporaire au centre - de quelques heures à plusieurs jours -, les enfants "retirés de la rue" sont remis à leurs parents ou à leurs maîtres coraniques, affirme Maïmouna Baldé, directrice de Guinddi.
Selon elle, en cas de récidive, leurs tuteurs ou parents seront sanctionnés. Cette opération, encore limitée à Dakar, sera menée "aussi longtemps qu’il y aura des enfants dans la rue", dit-elle.
Les familles des enfants raflés seront recensées pour pouvoir bénéficier de programmes de l’Etat, une aide financière et une prise en charge sanitaire, affirme à l’AFP Niokhobaye Diouf, le directeur national de la Protection de l’enfance.
Officiellement, 270 enfants, dont près de la moitié sont des "talibés", ont été extraits de la rue du 30 juin au 15 juillet. Les autres enfants mendiaient en compagnie de leurs parents ou tuteurs, visés aussi par les rafles.
La région de Dakar compte 1.006 "daaras" (écoles coraniques) avec 54.837 "talibés" dont plus de 30.000 pratiquaient la mendicité, selon une enquête officielle en 2014.
- ’La mendicité, un commerce facile et rentable’ -
"Des brebis galeuses se cachent derrière ce système d’éducation pour exploiter les enfants par la mendicité, un commerce facile et rentable", indique M. Diouf.
Des "talibés" au Sénégal sont contraints par leurs maîtres de rapporter chaque jour des montants pouvant aller jusqu’à près de 1.000 FCFA (1,5 euro environ), selon des témoignages concordants.
Une loi sénégalaise contre la mendicité des mineurs, datant de 2005 et rarement appliquée, prévoit deux à cinq ans de prison et une amende allant de 500.000 FCFA à 2.000.000 FCFA (762 à 3.050 euros).
Les personnes raflées comprennent des enfants et des adultes originaires de pays voisins, selon des officiels sénégalais. Ils sont rapatriés. Le 11 juillet, 25 Guinéens, dont neuf enfants, l’ont été, selon une source de sécurité et un responsable d’une ONG guinéens.
L’opération a été saluée par des ONG locales, tout comme l’ONU qui "encourage la décision" du Sénégal.
- ’Acharnement sur les +daaras+’ -
Mais des chefs religieux, très influents dans ce pays à majorité musulman, l’ont dénoncée. L’Etat a déjà pris puis rapporté des mesures pareilles après leurs protestations.
Un chef religieux, Sidy Lamine Niasse, croit y voir "une sorte d’acharnement exercé sur les +daaras+ de la part de l’autorité politique", pour les "stigmatiser" et les "diaboliser".
Moustapha Lô, président de la Fédération nationale des associations des écoles coraniques, regrette une mesure décidée par les autorités sans concertation avec les responsables de "daaras".
"La majorité d’entre nous gère des écoles coraniques sans faire mendier les élèves. Des maîtres coraniques le font faute de moyens", affirme-t-il.
Il appelle l’Etat à appuyer les maîtres coraniques, notamment en subventionnant leurs écoles et en finançant, avec des crédits dédiés, leurs projets agricoles, d’élevage et de logements.
Le gouvernement projette une "modernisation des daaras" portant notamment "sur les curricula" et pour les "subventionner", dit M. Diouf.
L’opération vise aussi, selon les autorités, à "prémunir" les enfants contre des "manipulations dans un contexte de menaces sécuritaires", en allusion aux attaques jihadistes dans la sous-région.
Le Sénégal, encore épargné par ces attaques, a renforcé la sécurité devant des établissements publics dont les hôtels et des bureaux.
mrb-bm-ns/cs/plh