Son histoire reste à jamais liée à celle du hip-hop sénégalais. Parce qu’il est l’un des premiers acteurs des cultures urbaines dans ce pays. Babacar Niang alias Matador a commencé par la danse, puis le graffiti avant de prendre le micro. Depuis, il a aussi beaucoup apporté au mouvement hip-hop en mettant sur pied ‘’Africulturban’’. EnQuête lui ouvre ses colonnes pour parler de son troisième album ‘’reewg@@l Nation’’ sorti en février dernier, de la libération de Karim Wade, du rôle de l’Afrique dans l’avenir du monde et d’un probable retour de BMG 44, son premier groupe. A cœur ouvert avec Matador.
Vous avez sorti votre troisième album en février dernier, où en êtes-vous avec sa promotion ?
On a sorti deux vidéos et fait deux concerts à Dakar dans le cadre du Flow Up (concours dédié aux undergrounds du mouvement hip-hop). On a fait aussi d’autres scènes après la sortie de l’album. Avec le ramadan on était en stand by. On va bientôt reprendre les concerts à Dakar et peut-être dans les régions. Parce que depuis la sortie de l’album aussi, j’ai eu de bons retours. Les gens ont vraiment beaucoup apprécié la direction artistique. Ils ont aimé les choix musicaux et les thèmes développés. Ce n’était pas facile parce qu’on est des old school. On ne voulait pas s’éloigner des sonorités actuelles mais il nous fallait aussi faire quelque chose d’original. C’est pour cela que j’y ai mis cette touche traditionnelle. Les jeunes sont plus dans le trap. Moi, j’ai samplé beaucoup de morceaux traditionnels que j’ai essayé d’adapter avec le trap. Et cela a bien marché car que cela soit ici où à l’étranger, les gens ont beaucoup apprécié.
Dans cet album que cela soit dans les mélodies comme dans les textes, on sent un certain attachement aux valeurs africaines. Qu’est-ce qui explique ce retour aux sources ?
Comme le disent les wolofs ‘’Ku xamoul fa nga jëm delul fa nga joge’’ (ndlr quand on ne sait où on va, on retourne à son point de départ). Je pense que les Africains doivent aujourd’hui retourner à leurs sources. J’ai beaucoup voyagé et je sais ce qui se passe dans le monde. Il y a une crise extraordinaire de valeurs et d’identité. Il y a des guerres. Moi, j’ai voulu interpeller ces jeunes qui font du trap à ne pas tomber dans les pièges de ce monde. Il n’est pas bon de copier tout ce qui nous vient de l’extérieur. On a des valeurs à garder et à sauvegarder. C’est cela qui fera l’Afrique du futur à mon avis.
Vous pensez vraiment que les jeunes ne le savent pas ?
Quand j’enregistrais l’une des chansons de cet album, il y avait un jeune rappeur qui était dans le studio. Quand on a passé les discours des tirailleurs extrait du film de Sembène ‘’Thiaroye 44’’, je me suis rendu compte que ce jeune ne connaissait pas cette histoire. Je me suis dit, là c’est grave. Il y a des noms qu’on n’entend plus. Alors que ce sont ces gens-là qui font que nous soyons fiers aujourd’hui d’être des Sénégalais, des Africains. Moi, je suis d’avis qu’il faut encore parler de ces gens-là qui ont par exemple eu à faire face aux colons ou se battre aux côtés de la France pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Leurs histoires méritent d’être connues. Je serais très fier de dire à un Français que je suis petit fils de tirailleur par exemple. Parce que ce sont des gens qui étaient braves. Quand tu connais ton histoire, tu peux en être fier.
Avec l’Euro, il y a beaucoup de gens qui sont contents de voir la France aller loin dans cette compétition juste parce que la plupart des Bleus sont des Noirs et des Africains. Vous avez le même sentiment ?
Cela dépend de qui dit ça et pourquoi il le dit. Si ce sont des propos racistes, on ne pourrait être d’accord. On ne réclame aujourd’hui rien à la France à part de la reconnaissance. Parce que la vraie histoire des tirailleurs sénégalais n’est pas encore connue. C’est récemment que le Président Hollande a remis les documents de cette histoire, ici à Dakar, à Macky Sall. Encore que certains doutent que cela soit la bonne version. C’est triste. On demande de la reconnaissance et du respect pour la mémoire des tirailleurs sénégalais. On n’a pas de limites géographiques dans ce monde même si des barrières ont été érigées sur le plan racial, politique, économique etc. nous, on est là pour les briser.
N’avez-vous pas l’impression que l’Afrique est en train de prendre sa revanche… ?
Personnellement, je pense que ce n’est pas une revanche qu’on doit prendre. On doit être conscient que l’Afrique doit constituer le futur de ce monde. On ne doit plus aller chercher quelque chose en Occident. On doit construire notre Afrique en nous appuyant sur de bonnes bases. Les jeunes doivent être conscients de cela et savoir qui ils sont et d’où ils viennent.
Est-ce dans ce sens que vous avez écrit ‘’Maay Kan’’, titre dans lequel vous revenez sur votre propre parcours qui n’a pas été de tout repos ?
Il faut se connaître, connaître son histoire et ses origines et sa mission pour réussir dans la vie. Je n’ai pas oublié d’où je viens comme je le dis dans la chanson. Je suis issu d’un quartier pauvre où il n’y a rien, Thiaroye. Je savais de quoi j’avais besoin et pourquoi je me battais aussi. Je voulais que les choses changent non pas pour moi seulement mais aussi et surtout pour ces gens qui vivent dans des quartiers pareils que Thiaroye. Il me fallait attirer l’attention des autorités sur la situation que vivent ces gens-là à travers mes chansons. C’est cela mon combat. Et tant que la situation persistera, je n’arrêterai pas de prendre le micro pour la dénoncer.
C’est ce que vous dénoncez dans ‘’Nguur gi’’ ?
Je n’attaque pas le système dans cette chanson. Je rappelais juste aux tenants du pouvoir que s’ils sont à la tête de l’Etat et qu’on les mette à l’aise, c’est pour qu’ils bossent pour nous. On peut avoir des problèmes d’électricité, de transport et même leur céder la voie quand ils passent mais, ils ne doivent pas oublier que ces privilèges, ils nous les doivent. Que cet argent est celui du peuple pour lequel ils doivent travailler. Il y a des gens ici en 2012 qui dénonçaient la marche du pays et qui sont aujourd’hui au pouvoir. On ne les entend plus. Pourtant rien n’a changé. Ce sont des gens qui ne visaient que le pouvoir.
Avez-vous l’impression que le peuple a été trahi avec la libération de Karim Wade ?
Je pense qu’on a menti au peuple. La vérité n’a jamais été dite dans cette histoire. Ceux qui l’ont fait ne respectent pas les Sénégalais. Le peuple a été bluffé. L’arrestation de Karim Wade, les enquêtes menées, l’argent investi dans ces enquêtes et ce procès, le temps perdu, tout cela n’a servi à rien du tout. Karim Wade a volé, il n’a pas volé ? Le débat est là. L’opinion a été manipulée et on continue de nous mentir. Cela devait être révolu.
Revenons à l’album. Il y a un duo que vous y avez fait avec Souleymane Faye. Comment est née cette collaboration ?
‘’Grand’’ Jules est un artiste que je respecte beaucoup. Personnellement, je ne le connaissais pas. Je ne connaissais que ses chansons que j’écoutais quand j’étais gamin. J’écoutais ‘’Xalam’’ et je suivais aussi leurs concerts. Souleymane Faye a des textes profonds. Et pour moi, la musique, c’est d’abord l’écriture. Ses textes m’ont inspiré depuis que j’ai commencé à faire du rap. J’ai voulu reprendre ‘’Doolé’’ (ndlr force en langue wolof) parce que la thématique qui y est développée est très pertinente. ‘’Doolé’’ ne fait pas seulement référence à la force musculaire.
Cela représente énormément de choses et on la sent jusque dans les rapports entre le pouvoir et le peuple. J’avais décidé de sampler les voix de Souleymane Faye. Mais quand j’ai commencé à travailler sur le morceau, Fou Malade est venu en studio et m’a dit qu’il connaissait Souleymane Faye. Il m’a dit qu’il était cool et ne trouverait pas de problèmes à venir poser sa voix. Fou Malade l’a appelé et lui a parlé du projet. Il a dit oui. Quand il est venu enregistrer avec moi, j’étais étonné car il est très modeste. J’ai appris beaucoup de choses de lui et j’ai vu qu’il est talentueux. J’étais là à admirer la justesse de sa voix et d’un seul coup, il a fait ses partitions et c’était nickel. J’ai compris une fois encore que l’art, c’est dans le sang. Je me suis dit qu’il méritait que les Sénégalais le connaissent parce qu’il est talentueux. Pour le morceau, je ne sais pas si les Sénégalais le connaissent et l’apprécient mais pour moi, c’est un son que je vais écouter toute ma vie. Parce que c’est un rêve que j’ai réalisé.
Quel a été l’apport du Dr Massamba Guèye dans la réalisation de cet album ?
Je lui dois le concept de cet album. Quand j’ai commencé à travailler sur ce produit, j’étais en résidence à Paris. La direction artistique était différente de celle d’aujourd’hui. J’étais plutôt dans du hard metal. Quand je suis revenu, j’ai commencé à travailler avec un jeune qui est à Bruxelles et qui s’appelle Lion (Ndlr c’est lui qui a fait les refrains de Sénégal). Quand on a commencé à faire la musique, je me suis dit : non ce n’est pas ça que je dois faire. Il me faut mettre des sonorités traditionnelles dans la composition. Il me fallait l’appui de quelqu’un qui connaît bien l’histoire du Sénégal. Je ne voulais pas évoquer des noms ou dire des choses qui ne sont pas exactes.
C’est ainsi qu’à chaque fois que j’avais besoin de précisions ou d’informations, j’appelais le Dr Massamba Guèye. Il m’a donné beaucoup d’informations qui m’ont été très utiles. Je me suis dit après qu’il a travaillé sur l’album au même titre que moi et je lui ai demandé de choisir un titre pour le produit. Donc, ‘’Reewg@@l Nation’’ vient de lui. Il a aussi fait l’intro de l’album et nous y explique l’histoire du Sénégal. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup. Ce n’est pas la première fois qu’on travaille ensemble. C’est quelqu’un qui connaît bien le mouvement hip-hop.
Vous êtes le patron d’africulturban. Comment est née cette structure ?
Patron, c’est trop dire (Rire). J’ai eu la chance de voyager avec mon groupe BMG 44 entre 2001-2002. On est allé à Bruxelles, en Allemagne et on a vu comment ça marchait. On s’est inspiré de ces modèles. C’était notre premier voyage, une occasion que l’Etat de Bruxelles nous avait donnée. Vu ce qu’on a fait dans le hip hop, on avait pour droit et devoir de revenir au pays et de structurer le mouvement parce qu’avec 3 000 groupes de rap, il n’y avait que quelques studios. Il n’y avait pas de structures consacrées au hip hop ou aux cultures urbaines en général.
C’est ainsi qu’on a créé une structure qui s’occupe des cultures urbaines pour y inclure tout le monde. En 2005, je suis revenu d’une tournée, je voulais faire un concert pour soutenir les sinistrés. C’est alors que j’ai discuté avec le maire Amadou Diarra. On nous a ainsi donné des locaux et c’était un grand pas franchi. A l’époque, il y avait beaucoup de jeunes, des amis qui venaient de partout pour adhérer et participer au développement de ce projet. Je suis le fondateur mais des jeunes artistes qui ne savaient même pas ce que j’envisageais m’ont fait confiance. Et la première des choses que j’ai eu à faire avec eux, c’est une série de formations pour les encourager, leur donner envie de rester. Pour conserver cette structure, il me fallait être sur les lieux tous les jours pour aussi qu’ils ne lâchent pas prise. Aujourd’hui, on en est à 10 ans d’existence et ils sont encore là et presque dans le bénévolat.
C’est en ce sens que je dis que l’Etat doit pouvoir accompagner les structures de ce genre. J’en profite d’ailleurs pour rappeler au chef de l’Etat sa promesse d’apporter une aide, de donner un fonds aux cultures urbaines. Le montant annoncé n’est pas suffisant mais nous, on pense que cela peut régler des choses. Aujourd’hui, on voit qu’il y a pas mal de structures qui se développent et c’était cela l’objectif et j’incite les jeunes à continuer sur cette lancée. Cela participe à l’organisation du mouvement. Si on ne le fait pas, le hip-hop sera comme ce qu’est devenue la lutte au Sénégal. C’est-à-dire : avoir du buzz, beaucoup d’argent mais pas d’organisation, ce qui fait que seuls quelques-uns en profitent. L’objectif d’africulturban consiste donc à construire quelque chose pour accompagner les générations à venir. Car pour s’en sortir, il faut se professionnaliser.
L’histoire de Matador reste liée à celle de BMG 44. Est-ce qu’un jour BMG pourrait revenir ne serait-ce que pour un album ?
Moi, je n’ai jamais évolué dans d’autres groupes. Le seul groupe que j’ai connu c’est BMG 44. Là, on est séparé par la distance. Moi le rap est ma vie, je suis obligé de sortir des albums, faire des concerts et d’autres activités. Maintenant si Manu revient et veut faire du rap, on peut travailler sur un album. Peut-être qu’on en fera bientôt mais ca ne sera pas un album de retrouvailles entre amis. On va se retrouver pour encore parler des problèmes de la société. Son (Manu) expérience en Europe pendant plus de 10 ans et la mienne au Sénégal feront un bon cocktail pour apporter quelque chose aux populations.