Dans l’esprit des gens du cinéma, Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambety sont les deux figures marquantes du cinéma sénégalais, les deux têtes de file. Paulin Soumanou Vieyra se voit revêtir du manteau de l’ange gardien sans qui certains cinéastes de l’époque ne l’auraient pas été. Mais l’avantage de Sembène sur les autres est qu’il a appris avec le livre de la vie. Non pas comme simple spectateur des événements mais comme acteur de la vie. Ainsi, le livre de vie de Sembène est-il écrit à l’encre de ces métiers qui demandent endurance et résistances aux aléas climatiques et qui forgent le tempérament de l’ouvrier. «On reconnait le maçon au pied du mur» dit l’adage et si ce n’est que ça, Ousmane Sembéne a été un vrai maçon pour avoir bâti un cinéma dont le maitre mot est « Eveil des consciences » et le vrai personnage celui qui prend en charge son propre destin.
Sous cet angle, il faut remettre à l’endroit, la lecture faite de certains films de Sembène. Dans Borom Sarett, l’épouse est l’héroïne et non le charretier-victime. Avec Xala, les mendiants chassés de la ville qui reviennent prendre leur revanche, sont dignes d’intérêt. Les vrais personnages à qui sûrement Sembène voue un culte, on les trouve dans « Guelwaar », dans « Molaadé », « Emitai» ; des personnages moteurs de changement social de par leur engagement. Dans « Guelwaar », c’est le combat contre l’avilissement et la dépendance. « Molaadé » lutte contre la mutilation sexuelle de la femme. « Emitaï » se bat contre l’exploitation et la soumission. Les métiers de maçon, de ferrailleurs, de docker que Sembene a eu à exercer, lui ont fait prendre conscience de son appartenance à la classe ouvrière. Dés lors rien d’étonnant de retrouver, une fois au sein de la CGT (Confédération Générale des Travailleurs) et au Parti Communiste.
Sembène arrive au cinéma à l’âge de 40 ans après avoir cru à l’écriture romanesque comme levier de prise de conscience de l’exploitation du peuple travailleur et des pesanteurs nommées Tradition qui plombent l’évolution de la société. Avec Paulin Vieyra dans la ville de Paris des années 50 ans, ils décident de fréquenter plus les cinéclubs, de s’abreuver de films anticoloniaux (Afrique 50, Guernica, les statues ne meurent pas etc..) que d’aller dans les salles conventionnelles. Sans tourner le dos à l’écriture romanesque, Sembène trouvera plus accessible le cinéma pour qui veut toucher le cœur du peuple. Le cinéma devient pour lui une arme de combat. Se battre pour que le wolof, le diola, le bamana soient les langues du cinéma ; le film, l’ardoise sur laquelle on peut écrire « Diékhna » à la place de Fin (voir génétique de Borom sarret ). Il ne faut pas oublier que Sembène et Pathé Diagne linguiste, en créant le journal wolof Kaddu prolongeaient le combat pour la reconnaissance des langues nationales au même titre que les langues étrangères.
Ousmane Sembène anti français ? Ousmane Sembéne anti religieux? Ousmane Sembène au tempérament bouillant ? Seule peut-être, la dernière étiquette correspond à sa vraie personnalité. Sembène n’était pas anti français, il se rangeait du coté du peuple de France puisqu’avant d’accepter la médaille que l’ambassadeur de France au Sénégal lui avait remis, il avait auparavant pris le soin de demander conseil à ses anciens amis du Parti communiste, alors qu’il pouvait tout bonnement refuser cet honneur. Selon le témoignage de son frère imam lors de l’hommage rendu à Sembène par l’Université Gaston Berger de Saint Louis et qui lui a donné l’extrême-onction, Ousmane Sembene pratiquait le rite musulman. La famille Vieyra en témoigne aussi puisque régulièrement invitée lors des fêtes de Tabaski à Gallé Ceddo. Sembène était un self made man pour qui rien n’était donné.