Certains partis de gauche, membres de la Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS), semblent se démarquer de plus en plus de certaines décisions prises par le régime de Macky Sall. La dernière contestation de la CDS est liée aux conditions de la libération de Karim qui a bénéficié d’une grâce présidentielle. Mais pour Maurice Soudieck Dione, enseignant chercheur en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint Louis (UGB), les relations entre le chef de l’Etat et ses alliés de gauche ne sont plus au beau fixe. Entretien.
Comment analysez-vous la posture des partis de gauche par rapport à la libération de Karim Wade ?
Pour ces partis comme pour la plupart des Sénégalais, la transparence, la reddition des comptes, la lutte contre la corruption sont des impératifs catégoriques pour renforcer la démocratie et assurer les conditions du développement économique du pays. Mais je pense que l’instrument qui a été utilisé à cette fin dans la traque des biens mal acquis, à savoir la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), est inadapté.
C’est une juridiction d’exception, avec tous les inconvénients que l’on sait : renversement de la charge de la preuve, violation des droits des mis en cause, présomption de culpabilité, refus de respecter des décisions d’organes juridictionnels internationaux ou assimilés et autres entorses au droit. A cela, s’ajoute la nature très sélective et donc politisée de la traque. Si en plus de tout cela, ceux qui étaient présentés comme les pires délinquants financiers dont la condamnation est controversée et critiquée de toutes parts sont finalement libérés, c’est la lutte contre la corruption qui est décrédibilisée parce qu’ayant été politisée au départ. Comment maintenant concilier efficacité et équité dans la répression de la corruption dans le respect de l’Etat de droit ? C’est tout le problème.
Ces partis dont la plupart sont membres d’une coalition dénommée : Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS) se posent beaucoup de questions sur les conditions de la libération de Karim Wade. Comment trouvez-vous cela ?
Ce sont des préoccupations légitimes. Les conditions de la libération de Karim Wade comme celles de sa condamnation d’ailleurs, laissent encore perplexes beaucoup de Sénégalais. Au début, on a estimé que c’était une demande sociale. Or, la justice n’a pas pour vocation d’être un justicier. Après trois ans d’incarcération, sa libération est devenue également une demande sociale ! L’enseignement à tirer de tout cela, c’est que seule une justice indépendante, neutre et impartiale peut et doit assurer la lutte contre la corruption, avec toutes les garanties de protection des droits des citoyens. On ne doit pas laisser dans l’ordonnancement juridique des lois injustement liberticides. Cela n’est pas acceptable dans un Etat de droit.
La CDS demande une réglementation de la grâce présidentielle, qu’en pensez-vous ?
La grâce est prévue par l’article 47 de la Constitution qui dispose : ‘’Le président de la République a le droit de faire grâce’’. C’est une prérogative régalienne de pardon, qui est à la limite monarchique. Car ce n’est pas le président de la République qui est victime de l’infraction pour pardonner. Ensuite, l’infraction met en mouvement une action publique pour défendre et protéger les intérêts de la société. Enfin, la justice est rendue au nom du peuple sénégalais et non au nom du président de la République. Donc, dans le cadre d’un Etat de droit et d’une démocratie, la grâce doit être encadrée, pour corriger d’éventuelles erreurs judiciaires. Mais elle ne doit pas être laissée à l’appréciation discrétionnaire du Président. D’ailleurs le décret n° 2007-554 du 30 avril 2007 portant organisation du ministère de la justice prévoit, en son article 12, une instruction des recours en grâce par la Direction des affaires criminelles et des grâces.
Cette polémique sur la libération de Karim Wade ne risque-t-elle pas de porter atteinte à la relation de confiance entre Macky Sall et ses alliés de la gauche ?
Ces relations sont déjà assez dégradées, en raison des nombreux griefs que ces partis articulent contre la coalition. Notamment l’insuffisante concertation sur des questions majeures, et l’insuffisante voire la non-application de la plupart des conclusions des Assises nationales et de la Commission nationale de réforme des institutions.
Comment voyez-vous le compagnonnage entre Macky Sall et ses alliés de la gauche ?
C’est un compagnonnage qui connaît des contradictions mais celles-ci n’ont pas encore atteint un niveau occasionnant une rupture.
Au fur et à mesure qu’on s’approche des prochaines joutes électorales, ces partis de gauche se démarquent progressivement de certaines options du président de la République. Ne sont-ils pas dans une dynamique de proposition d’une alternative politique ?
La Confédération pour la démocratie et le socialisme est en train de se démarquer progressivement des options, positions et décisions du chef de la coalition Benno Bokk yaakaar. Mais cette stratégie qui consiste à organiser un pôle d’opposition à l’intérieur du bloc me semble contreproductive pour deux raisons. La première, c’est qu’ils ne peuvent pas être à l’intérieur de la coalition depuis plus de quatre ans, bénéficier de postes pour certains notamment au Conseil économique, social et environnemental, et donc de fait cautionner le bilan du Président, et vouloir articuler un discours électoral qui soit crédible le moment venu, lors de joutes électorales.
Deuxièmement, leur programme minimum qui dit s’adosser aux conclusions pertinentes des Assises nationales et aux travaux de la CNRI n’est pas le programme qui est en train d’être déroulé. Beaucoup de réformes considérées comme substantielles par ces instances ont été renvoyées aux calendes grecques par le régime. Ce qui devrait amener la Confédération à en tirer toutes les conséquences politiques qui s’imposent.
Quel est, selon vous, l’avenir de cette coalition ?
La gauche ou peut-être plus exactement l’extrême gauche, n’a jamais pesé lourd électoralement pour plusieurs raisons. Pendant longtemps, elle a privilégié la qualité sur la quantité de militants. Ce qui a freiné sa massification. En plus, elle a eu du mal à s’adapter aux réalités socioculturelles sénégalaises, notamment la prégnance du fait religieux. Elle a été également victime d’une répression féroce sous le régime de Senghor. Ensuite, quand le pouvoir de ce dernier a vacillé avec la crise de 1968, le Président Senghor, à travers l’ouverture contrôlée du jeu politique- multipartisme limité à trois, puis quatre courants-, a trouvé ainsi un moyen de l’affaiblir dans ses capacités de subversion. Car, en l’amenant à se déployer dans la sphère du jeu politique officiel, on la sortait de la clandestinité pour mieux la contrôler. Le multipartisme illimité instauré par le Président Diouf en 1981 a provoqué son émiettement. En définitive, la gauche n’a jamais brillé par ses scores électoraux.
Peut-on s’attendre à la présentation de candidats de la gauche aux prochaines élections législatives et présidentielle ?
C’est possible. Sauf qu’elle est encore dans le cadre de la coalition Benno Bokk Yaakaar, et qu’elle ne regroupe pas suffisamment de forces politiques pour obtenir des résultats électoraux appréciables. La gauche, au sens large, aurait pu constituer une alternative crédible si Benno Siggil Senegaal s’était consolidé. Malheureusement, ce cadre a éclaté à la suite du constat de l’impossible candidature unique en 2012, ce qui fait que les forces essentielles de la gauche, quand on y inclut les socialistes, avec le PS et l’AFP, sont ancrées dans la coalition présidentielle au pouvoir.