L’application d’une réforme foncière généralisée, d’immatriculation mènerait immanquablement à une dépossession foncière des populations pauvres en milieu rural, a soutenu Kader Fanta Ngom, expert foncier et conseiller juridique.
"La seule richesse des populations pauvres en milieu rural est la terre. C’est pourquoi, si on leur dit qu’elles ont la possibilité de vendre, elles vont le faire au plus offrant", a fait valoir Kader Fanta Ngom, dans un entretien avec l’APS.
Le juriste plaide pour que l’on "ne mette pas en place un régime juridique qui facilite la marchandisation du foncier au Sénégal". "Les expériences existent dans d’autres pays et on sait que ce sont des investisseurs étrangers qui mettent la main sur tout le capital foncier", a-t-il analysé.
"Le Cadre de réflexion et d’action sur le foncier (CRAFS) opte pour une consultation des populations à la base là où la CNRF (Commission nationale pour la réforme foncière) favorise une immatriculation systématique", a expliqué Kader Fanta Ngom.
Le cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal (CRAFS) qui regroupe l’ensemble des organisations de la société civile en matière foncière a mis ses propositions sur la réforme en vue dans un document remis à la CNRF.
Le texte qui est très riche, selon lui, "est le fruit de l’ensemble des activités de terrain, de sensibilisation, de recueils des préoccupations des populations à la base, des différents membres du CRAFS".
"La force de ce document est qu’il est légitime et cadre avec les propositions des populations à la base. L’autre force, de la société civile est qu’elle n’a pas attendu la mise en place d’une commission sur la réforme foncière, pour réfléchir sur la question", a indiqué l’expert foncier.
Le document du CRAFS a d’emblée rejeté l’immatriculation généralisée, avançant différentes raisons.
Pour la société civile, "l’immatriculation doit être acceptée et validée à la base. Cela signifie qu’un investisseur qui souhaite investir dans une localité, doit d’abord recueillir les préoccupations des populations locales".
"Les populations n’ont pas assez de moyens financiers, mais ont la terre. Donc, il faut une collaboration gagnant-gagnant", a dit le conseiller juridique qui regrette que "les populations ne soient pas bien encadrées pour dérouler une négociation foncière".
Pour le juriste, "les investisseurs doivent poser des actes concrets au profit des populations locales qui détiennent les terres, jusqu’à ce qu’ils trouvent une convergence de vues".
Un avis partagé par Marième Sow, une actrice de la société civile, coordonnatrice d’Enda Pronat, qui a estimé que "l’immatriculation généralisée des terres peut amener à une formule de vente des terres".
"Cette immatriculation généralisée des terres peut amener à une formule de vente des terres. Nous disons non à la marchandisation des terres", a souligné Mme Sow selon qui "la terre est un patrimoine commun à garder pour les Sénégalais des générations actuelle et future".
A la place, la société civile, qui reconnaît que la loi sur le domaine national n’est pas mauvaise, "propose de garder son esprit et de déblayer tous les non dits de cette loi qui n’est pas claire et qui ne lui ont pas permis de fonctionner normalement".
Toutefois, a-t-elle indiqué, "il faut une approche transparente afin que les populations arrivent à mesurer leurs intérêts par rapport à ceux précis pour des infrastructures publiques à mettre en place".
"Même s’il y a une commission domaniale, nous avons dit que nous allons voir, dans chaque terroir, comment appuyer ces communautés à mettre en place des comités villageois paritaires où se siégeront hommes, femmes, chefs de villages, imams, etc. pour examiner les problèmes au moment d’affectation ou de désaffectation".
"Nous pensons que ce sont ces pratiques au niveau local qui vont régler les problèmes des femmes parce qu’au niveau national, on a la possibilité d’accéder au foncier. Le problème des femmes se règle au niveau des communautés avec un renforcement de leur capacité. Elles peuvent revendiquer leur part au niveau de la communauté, selon les réalités", a expliqué Marième Sow.
D’après elle, "il faut trouver des formules d’attribution des terres qui ferment les portes de marchandisation, que ce soit au niveau des multinationales à qui on donne les terres et qui, discrètement, peuvent bien négocier leur titre foncier pour toujours".
Donc, a-t-elle souligné, "c’est comment arriver à insérer dans la loi des formules qui puissent assurer la sécurisation foncière pour davantage verrouiller afin que les terres ne soient pas vendues".
S’expliquant sur le rejet de l’immatriculation généralisée au nom de l’Etat et de la collectivité locale, elle a cité le cas du "Zimbabwe où les terres sont attribuées aux multinationales étrangères et les populations se retrouvent dépossédées de leurs sols".
L’autre aspect, selon elle, est "les risques observés au niveau des mandataires qui, d’un moment à l’autre, peuvent distribuer les terres". Cependant, a-t-elle relevé, "les mêmes risques existent au niveau de l’Etat, car il est géré sous la présidence des membres du gouvernement".
En ce sens, elle a proposé, "un système domaine national avec un contrôle citoyen renforcé afin que personne ne puisse se lever et dilapider les ressources communes". "Si l’on perd le contrôle de ce foncier, si on n’a pas la terre, on a rien", a estimé Marième Sow.
D’après elle, pour un pays qui cherche à résoudre les problèmes liés aux changements climatiques, la désertification, "il faut avoir une vision scientifique pour accompagner ces exploitations familiales qui ont fait leur preuve pour nourrir l’humanité".
"Nous lions la réforme foncière au niveau de la société civile, par rapport à certains problèmes cruciaux, au niveau national". Aussi, le problème de l’emploi des jeunes doit-il pousser à faire de l’agriculture un métier très bien développé, a fait savoir la coordonnatrice d’Enda Pronat.
Pour Marième Sow, "la réforme foncière doit tenir compte de tout cela".