Selon Adama Seck, secrétaire général de la Fédération des maîtres coraniques du Sénégal, le Premier ministre a assuré que l’interdiction de la mendicité ne concerne pas les talibés des membres de leur structure. Faux, il n’a jamais été question d’exception, rétorque Niokhobaye Diouf, Direction des Droits de protection de l'Enfance et des groupes vulnérables. Finalement, on ne sait plus à quel ‘’saint’’ se vouer. Une chose est sûre cependant : il y a manipulation et désinformation quelque part.
La problématique du retrait des enfants de la rue n’a pas encore trouvé sa voie. Depuis que l’opération a été lancée le 22 juin dernier, chaque jour apporte son lot d’incertitudes et de confusion. A peine sorti jeudi dernier d’une rencontre avec le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, le secrétaire général de la Fédération nationale des écoles coraniques du Sénégal Adama Seck a déclaré que le gouvernement a décidé de prendre des mesures d’exception en faveur des talibés qui sont dans les daara membres de leur organisation.
Samedi dernier, intervenant dans l’émission Question d’actualité de Radio Sénégal, M. Seck a réitéré ses propos. ‘’Le Premier ministre nous a reçus. Il nous a bien confirmé que cette décision ne concerne pas les enfants talibés qui sont dans les écoles coraniques, mais plutôt les enfants égarés qui fréquentent les rues de la capitale à longueur de journée. (…) Nous sommes rassurés par le discours du Premier ministre’’, s’est-il réjoui. Non sans préciser qu’ils sont en phase avec le gouvernement qui veut mettre un terme à l’exploitation des enfants par des soi-disant marabouts.
Mais le Direction des Droits de protection de l'Enfance et des groupes vulnérables, Niokhobaye Diouf, invité de cette émission susnommée, a démenti l’information, en prenant le contrepied de son vis-à-vis. ‘’Il n’a jamais été question de cela. Nous procédons à l’identification de toutes les catégories d’enfants que nous trouvons dans la rue, à leur retrait, à leur prise en charge et à leur réinsertion’’, a-t-il répliqué. Lorsque le présentateur Khaly Amadou Nar Fall a insisté pour savoir le sort qui sera réservé aux enfants issus de daara où l’enseignement coranique est effectif, M. Diouf s’est fait encore plus clair. ‘’Il ne faut pas faire de confusion. Nous n’allons pas dans les daara pour prendre les enfants. Ces enfants que nous trouvons dans la rue sont en situation d’errance à l’heure où ils devaient être dans leur structure d’éducation’’, précise-t-il.
Y a-t-il donc une heure à laquelle l’enfant est admis dans la rue ? L’invité de répondre par la négative : ‘’A n’importe quelle heure, si nous trouvons des enfants dans la rue, nous les prenons. Et nous les gardons dans les centres, en attendant leur famille’’. Bref, si l’on en croit M. Diouf, il n’existe aucune exception, ni au sujet de la catégorie d’enfants ni par rapport à l’heure.
Il n’a jamais été question d’une quelconque exception
Nous avons contacté la cellule de communication de la Primature pour en savoir davantage. Elle nous assure que tout ce qui s’est dit là-bas a été mentionné dans le communiqué envoyé jeudi par leurs services. Dans ledit document, il est dit que ‘’la Fédération nationale des associations des écoles coraniques du Sénégal (FNAECS), qui a bien compris les fondements d’une telle action de l’Etat, a cependant rappelé la nécessité de mieux soutenir les daara, véritables lieux de socialisation, très souvent dépourvus de moyens adéquats pour faire face à leurs obligations. La FNAECS a ensuite fait des propositions au gouvernement allant dans le sens d’un plus grand rayonnement de l’éducation religieuse au Sénégal’’.
De son côté, ‘’Monsieur le Premier ministre a pris note de ces propositions et a réaffirmé l’engagement du chef de l’Etat et du gouvernement à appuyer davantage ces établissements d’éducation religieuse. (…) Il a aussi insisté sur l’obligation pour toute la communauté de se mobiliser pour mettre un terme à cette image moralement inacceptable qu’offre en particulier Dakar, la capitale du pays, avec des enfants et des adultes qui ont fini de faire de la mendicité un véritable métier’’.
Ainsi, nulle part dans le communiqué parcouru par EnQuête, il n’a été question d’une quelconque exception. Il se pose alors une question. Qui de l’Etat ou des maîtres coraniques cherche à tromper l’opinion ? L’Etat a-t-il promis entre quatre murs, tout en refusant de l’assumer tout haut ? Dans quel but ? Ou alors est-ce la fédération qui s’inscrit dans une stratégie de manipulation ? Si c’est le cas, pourquoi le gouvernement, notamment la Primature, n’a pas fait une sortie pour démentir explicitement ce qui serait une intox. Nous avons contacté Seydou Guèye, le ministre porte-parole du Gouvernement. Mais son téléphone sonnait dans le vide. Le sms est resté sans suite.
En outre, Niokhobaye Diouf a montré encore une fois que l’argument des fonds du Mca comme motif du retrait des enfants dérange les autorités. ‘’Nous ne saurions nous divertir de ces polémiques. La question des enfants est tellement sérieuse qu’il ne faudrait pas verser dans la polémique et la politique. (…) Cela ne relève pas de la citoyenneté’’, s’indigne-t-il. Selon lui, au lieu de s’attarder sur ces considérations, les Sénégalais devraient plutôt se focaliser sur le côté positif de l’initiative. ‘’C’est la finalité qui prime et intéresse les Sénégalais. Quel que soit le motif, c’est l’objectif visé qu’il faut saluer. Il faut aller vers l’essentiel et ne pas s’attarder sur des détails qui motivent les actions. Il vaut mieux voir comment renforcer et améliorer ces actions au lieu de dire : c’est trop tard ou on l’a fait, parce…’’.
304 enfants déjà retirés des rues de Dakar
Jusqu’à vendredi dernier, 304 enfants ont été retirés des rues de Dakar. 78 d’entre eux sont de nationalités étrangères et le processus de rapatriement est déjà lancé, selon Niokhobaye Diouf. Ce dernier soutient que sur les 1006 daara du Sénégal abritant 54 000 apprenants, les 553 pratiquent la mendicité de 1 heure à 5 heures par jour, soit exactement 30 160 enfants en situation de rue. En termes de rentrées financières, cela représente, selon M. Diouf qui cite une étude de Enda et d’autres structures, 15 millions de francs de chiffres d’affaires par jour. Ce qui fait près de 5,5 milliards annuels. De quoi nourrir de la résistance.
Surtout si la volonté politique n’est pas évidente. En effet, en dépit des chiffres et du spectacle regrettable, il faut s’attendre à ce que la situation perdure encore, car M. Diouf a reconnu, au cours de l’émission, qu’ils sont confrontés à un problème de moyens. ‘’Nous n’avons pas encore la totalité des moyens humains et logistiques pour faire face à cette situation. Nous procédons à des retraits progressifs’’, avoue-t-il.