Mohamed Ly ne fait pas partie de ceux qui sont émus par les conditions de la libération de Karim Wade. Dans cet entretien, le président fondateur du think tank Ipode fait une lecture de cette actualité encore bouillante, analyse la recomposition politique en vue, décrypte le «cas» Idrissa Seck.
Il affirme, par ailleurs, qu’avec la centrale de charbon de Sendou, il y a plus de risques environnementaux que d’avantages.
L’actualité c’est la libération de Karim Wade dans la nuit du 23 au 24 juin dernier. Quelle lecture en faites-vous ?
L’essentiel pour Ipode était que la justice suive son cours sans entrave pour le cas Karim Wade, ce qui a été le cas. La République a pris le dessus sur les nombreuses menaces qui ont plané sur elle, à savoir l’impossibilité de la tenue du procès du fils du Président Abdoulaye Wade, encore moins la possibilité de sa condamnation et son incarcération tant est que ce soit une décision de justice, sans que le pays ne bascule dans le chaos. Maintenant que le droit a été dit, nous sommes dans un pays où le droit de grâce existe et est encadré. Donc, le Président Macky Sall, dans son appréciation, a jugé opportun de faire jouer sa prérogative constitutionnelle. Nous souhaitons que cette libération participe à apaiser le climat politique et social dans notre pays et à mobiliser toutes nos énergies autour du développement du Sénégal et de la prise en compte des difficultés rencontrées par les populations.
Etes-vous de ceux qui sont émus par les conditions de la libération de Karim Wade qui ont suscité beaucoup de polémiques ?
Le cas Karim Wade a été si emblématique que sa libération exigeait une certaine sobriété et discrétion pour que le symbole de «reddition des comptes» ne soit pas remis en question. Nous espérons que les valeurs n’aient pas été inversées dans la perception de l’opinion. C’est le risque de ce type de décisions qui sont prises pour apaiser un climat politique par des leviers que peuvent être la grâce présidentielle ou d’autres mesures de ce type.
C’est plus les conditions de la libération de Karim Wade qui sont discutables que la grâce elle-même…
Un prisonnier gracié recouvre ses libertés dont celle de se déplacer. Mais je vois bien votre insistance. L’implication des Qataris dans l’assistance de Karim est manifeste et assumée. L’amitié des Qataris pour la famille Wade est connue. Il n’est pas choquant pour nous que ceux-ci lui viennent en soutien. Humainement, il est compréhensible qu’un homme veuille retrouver ses filles après trois années de détention. Il n’est pas établi d’ailleurs que le Qatar soit impliqué dans cette affaire, et si c’est le cas, il n’aura pas été le seul dans le processus de libération de Karim Wade. Il y a eu aussi une intervention franche de Touba, de Tivaouane et de bien d’autres autorités politiques, morales ou religieuses au Sénégal et de par le monde. De plus, les relations cordiales qui existent entre le Qatar et la famille Wade sont connues de tous. Et puis, ce n’est pas parce que François Hollande a gracié Jacqueline Sauvage pour le meurtre de son mari que le Président français a délivré «un permis de tuer les maris» en France. Et ce n’est pas parce que l’Ecosse a libéré en août 2009 Abdelbasset Megrahi, condamné pour l’explosion d’un Boeing 747 de la Pan Am au-dessus du village de Lockerbie, que ce pays autorise les attentats. Rappelons que l’attentat de Lockerbie avait fait 270 morts en 1988. Il faut donc absolument dissocier le travail de la justice, qui condamne ou acquitte un citoyen, du droit de grâce et de certaines mesures humanitaires pour certains condamnés.
Karim Wade libre, quelle recomposition politique d’ici 2017 ? 2019 ?
Parler de la recomposition incontournable de 2019 est prématurée. Elle découlera de ce qui se passera en 2017 avec des élections aussi majeures que les Législatives qui sont prévues en mi 2017. La seule question qui mérite d’être posée est de savoir si la libération de Karim Wade ouvrira la porte au Pds pour mettre en veilleuse sa posture d’opposition au pouvoir en place pour participer de façon responsable à la gestion du pays ; donc à un partage de responsabilités. Du moment où Wade-fils est libéré, rien ne s’y oppose apparemment. Rappelons que le Pds est un parti libéral qui a dans son Adn la philosophie de participation et son fondateur l’a prouvé en 1991 et 1995, en entrant dans les gouvernements d’union nationale du Ps sous le magistère de Abdou Diouf. Depuis lors, c’est un parti qui a exercé le pouvoir ; donc un parti de gouvernement. Ce qui doit nous pousser à le prendre au sérieux pour ce qui concerne son apport en termes de qualité possible au sein d’un Exécutif.
Cela ne remettrait-il pas en question la coalition Bby ?
Je ne vois aucune formation de cette coalition récuser une quelconque participation du Pds pour en faire une condition de rupture avec le Président Macky Sall et avec l’Apr.
Quelle serait la place de Idrissa Seck dans cette éventuelle recomposition ?
C’est celui qui aura le plus à perdre ou à gagner selon l’angle sous lequel on appréhende la situation. Il gagnera le fauteuil de «chef de l’opposition», mais qui risquera de ne rien lui ramener du moment où Idrissa Seck n’a jamais su constituer une coalition large de partis alliés crédibles autour de sa personne ou de son parti. Une éventuelle participation du Pds à l’exercice du pouvoir affaiblirait naturellement Idrissa Seck. Ce qui explique d’ailleurs son manque de sérénité apparent depuis la sortie de prison de Karim Wade. Il feint même d’oublier qu’il a demandé la libération de ce dernier à l’International libéral pour ensuite dénoncer la même chose qu’il a donc défendue. Sa constance a encore été mise à rude épreuve sur ce sujet, ce qui ne manque pas d’entamer sérieusement sa crédibilité aux yeux de l’opinion une fois de plus.
Parlons de la question de l’énergie. Le mix énergétique prévoit une part de charbon ; d’où la centrale de Sendou. Mais la découverte du gaz et du pétrole ne rend-elle pas caduc le projet ?
Notre déficit énergétique est réel et criant. C’est pourquoi résorber ce gap est d’une urgence criante. Or, si on doit attendre l’exploitation de nos gisements de pétrole et/ou de gaz, les spécialistes de l’énergie prévoient un délai de 7 ans pour pouvoir utiliser et ressentir les effets de notre future exploitation. Nous rappelons que le coût de notre électricité est le plus cher de la sous-région. Et cela plombe considérablement la compétitivité de notre économie avec une conséquence directe sur la création d’entreprises dans notre pays, l’autonomisation des femmes, le développement de l’agriculture, l’accès aux technologies, à la recherche et l’enseignement de qualité, etc. Il est donc urgent de continuer à mettre en œuvre le mix énergétique, même si nous avons démontré que le charbon n’est pas la meilleure solution économique et durable.
Certains pensent que les risques environnementaux sont plus importants que les avantages attendus de la centrale de Sendou. Y aurait-il moyen de mitiger les éventuels effets néfastes du charbon ?
Si on arrivait à pouvoir mitiger les effets néfastes du charbon sur l’environnement, la santé, la qualité de l’air, etc., le charbon serait potentiellement éligible sur la liste des énergies propres. Ce qui n’est pas le cas. Cependant, au sein du think tank Ipode, nous pensons aussi que les risques environnementaux encourus avec la mise en place d’une centrale de charbon sont plus importants que les avantages attendus de celle-ci, du moment où ces avantages peuvent aussi être obtenus avec d’autres sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement dans un modèle de développement durable pour notre pays, et pour la survie de notre écosystème mondial et la préservation de notre espèce
Quelles solutions proposez-vous en tant que cercle de réflexion sur les questions de développement ?
Pour conjurer cette situation, il faudra plusieurs réformes et une plus grande volonté politique de nos autorités sur le rééquilibrage du mix avec l’appui des bailleurs institutionnels. La solution serait de consentir davantage d’efforts sur le court terme et d’être en mesure de créer l’environnement favorable pour attirer les investissements dans les énergies propres et renouvelables. On est certes sur cette voie, mais il faut aller vers la modélisation de la demande du secteur énergétique, tirer profit de l’énergie solaire et éolienne surtout pour les petites productions comme pour l’éclairage public, les fours solaires, les chauffe-eau solaires, etc. Il faudra par ailleurs démanteler la structure de la Senelec dont le monopole est source d’inefficacité ; d’où notre coût d’électricité qui est le plus élevé de la sous région. Mais aussi, nous atteler à l’atteinte de l’objectif des 40% du business du secteur de l’énergie qui doivent être faits en Ppp (Partenariat public-privé). En outre, l’environnement des affaires du secteur de l’énergie devra être réformé pour plus de transparence. Enfin, il faudra donner à l’organe de régulation qu’est la Crse (Commission de régulation du secteur de l’énergie) la capacité de jouer son rôle de sécurisation des investissements attirés par notre pays via les Ppp pour le secteur.