Le Sénégal a célébré, exceptionnellement, l’Aid El Fitr à l’unisson, le mercredi 6 juillet. Mais, il est encore très tôt pour crier victoire. Et pour cause, les démons de la division, à qui, le croissant lunaire a administré un véritable coup de semonce, ne vont pas s’avouer vaincus. Au contraire ! Si d’aucuns applaudissent l’apport de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie, le président de la Commission nationale de concertation sur le croissant lunaire (Conacoc), Iyan Thiam, lui, n’entend pas se fier à la science «qui n’est pas à l’abri d’erreurs». Et si certains manifestent la volonté de voir l’Etat prendre les commandes en imposant un calendrier de l’Aïd El Fitr et de l’Aïd El Kebir aux communautés musulmanes, l’ancien ministre des Affaires religieuses, Bamba Ndiaye, lui, doute que «l’Etat laïque du Sénégal puisse être assez crédible, assez fort pour imposer quoique ce soit». Quant à la solution prônée par Imam Kanté, c’est-à-dire un «calendrier perpétuel», comme c’est le cas, notamment en Turquie, elle est loin de faire l’unanimité. Autant dire que le Sénégal cherche toujours sa lune.
AMADOU MAKHTAR KANTE, IMAM DU POINT E : «Le calendrier perpétuel, la solution définitive»
«Le calendrier perpétuel est la solution définitive à la planification du culte et des fêtes musulmanes». Dixit, Imam Kanté, un nom est très connu à l’Université notamment dans les prêches «enflammées» du vendredi. Mais depuis qu’il a quitté le Temple du Savoir, Amadou Makhtar Kanté semble être gagné par la sagesse. Imam dans une mosquée à Point E, il vient de publié un livre intitulé : «Astronomie et Charia, la Oumma peut-elle guérir de ses malaises de lune ?».
Comment faire pour qu’il n’y ait plus deux korité au Sénégal ?
«Il faut d’abord définir le cadre territorial national. C’est déjà au niveau de ce critère qu’il y a problème. Parce qu’il y a au moins trois positions par rapport à ça. Il y a la commission nationale qui, considère que c’est la vision nationale qu’il faut adopter.
Mais, il y a l’autre commission (Commission d’Observation du Croissant Lunaire (COCL) mise sur pied par la Coordination des Musulmans de Dakar, Ndlr) qui s’exprime dans les médias. Enfin, il y a ceux qui ne s’expriment pas dans les médias et qui ne croient pas non plus à la vision nationale.
Ceux qui s’expriment dans les médias et qui considèrent qu’il est légitime et légal de se référer à une apparition quelle qu’elle soit dans le monde.
Ils n’ont pas tort quelque part parce que si on se réfère à l’école théologico-juridique de l’imam Malick dont les Sénégalais disent que c’est l’école de référence, elle va dans le sens de l’adoption d’une vision mondiale. C’est-à-dire là où deux musulmans voient le croissant lunaire cela doit engager tous les musulmans de la Umma.
Donc, on voit là, qu’il y a une contradiction entre la position du cadre national adoptée par la commission nationale (Iyan Thiam) et ceux qu’enseigne l’école Malickite.
Il y a aussi maintenant au sein même des confréries, par exemple une partie de la famille Omarienne qui élargisse leur supervision jusque dans la sous-région. Cette famille considère les observations de leurs tablibés au Mali et en Mauritanie sont recevables. Mais, je ne sais quel est le fondement.
Il y a aussi une partie de la famille Abass Sall de Louga qui adopte la même démarche.
Tant qu’on n’acceptera pas de se limiter au cadre du territoire national, il n’y aura pas de solution nationale.
L’autre chose, c’est que la solution que moi, je défends dans mon livre, c’est à dire, un calendrier perpétuel, cela peut non seulement régler le problème à l’échelle de la Umma mais aussi de régler le problème à l’échelle du Sénégal parce que ce calendrier permettra d’avoir les dates à l’avance et il n’y aura plus de questions d’observations.
C’est la solution définitive et on est en train de s’approcher de cette solution parce que à Istanbul (Turquie) il y a deux semaines avant le Ramadan, il y a eu une grande réunion des astronautes musulmans et des Oulémas qui soutiennent effectivement qu’il est temps d’adopter un calendrier basé sur les calculs astronomiques parce que rien dans la charia ne l’interdit.
Et c’est beaucoup plus simple que de se référer à l’observation oculaire avec les problèmes atmosphériques, les problèmes religieux, les problèmes de sensibilités, de souveraineté politique.
Le calendrier perpétuel est la solution définitive à la planification du culte et des fêtes musulmanes. Et de grands oulémas contemporains ont défendu que cela est tout à fait acceptable du point de vue de la charia.
L’observation oculaire était seulement un mode traditionnel qui était à porter des mains des premiers arabes musulmans. Mais ce n’est pas une obligation en soi. C’est simplement un mode de détermination. Et aujourd’hui le calcul astronomique est beaucoup plus cher et beaucoup plus précis.
Toutefois, on ne peut pas critiquer au fond la commission nationale parce qu’elle se base sur le territoire national. Parce qu’aucun pays ne s’aligne sur la vision d’aucun pays. Pourquoi voudrait-on alors que le Sénégal s’aligne sur la vision du Burundi, du Rwanda, etc.
Prenez l’exemple du début du jeûne de cette année. L’Arabie Saoudite a commencé le lundi, Oman qui est à coté a commencé le mardi. L’Algérie a commencé le lundi, alors que l’Algérie a débuté le mardi.
Pourquoi devons-nous nous aligner sur des pays qui l’ont vu. Il y a de grands oulémas qui ont dit que puisse la situation est difficile, il ne faut pas rajouter à la confusion et que chaque pays gère, de façon solidaire, à l’échelle du pays qui est quand même une entité politico-administrative cohérente».
Mais d’aucuns disent qu’au temps des colons, il n’y avait pas autant de divisions dans les fêtes ni sur l’heure de la prière. C’était le gouverneur qui déterminait le début et la fin du jeûne. Pourquoi avoir accepté cet état de fait à l’époque et le refuser maintenant ?
«C’est une question intéressante. L’autorité d’alors était forte. Le gouverneur de l’AOF avait une autorité forte et les divergences ne pouvaient pas exister. C’est simplement une question d’autorité politique forte. L’autorité politique s’est affaiblie surtout du temps d’Abdou Diouf. C’est du temps de Diouf qu’il a commencé à avoir un relâchement et il a commencé à avoir des divergences au niveau des confréries. Contrairement à ce que les gens disent, les Ibadou, les Salafistes, les Wahabitt ne sont pas à l’origine de cette division. C’est faux !
Quand l’Etat a reculé du temps d’Abdou Diouf, le ministère de tutelle a aussi reculé, il y a eu de fortes divergences surtout avec les confréries. C’était surtout entre Tivaoune et Touba. Iyan Thiam lui-même le reconnait. Il avait dit qu’après une émission à Sud Fm dans les années 99, quelqu’un avait dit que cette confusion est intenable, il a pris la responsabilité sur lui d’aller voir les familles religieuses et ils ont tous accepté de désigner des représentants. C’est ainsi que la Commission nationale est née».
Paradoxalement, ils ont tous donné des représentants pour cette commission, mais personne ne respecte ses décisions.
«Voilà encore quelque chose qu’il faut dire de façon très claire et honnête. C’est trop facile de dire que ce sont les ibadou qui créent les problèmes. Non ! Une commission a été mise en place et tout le monde a un représentant qui vient surtout au moment d’observer la lune.
Mais en même temps, on voit des gens qui appellent, surtout de Touba, après la prière de Géwé pour demander si l’imam a dit qu’on jeûne ou pas. Souvent bien avant la déclaration de la commission. Cela montre qu’il y a un problème de cohérence et ça affaiblit la commission.
L’année dernière, on n’a même entendu Sérigne Abdou Aziz Sy Almin dire à la télévision : «il faut écouter la maison (Tivaoune, Ndlr)». Donc, il y a un problème et j’ai même parlé d’une légitimité nationale de cette commission qui n’est pas établie. Je sais qu’Iyan Thiam n’aime pas du tout qu’on relève ce fait. Je l’ai dit cela à plusieurs reprises mais, à chaque fois, il m’a dit : «il faut arrêter, c’est faux ! La commission est légitime». Mais, les faits sont têtus.
Faut-il dans ce cas aller vers la création d’un ministère de culte ?
«On a déjà eu l’expérience d’un ministère des cultes avec le président Wade. On a constaté que ce ministère n’avait pas suffisamment de moyens. Bamba Ndiaye n’avait pas les coudées franches. On sentait qu’il n’avait pas de l’influence sur beaucoup de choses. Cette expérience de Wade n’était pas concluante, je n’ai pas vu de gros dossiers bouger. Maintenant, le ministère au Sénégal qui s’occupe des affaires religieuses, c’est le ministère de l’Intérieur. Je pense qu’on aurait pu avoir une commission légitime, participative et inclusive qui sera validée par ce ministère. Cela donnerait plus de crédit à ces décisions qui seront validées par ce ministère ; qui peut prendre des dispositions pour qu’il n’y ait d’autres informations après la décision de la commission. Dans ce cas, on aura une seule information et tout le monde s’alignera de force derrière cette décision de la commission. Mais pour cela, il faudra que cette commission soit redynamisée ; que tout le monde s’y reconnait comme je l’ai proposé dans mon livre où je l’ai même appelé un observatoire avec un bureau national et des démembrements jusqu’à l’échelle des communes avec un conseil scientifique constitué par théologiens et les astronomes. Tant qu’on n’a pas cela, ça va être difficile. Mais si l’État du Sénégal prend sur lui la responsable de créer un ministère du culte, il faudrait qu’il donne à ce ministère assez de marges pour trouver une solution consensuelle par rapport à ce problème de croissance lunaire.»
AMADOU BAMBA NDIAYE, EX MINISTRE DES AFFAIRES RELIGIEUSES AU SUJET DU CROISSANT LUNAIRE : «Cet Etat n’est pas assez fort (…) ni assez crédible pour imposer quoique ce soit»
A ceux qui proposent, comme solution aux multiples célébrations de l’Aïd El Fitr et de l’Aïd El Kebir (Korité et Tabaski) dans notre pays, que l’Etat impose un calendrier aux communautés musulmanes, Amadou Bamba Ndiaye, ex ministre des affaires religieuses sous Wade, déclare : «Tant mieux, si l’Etat le fait, mais je doute que l’Etat laïque du Sénégal puisse être assez crédible, assez fort pour imposer quoique ce soit». Dans cet entretien, il tente d’expliquer les divisions au sujet du croissant lunaire et propose des solutions.
Qu’est-ce qui explique cette division dans notre pays au sujet de l’observation du Croissant lunaire ?
Ca s’explique par le fait que la manière de voir la lune est un sujet à controverse dans le Coran. Par exemple, les savants musulmans ont longtemps discuté sur la diversité du lieu de vision de la lune. Ils admettent que ceux qui habitent dans une région comme Afrique de l’Ouest ou du Nord ou le Moyen Orient, puissent avoir leur propre lieu de vision de la lune. Ce qui reviendrait à dire que si les gens de l’Afrique de l’ouest voient la lune, on peut leur concéder cela et eux peuvent agir en fonction de cette vision… et que d’autres aussi au Moyen orient voient la lune un autre jour différent de celui-là, on peut le leur concéder. A partir du moment que cette règle est établie, il y a déjà possibilité qu’il y puisse avoir des visions différentes de l’observation de la lune, en fonction du lieu géographique… ça c’est le premier aspect.
Pourquoi alors la Ouléma ne se tourne pas vers la science, notamment l’astronomie pour trouver réponse à la question du Croissant lunaire ?
Il existe ceux qui utilisent l’astronomie ou des moyens scientifiques pour voir la lune. Vous savez au départ que la plupart des oulémas conservateurs avaient récusé ce moyen, mais finalement la plupart ont fini par admettre qu’on peut effectivement recourir à ce moyen scientifique pour établir la vision de la lune. Ce qui rajoute à la division parce que non seulement il y aura toujours des oulémas qui n’accepteront pas ce nouveau moyen dit scientifique, mais que déjà il y a avait une division à partir de la diversité de positions géographiques. Vous savez qu’auparavant, il y a avait des oulémas qui n’admettaient pas la diversité de positions, ce qui est aussi un point de vue accepté dans l’islam. Y en a qui disent que, si quelqu’un me dit que j’ai vu la lune à la Mecque, en France, au Mali, ou ailleurs, ça me suffit, parce que je considère l’unicité du monde musulman… D’autres disent non. Donc déjà, de par les savants, il y a des divergences et des manières différentes d’apprécier la vision de la lune. Mais ça ne se passe pas uniquement qu’au Sénégal, mais aussi ailleurs. Même si on reconnaît que ça se passe le plus fréquemment ici. Moi-même j’ai vécu six ans au Maroc, mais une ou deux fois, il est arrivé que les marocains n’aient pas commencé le jeûne le même jour et qu’ils ne l’aient pas rompu le même jour. Il y a avait des divergences, d’autres disaient qu’on l’a vu, le reste des marocains n’était pas d’accord là-dessus. Même en Arabie Saoudite, le problème se pose parce qu’il y en a qui disent que le roi et ses gens ont leur façon de voir les choses et d’autres oulémas beaucoup plus orthodoxes refusent quelque fois que les autorités leur dictent cette loi. Donc, la division se trouve un peu partout dans le monde musulman, il faut l’admettre.
Peut-on alors penser que cette division est beaucoup plus exacerbée dans notre pays ?
Vous avez raison, elle est beaucoup plus exacerbée au Sénégal. Parce qu’au Sénégal, nous avons, comme vous le savez, des confréries très vivaces, nous avons également a côté des confréries, des positions salafistes qui ne se conforment pas aux positions des confréries, mais qui se conforment beaucoup plus aux positions de l’Arabie Saoudite ou d’autres pays. Il s’y ajoute maintenant que, par exemple, dans des pays comme l’Arabie Saoudite ou le Maroc, les musulmans sont plus au moins organisés dans des structures ce que nous, nous refusons de faire au Sénégal. Au Sénégal les musulmans ne sont pas regroupés autour d’une structure. Même en Côte d’ivoire, au Mali, Burkina, en Guinée Bissau et en Guinée Conakry, il y a un Conseil Supérieur des Affaires Islamiques. Mais pas au Sénégal… il n’y aucune structure aujourd’hui qui regroupe tous les musulmans sénégalais. Ce qui n’est pas admissible.
La structuration de la communauté musulmane du Sénégal, serait-elle une des clés de solution à ces multiples célébrations d’Eid-al-fitr et Eid El Kebir dans notre pays ?
Oui, je le pense. Il faudrait réorganiser la communauté musulmane sénégalaise. Il faudrait la structurer et que les musulmans acceptent de se mettre dans une structure organisée. Tant qu’il n’y a pas cela, la division va s’accentuer.
Que doit alors faire l’Etat ?
A ce niveau l’Etat, a un rôle à jouer, vous avez évoqué tantôt mon statu d’ancien ministre des affaires religieuses. J’avais commencé à mettre sur pied cette structure, qui pourrait regrouper tous les musulmans de notre pays. J’avais déjà commencé des concertations et ça allait bien. Moi, je dis qu’on peut trouver une structure à l’image de l’Union Africaine, au sommet, il y a les khalifes généraux ou les émirs ou présidents des grandes associations islamiques, comme par exemple Ibadou Rahmane, Alfala, Al Istiqama et c’est des grandes associations parfois salafistes qui ne suivent pas l’ordre des confréries et comme vous le savez, chaque confrérie a sa hiérarchie propre. Mais si on regroupait ces gens-là dans une structure conjuguée : au sommet, il y a les grands chefs qui se réunissent peut-être une fois par an et en bas, il y a une structure d’exécution ou un secrétariat général, on se retrouverait avec les plénipotentiaires qui représentent ces cheikhs. Alors, dans un tel cas, on pourrait harmoniser les positions parce que dans chaque chose, on a besoin d’une harmonisation, il faut aller vers une structure unique pour trouver une solution a cette division à chaque Korité ou Tabaski.
Cette structuration dont vous parlez, elle existe à l’état d’embryon : c’est le Commission nationale d’Observation du croissant lunaire dirigée Iyane Thiam, n’est-ce pas ?
Non, ce n’est pas un embryon ! Je ne veux pas trop parler de cette commission, mais tous les Sénégalais savent comment elle a été créée. M. Iyane Thiam a mis sur pied sa commission, il s’est dit président, vous mêmes vous avez constaté que Iyane Thiam est président depuis plus de vingt ans. Si cette commission était démocratique, il ne serait pas président ! C’est ça ! Par contre, la structure dont je parle, doit être gérée de manière transparente, démocratique et consensuelle où les rôles doivent être attribués de manière consensuelle, démocratique et transparente. Certes, il y a des représentants des confréries dans cette commission, mais sont-ils assez représentatifs pour parler en leur nom ?
Voulez-vous dire que la Commission a un problème de représentativité et de crédibilité ?
Bien évidemment, J’étais à la base - et tous les Sénégalais le savent- de la création de cette commission. Je sais comment cette elle a été créée. Ça n’a pas répondu aux normes consensuelles et démocratiques dont je parle. Or, pour trouver quelque chose qui puisse rassembler tous les musulmans, il faudrait qu’il y ait une organisation où il y a à la base une concertation avec tout le monde, un consensus, une transparence et une démocratie interne. S’il n’y a pas ces éléments, cette structure ne marchera pas.
Pour mettre tout le monde d’accord autour du croissant lunaire, la science ne serait-elle pas la meilleure réponse ?
Il n’y a pas longtemps, j’ai participé à un grand débat sur le sujet avec des savants musulmans. Si je prends le cas du Sénégal, vous savez qu’on n’est pas une nation scientifique. Donc, si on veut adopter une position scientifique, on est alors sûr qu’elle ne va pas requérir l’assentiment de la plupart des Sénégalais. Je pense à ces éleveurs du fouta, à l’agriculteur de Vélingara, dans le djolof etc qui n’ont pas ces moyens scientifiques, qui ne se fient pas à cela, mais disposent de moyens ordinaires de scruter la lune. Cela est aussi valable pour le chef religieux qui se trouve dans une localité où il n’y a pas de télévision et de radio. D’où la nécessité de mettre sur pied des mécanismes qui harmonisent les positions des uns et des autres, qui puissent informer et sensibiliser, avant de parler de moyens. C’est à ce niveau que l’Etat doit jouer son rôle régalien de facilitateur pour permettre aux différentes communautés religieuses de se retrouver, se structurer et s’organiser.
Et si l’Etat imposait un calendrier à tout le monde ?
Tant mieux, si l’Etat le fait, mais je doute que l’Etat laïque du Sénégal puisse être assez crédible, assez fort pour imposer quoique ce soit. Vous savez vous-mêmes, que l’Etat n’a pas pu imposer la parité qui est une loi votée, à des communautés. Comment alors peut-il imposer quelque chose qui relève purement de l’Islam à des communautés islamiques, j’en doute fort bien. Cet Etat n’est pas assez fort, assez outillé ni assez crédible pour imposer quoique ce soit.
A vous entendre, c’est comme s’il n’y avait plus de solution à ce problème ?
Au contraire, il y en a. L’Etat doit juste jouer son rôle de facilitateur. Mais compte tenu de sa faiblesse, de son manque de crédibilité, il se limite à son rôle de facilitateur. S’il mettait à la disposition de gens qui vont sillonner les régions, se rendre dans les foyers religieux, les sensibiliser sur l’importance d’une telle organisation, je suis sûr que les chefs religieux seront d’accord. Et on retient un jour pour mettre en place cette structure qui fonctionnera de manière démocratique.
M. le ministre, vous aviez l’occasion, dans le gouvernement de Me Wade, de faire tout cela. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
N’oubliez pas que j’ai fait seulement deux ans dans cette fonction. La première année, je prenais le temps d’identifier le problème. Effectivement, la seconde année, en 2011, j’avais commencé à avoir des contacts. Entretemps, il y a eu les élections et le changement est intervenu. Le problème dont on parle aujourd’hui, on l’avait réglé par la mise en place d’une structure, Dieu seul sait que ça existe jusqu’à présent au ministère de l’intérieur. Mais avec le changement de régime, on n’a pas fait fonctionner cette notion de continuité de l’Etat et toutes ces idées dorment dans les tiroirs.
IYAN THIAM, PRESIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DE CONCERTATION SUR LE CROISSANT LUNAIRE (CONACOC) : «Qu’on ne cherche pas à nous imposer la vérité de la science»
Le Sénégal peut célébrer les fêtes religieuses à l’unisson comme c’est le cas pour la Korité 2016. Pour ce, il faut qu’on se contente de scruter la lune uniquement au niveau du territoire national. C’est la conviction du président de la Commission nationale de concertation sur le croissant lunaire (Conacoc). Imam Iyan Thiam accepte, par la même occasion, la fusion de la Conacoc avec la Coordination des musulmans de Dakar. Toutefois, il récuse toute information en provenance de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie. «Qu’on ne cherche pas à nous imposer la vérité de la science concernant le croissant lunaire», soutient-il. «Car il arrive trop souvent que la science se trompe et le cas échéant, on peut rester très longtemps avant de se rendre compte de cette erreur. Parfois des siècles», argue-t-il.
La fête de Korité a été célébrée à l’unisson. Comment avez-vous trouvé cette unité ?
C’est de la providence divine. Dieu en a décidé ainsi dans sa grande tendresse pour nous. Toutefois, c’est un message qu’il nous a adressé pour nous dire, si vous marchez dans cette voie et que vous vous agissiez, votre unité va demeurer. Mais, si vous faites le contraire dans mes prescriptions, vous serez toujours divisés. Donc, je ne peux que Lui rendre grâce pour nous avoir aidés, cette année, à célébrer à l’unisson cette fête.
Peut-on s’attendre à la même unité pour ce qui est de la prochaine fête de Tabaski ?
Tout le monde sait le but de mon engagement et tout le monde sait aussi que si chacun s’engage dans cette voie, il n’y aura plus division. Nous sommes au Sénégal par conséquent, scrutons le ciel, comme Dieu l’a prescrit selon la charia, au Sénégal. Si tout le monde s’accorde que désormais c’est au Sénégal qu’on va scruter le ciel pour regarder la lune, qu’on ne va plus dire, la lune a été aperçue dans tel ou tel pays, je crois que ce sera la fin de la division. Parce que c’est justement de l’extérieur que nous viennent nos divisions. Si nous nous limitons à notre pays et que le moment venu, tous les enfants de ce pays se mettent à scruter le ciel et que celui qui l’aperçoit le dit tel que cela a été prescrit dans les écritures. Car Dieu a été très clair en disant que celui qui voit le croissant lunaire qu’il le dit et que tout le monde s’accorde si ce dernier est quelqu’un de crédible.
Et c’est quoi être quelqu’un de crédible ?
Il faut d’abord être quelqu’un qu’on connait. Si quelqu’un m’appelle au téléphone pour me dire, j’ai aperçu la lune, je lui demande où réside-t-il, s’il me dit à Nioro, je lui demande de s’identifier et s’il me dit son nom est Ibrahima Thiam, je lui dirai je sais que tu portes un prénom musulman. Cependant, je ne peux pas déterminer si tu es crédible ou pas, est-ce qu’il y a un iman, un préfet ou un représentant d’un grand marabout qui est à coté de toi. Si ce dernier témoigne que tu es crédible, je prendrais ton information parce que c’est ça que la charia me dit de faire. En revanche, s’il ne met pas en rapport avec personne parmi ces personnalités que je vienne de citer pour certifier qu’il est un bon musulman, qu’il est crédible, je ne prendrais pas en compte son témoignage. Si j’ai tenu à le souligner, c’est parce que la plupart du temps, des gens nous appellent pour dire quelqu’un des leurs a dit qu’il a aperçu la lune quelque part alors qu’ils ne le connaissent même pas. Ce n’est pas pour rien que la charia dit il faut que celui qui dit qu’il a aperçu le croissant lunaire soit d’abord un musulman ensuite un musulman crédible.
Beaucoup de personnes sont venues vers nous après la mise en place de la commission pour nous dire qu’on a fait prier à plusieurs reprises les musulmans sur la base des déclarations de personnes qu’elles ne connaissent même pas. C’est justement cela que la commission veut éviter. Pour revenir à votre question, il faut qu’on ne se base plus sur des informations qui nous viennent de l’extérieur par rapport au croissant lunaire, il faut aussi au-delà des familles religieuses, impliquer l’administration. Car, dans chaque localité de ce pays, on a des imams, un représentant de l’administration ou celui d’une famille religieuse. Si donc c’est quelqu’un de ces personnalités qui donnent l’information, la commission dont le rôle n’est pas de scruter le ciel mais de transmettre l’information de l’apparition du croissant lunaire, le fera sans problème. Que personne ne dit que c’est Iyan Thiam a dit fait ceci ou cela. Nous faisons que donner l’information reçue des musulmans qui nous ont certifié avoir vu la lune. L’Islam, c’est la discipline, le respect de la hiérarchie. Pour me résumer, il faut qu’on scrute notre propre ciel et qu’on évite de se baser de la lune des autres. Ensuite, que ceux qui donnent l’information sur l’apparition du croissant lunaire puissent nous mettre en rapport avec une personnalité qui peut témoigner qu’ils sont des musulmans pratiquants et crédibles.
Qui compose la Commission nationale de concertation sur le croissant lunaire (Conacoc) ?
Depuis 1996 que je réponds à cette question sur les plateaux de télévision, les radios mais aussi dans la presse écrite n’empêche, on ne cesse de me demander qui sont membres de la Conacoc. Je vais néanmoins vous dire les membres de cette commission mais aussi continuer à le dire à chaque fois qu’on me le demande. La Commission est le fruit de mon initiative en 1996. Cependant, permets-moi de rappeler ceci. Les choses ont beaucoup évalué. Cette division dans la célébration des fêtes a commencé en 1960 après notre indépendance. Depuis cette année, chacun avait son jour du démarrage du Ramadan, de Korité, de Tabaski et de Tamkharite : les Tidjanes, les Mourides, les Layenes. La commission était sous le contrôle du ministère de l’intérieur depuis Cledor Sall, jusqu’à l’époque des généraux Lamine Cissé et Mamadou Niang en passant par Djibo Kâ mais personne n’a pu trouver solution à cette division. Finalement, l’État a décidé de tourner vers les religieux en confiant la gestion de la commission à l’Association des Imams et Oulémas au temps de Maodo Sylla et Moustapha Gueye qui se sont activés avec feu serigne Abdou Aziz Sy sans parvenir à rien. Et en 1996 quand j’ai eu cette idée de mettre en place une commission, je suis parti voir Dabakh (Abdou Aziz Sy) à son domicile à Tilène pour l’exposer ce projet et en même temps lui demandé de désigner parmi ses enfants quelqu’un qui va le représenter lors de nos réunions. Je me rappelle c’était un vendredi. Mais, il m’a conseillé. Puis, il m’a confié qu’il est lui-même fatigué de parler de la lune et que certains parmi ses homologues refusent de décrocher son appel sur ce sujet. J’ai donc décidé de faire comme il me l’a recommandé mais au moment de quitter son domicile, il a envoyé quelqu’un, je suis retourné sur mes pas, arrivé près de lui, il a dit : «ce que je t’avais demandé de laisser, oublies-le. Que Dieu guide tes pas dans cette mission, ne te décourages pas, continues tu auras du succès». À la suite de ces paroles, j’ai étalé mes mains et demandé sa bénédiction. Il m’a même dédié un poème devant certains de ses petits-fils dont Makhtar Kébé et Abdou Gueye. C’est la raison pour laquelle je suis toujours dans cette commission parce que je sais que si ce n’était pas quelque chose de sérieux, Mame Abdou n’allait pas me demander de continuer.
Aujourd’hui, je peux vous assurer que je suis fier de ce travail. Car l’objectif visé était qu’on arrive à mettre un terme à ce qu’on avait l’habitude de voir : les Tidjanes priés aujourd’hui, les Mourides demain et les Layènes après demain. Et pour vous racontez une anecdote, l’État avait même tenté de dissoudre cette commission au temps où le général Mamadou Niang était ministre de l’Intérieur. Il a convoqué tous les représentants des Khalifes généraux. Mais, quand ils ont commencé les échanges au ministère de l’intérieur, chacun a pris la parole pour lui dire qu’il a été mandé par son guide pour travailler avec Iyan Thiam dans l’intérêt de l’Islam. Le ministre a ensuite pris la parole pour me demander mon avis, en me disant que le président a dit qu’on me remette à la tête de la commission. Je lui ai rétorqué que ce n’est pas l’État qui m’a mis à la tête de cette commission mais les familles religieuses.
Tous ceux qui passent leur temps à dire des choses sur cette commission sont dans l’erreur. Tous les foyers religieux de ce pays ont leurs représentants dans cette commission.
Et je rappelle que le premier problème que j’ai rencontré à la tête de cette commission et qui a fait que le président Wade avait pris contact avec tous les foyers religieux remonte au temps de Feu Thierno Mountaga Tall. À l’époque, Thierno Madani Tall m’avait appelé après que nous avons déclaré à la Rts (Radio télévision sénégalaise) que la lune n’est aperçue au Sénégal pour me dire que le croissant lunaire est aperçu au Mali. Je rappelle qu’avant que nous annonçons à l’entente que la lune n’est pas aperçue, nous prenons toujours la précaution de téléphoner toutes les familles religieuses pour voir si, elles n’ont pas reçu une information contraire. C’est seulement après leur réponse qu’on passe la déclaration à l’antenne. Cependant, quand je lui ai appelé lui, Thierno Madani Tall, à 21 heures 30, il m’a dit qu’ils n’ont pas reçu une annonce concernant l’apparition de la lune. J’ai donc décidé de passer la déclaration. Et c’est quand j’ai fini qu’il a appelé pour dire que lune est apparue au Mali. Je lui ai donc dit que je ne pouvais plus faire marche arrière pour la simple raison que la déclaration est déjà faite mais aussi, que les gens avec qui je siège à la commission ont déjà regagné chez eux. N’étant plus dans les dispositions de parler au nom de la commission, je lui ai donc proposé de s’adresser lui-même aux Sénégalais pour leur dire que la lune est aperçue au Mali. Cela avait créé un tollé et même failli ternir mes rapports avec Thierno Mountaga Tall car j’ai été obligé de lui dire que je ne veux plus de disputes sur la religion avec lui parce que je n’ai rien en dehors du Coran et ce que dit Cheikh Akhmed Tidjane. Je lui ai ensuite dit, si c’était toi qui avait dit que tu as aperçu la lune, personne n’en douterait. Mais tu t’es basé sur une information que tu as reçue du Mali alors que nous avons constaté que ce n’est pas le cas au Sénégal. Or, je connais très bien ceux qui l’ont transmit cette information. Cette année, ce sont ceux-là qui avaient l’habitude de lui dire que la lune n’est pas aperçue qui ont prié avant La Mecque.
Certains pensent qu’on devrait élargir la Conacoc à la Coordination des musulmans de Dakar et à l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie. Quel est votre avis ?
Ceux qui ont émis ce vœu et moi nous partageons la même pensée. Toutefois, s’il devait avoir de différence, je dirai que c’est peut-être dans le mode de travail. D’après votre question, je comprends qu’ils veuillent que nous utilisions les informations de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie comme texte de base dans notre travail. Dans l’Islam, le seul texte de base c’est le Coran, le deuxième texte de base, c’est l’enseignement du prophète Mahomet et le troisième texte de base, c’est notre assemblée. La Coordination des musulmans de Dakar, ils ont de l’expérience dans l’observation du croissant lunaire donc on peut bel et bien travailler ensemble. On n’a jamais écarté quelqu’un dans notre commission. D’ailleurs, c’est cette ouverture qui fait qu’on se réunisse à la Rts. Ils sont donc les bienvenus dans la commission mais qu’ils ne cherchent pas à nous imposer la vérité de la science concernant le croissant lunaire. Car, il arrive trop souvent que la science se trompe et le cas échéant on peut rester très longtemps avant de se rendre compte de cette erreur. Parfois des siècles. Et si c’est dans un domaine comme la religion, on risque de plonger dans l’erreur de milliers de personnes pendant des siècles. On a vu des théories scientifiques qu’on disait irréfutables il y’a de cela quelques années et qui ne le sont plus aujourd’hui. Mieux, si on devait se contenter de cette science, ce n’est pas la peine qu’on parle d’observation du croissant lunaire.