Les conditions de la libération de Karim Wade ont été exposées hier à l’Assemblée nationale par des députés. De la «grâce conditionnelle» à l’ «interventionnisme du Qatar», cette question a divisé majorité et opposition.
Dans un hémicycle appelé à voter le projet de loi organique 19-2016 relatif au Conseil constitutionnel, Karim Wade est l’absent le plus présent. Sa grâce intervenue la semaine dernière et son départ express vers le Qatar ont suscité quelques inquiétudes chez des députés. En face, le ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, représentait le gouvernement. Députée de Bess du niak, Hélène Tine allume la première mèche : «Dans la lettre que Karim Wade a écrite après sa libération, il dit qu’à cause des conditions de son élargissement, il ne pouvait pas sillonner le pays pour remercier ses partisans et les guides religieux. Pourtant, lorsque j’ai consulté la Constitution, j’ai vu que le pouvoir de grâce est une prérogative du président de la République sans aucune condition. Est-ce que, dans le cas Karim, c’est une grâce conditionnelle ? Edifiez-nous !» Le ton est donné. Me Sidiki Kaba est averti : il doit user de tout son pouvoir persuasif pour convaincre les députés plaignants.
Mamadou Lamine Diallo accuse le Qatar d’«interventionnisme»
A peine cogite-t-il sur la réponse à servir à la députée de Thiès, le Garde des sceaux est dans la foulée interpellé par Mamadou Lamine Diallo qui s’interroge sur le rôle du Qatar dans la libération de Karim Wade. «Ce que je sais du Qatar, c’est son interventionnisme en Syrie, en Tunisie et en Lybie. Ce que je sais de ce pays, c’est le projet que nous avons ratifié pour amener des émigrés à aller travailler là-bas. Le fils de l’ancien Président (Karim Wade) n’est pas un futur travailleur émigré au Qatar. Sous ce rapport, qu’est-ce que le procureur du Qatar a à faire dans une affaire sénégalo-sénégalaise. Le Peuple vous écoute M. le ministre», lance le leader du mouvement Tekki. C’en est trop du côté de la majorité. Abdou Mbow, Pape Birame Touré ou Babacar Diamé vont porter la réplique. Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Me Djibril War, d’une voix gonflée d’amertume, vole au secours du gouvernement. «Les règles de droit qui nous régissent, ce n’est pas de la romance ni de la bohème. C’est sérieux. Elles sont fondées sur des normes (…) Quand il est dit que le président de la République a le pouvoir de gracier et qu’il use de cette prérogative, mais diable, où est le problème ?», sert-il. Le responsable apériste de Biscuiterie de poursuivre : «En quoi le président de la République est tenu de prendre une décision sur la base d’arrangements. Utiliser le mot ‘’d.e.a.l’’ (deal), ce n’est pas digne. On transcende des vocables dignes de la mafia en les appliquant dans des institutions dignes de ce nom.» Afin de clore le débat, le ministre de la Justice a haussé le ton dans ses réponses. Sa voix retentissant dans la salle de plénière, Me Kaba a rappelé que depuis son arrivée en 2012, le Président Macky Sall a gracié «7 193 détenus» et «1 051 prisonniers ont bénéficié de la libération conditionnelle». Le ministre rejette par conséquent l’idée d’une «justice pour les riches».
Me Kaba : «Vous voulez me demander qui était le pilote dans l’avion»
Sur la présence du Procureur général du Qatar qu’il présente comme l’équivalent du ministre de la Justice du Sénégal, Sidiki Kaba brandit le décret accordant la grâce à Karim Wade et Cie. «Vous voulez me demander qui était le pilote dans l’avion (qui a conduit Karim Wade au Qatar) ? Il ne faut pas faire d’amalgame. L’Etat du Sénégal peut avoir des relations avec tous les pays du monde. C’est ce qui fait le prestige de notre démocratie. Dans ce document, est-ce que vous voyez la signature du Procureur général du Qatar ou de l’Emir ? Le Sénégal est un Etat souverain et le Président Macky Sall a pris une décision souveraine. C’est une clémence régalienne.»