Le rapprochement entre le chef de l’Etat Macky Sall et le Parti démocratique sénégalais (Pds) peut déboucher sur l’entrée des libéraux dans un gouvernement de majorité élargie. Selon Ibrahima Sène du Pit, qui en a fait la révélation, ‘’il n’y a aucun problème si le Pds accepte de venir travailler dans le cadre d’un gouvernement de BBY comme il avait accepté de le faire dans le cadre d’un gouvernement du Ps’’. Entretien.
Le président de la République a initié un dialogue national qui a regroupé autour d’une table presque toutes les forces vives de la nation. Quelle appréciation faites-vous de cette initiative ?
J’ai beaucoup apprécié le démarrage de ce dialogue national. A l’issue du référendum, les nouvelles dispositions de la Constitution nécessitaient le consensus le plus large possible pour leur mise en œuvre. Quand j’ai vu, au lendemain du référendum, la position dégagée par le camp du NON qui a rejeté les résultats, je me disais que c’est dommage pour le Sénégal. Parce que nous risquions de n’être pas en mesure d’associer le plus largement possible les Sénégalais dans la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
Le résultat a été que le second appel du chef de l’Etat à partir du domicile de Mme Oumou Salamata Tall, profitant des condoléances qu’il présentait, a reçu un écho favorable d’Abdoulaye Wade. Depuis lors, les choses ont bougé. Le camp du NON évidemment, a été pris au dépourvu par la réponse de Wade. Certains d’entre eux ont déjà suspecté le dialogue comme étant le résultat d’un deal pour sortir Karim Wade de prison.
Est-ce que ce n’est pas le cas ?
Deal ou pas, ce dialogue était nécessaire pour que les nouvelles dispositions de la Constitution puissent être mises en œuvre de la manière la plus acceptable possible.
Comment appréciez-vous le rapprochement entre le président de la République et le Pds noté après le lancement du dialogue ?
C’est normal. Quand tu appelles à un dialogue, il faut se rapprocher des gens. Autant il s’est rapproché du Pds, autant je pense qu’il est disposé à se rapprocher de Rewmi et d’autres. On ne peut pas dialoguer avec des gens sans se rapprocher d’eux. C’est impossible. Une fois que le Pds a accepté le dialogue, ses relations avec le président de la République vont s’améliorer. Idrissa Seck vient d’accepter le dialogue en participant aux travaux de la revue du code électoral. Je suis convaincu qu’au fur et à mesure que les choses avanceront, il acceptera de discuter avec le Président qui incarne l’autorité publique. Mieux, même actuellement, Idrissa Seck a accepté que Daouda Diallo arbitre le différend entre les deux pôles de l’opposition pour leur représentation à la commission de révision. C’est dire que ce sont des réticences qui sont là mais en fait, la réalité du politique les oblige à accepter de dialoguer et de considérer les autorités comme des interlocuteurs pour dialoguer.
N’y a-t-il pas une logique politique derrière ce rapprochement ?
La lecture politique coule de source. Le Pds est un parti politique. Le chef de l’Etat dirige une coalition politique. Quand des forces comme cela se rencontrent, il y a évidemment une résultante politique. Maintenant, laquelle ? C’est là où il y a beaucoup de spéculations parce que les gens ont vu que des détenus commençaient à être libérés. Les gens ont dit que c’est dû au deal qui existerait entre le Président et le Pds. Ceux qui le disent, si vraiment ils sont convaincus de cela, ils ne doivent pas participer à ce dialogue. On a vu le Mrds dire récemment : ‘’puisqu’on est en train de libérer Karim Wade, c’est un deal, donc on quitte’’. Cela, on peut le comprendre. Mais tous les autres qui parlent de deal et, en même temps, participent au dialogue, l’acceptent de fait.
Quel commentaire faites-vous de la libération annoncée de Karim Wade ?
Sur cette question, j’ai été très clair. Karim Wade ayant purgé la moitié de sa peine, il a le droit de solliciter une liberté conditionnelle comme Mamadou Pouye en a bénéficié. La liberté conditionnelle veut dire qu’il sorte de prison, mais les biens qu’il doit restituer continueront à être restitués. Il ne pourra pas quitter le territoire national sans y être autorisé. Donc, au lieu d’être en prison dans une cellule, il est en prison au Sénégal.
L’autre éventualité c’est la grâce qui relève des prérogatives du chef de l’Etat. Si Karim Wade est gracié, il sort de prison, il bénéficie de sa liberté de mouvement. Il peut voyager et sortir du territoire national. Mais les peines pécuniaires qu’il encourt continuent d’être en vigueur. Ses biens continueront à être confisqués. La recherche de ces biens continuera de se faire. Il n’aura pas ses droits civiques encore moins ses droits professionnels. Il sort de prison mais il ne recouvre pas ses droits et ses biens.
Maintenant le véritable problème qui se pose, c’est l’amnistie. S’il est amnistié, cela veut dire qu’il est non seulement libre, mais qu’on lui restitue ses biens. Il peut même être dédommagé. Il recouvre ses droits civiques et professionnels. Nous, au Pit, notre véritable problème, c’est l’amnistie. Si Macky l’amnistie, ce sera très mauvais pour lui. Ce sera très mauvais pour le Sénégal. Le pays croit à la traque des biens mal acquis. Le Sénégal croit que Karim Wade a été condamné par des faits avérés. S’il est amnistié et lavé, cela veut dire qu’il a été injustement arrêté, condamné et emprisonné. Si Macky va dans ce sens, ce sera extrêmement grave pour le pays.
La libération de Karim Wade n’augure-t-elle pas des retrouvailles de la famille libérale ?
C’est possible. On l’a vu dans notre propre histoire. Wade, à deux reprises, après s’être radicalisé contre le pouvoir, a profité d’une occasion pour accepter le dialogue et aller dans une dynamique d’élargissement de la majorité présidentielle. Il l’a fait avec Diouf à deux reprises. Au sortir du contentieux électoral de 1988, il a accepté le dialogue politique en 1990 et en 1991. Il est entré dans le gouvernement de majorité présidentielle élargie en même temps que nous du Pit.
A la veille des élections de 1993, il est sorti du gouvernement pour se positionner et briguer les suffrages. On a vu ce que cela a donné. Pendant les législatives de 93, avec l’assassinat de Me Babacar Sèye, Wade et ses partisans ont été arrêtés et mis hors de cause. Mais certains de la mouvance du Pds comme les Clédor Sène ont été condamnés. Par la suite, Wade a accepté le dialogue politique avec Abdou Diouf et revenir au gouvernement en 1995. Donc à deux reprises, Wade l’a montré. Avec Macky Sall, après avoir tout fait pour que son fils ne soit pas jugé, il a accepté de dialoguer. Quand on jugeait son fils, il a tout fait pour qu’il ne soit pas condamné, il a été condamné.
Une fois condamné, il a tout fait pour qu’il soit libéré, il a remué ciel et terre, rien. Pendant le référendum, il a radicalisé sa position et est allé jusqu’à participer à la transformation du sens de cette consultation citoyenne en y accolant des choses abominables: l’homosexualité. Il pensait à la victoire du NON qui lui aurait donné la légitimité de demander le départ de Macky Sall et d’exiger la sortie de prison de son fils. Il n’a pas réussi. Il a maintenant profité de l’appel au dialogue de Macky pour s’y engouffrer et participer à la décrispation des rapports entre le pouvoir et l’opposition. Cela peut aboutir à un rapprochement politique entre le président et le Pds pour arriver à un gouvernement de majorité présidentielle élargie.
Dans ce cas, quelles conséquences sur l’unité et la cohésion de BBY ?
Mais ce sera sans problème.
Pensez-vous qu’aujourd’hui la mouvance présidentielle puisse s’accommoder de la présence du Pds ?
Mais quel est le problème ? Si le Pds accepte de venir travailler dans le cadre d’un gouvernement de BBY comme il avait accepté de travailler dans le cadre d’un gouvernement du Ps, je n’y vois aucun problème.
Est-ce que les grands perdants dans ce cas ne seront pas des partis comme le Pit, la Ld, le Ps et l’Afp ?
Je vois mal Macky Sall scier la branche sur laquelle il est assis. Diouf, quand Wade est sorti en 92 du gouvernement pour se positionner, il a renforcé la position de ses alliés. Avant, nous avions un ministère, il nous a donné deux pour renforcer ses alliés d’abord avant de s’ouvrir aux autres. Je suis convaincu que ce sera la même chose pour Macky. Quand il va ouvrir la porte au Pds, il va renforcer ses alliés. Parce qu’affaiblir ses alliés, ce sera pour lui, la plus grande catastrophe politique. Voilà pourquoi on est serein.
Ne risquez-vous pas d’être surpris ?
Mais surpris de quoi ? Qu’est-ce que nous avons à perdre ? C’est Macky qui gouverne, c’est lui qui a le pouvoir, qui associe qui il veut. S’il décide de nous faire sortir de sa coalition, nous irons dans l’opposition et nous le combattrons. C’est tout. Il n’a aucun intérêt politique, sous prétexte de s’ouvrir au Pds, de scier la branche sur laquelle il est assis.
Les gens parlent toujours de la signature des Accords de partenariat économique (APE). Quelles conséquences ces accords peuvent-ils avoir sur notre économie ?
Le Sénégal, en tant que pays tout court, n’a aucun intérêt dans ces APE. Les APE, pour les pays qui les signent par rapport à l’Union européenne (UE), c’est pour avoir accès au marché européen sans payer des droits de douane ni des taxes. Le Sénégal, déjà, ne paye aucun droit de douane encore moins de taxe pour aller dans le marché européen.
Il fait partie de la catégorie des pays moins avancés (PMA). Ces pays bénéficient d’un statut qui leur permet d’exporter tout sauf des armes, sans payer de droits de douane ni quoi que ce soit. Donc on n’a aucun intérêt à signer ces accords. Au contraire, les APE sont une grande perte pour nous, parce que nous devons, en contrepartie, si nous les signons, baisser nos droits de douane sur les produits importés de l’UE. Nous allons accentuer la concurrence entre la production de l’UE et celle locale. Cela va encore bloquer et ruiner nos capacités de production interne.
Mais le président de la République est dans une dynamique de les signer.
Il faut voir quels sont les arguments du Président. Il dit que le Sénégal veut signer parce que c’est pour préserver la cohésion dans l’espace Cedeao. Dans cet espace, si les APE ne sont pas signés, des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire risquent d’en pâtir fondamentalement. Parce qu’ils vont payer des droits de douane normaux à la place des droits de douane réduits qu’ils payaient dans l’UE. Et ça, ce n’est pas bon pour leur économie.
Le Sénégal, pour être solidaire à ces pays, veut signer. Mais les experts économiques de la Cedeao et même de l’Union africaine (UA), ont démontré que si les pays de la communauté acceptent de prélever sur leurs droits de douane 0,5% pour le mettre dans un fonds commun, cet argent suffira pour compenser les pertes en droits de douane pour le Ghana et la Côte d’Ivoire. En ce moment, ils peuvent refuser de signer tous ensemble. A l’époque, Wade avait refusé en disant qu’il ne va pas subventionner la Côte d’Ivoire. Parce que c’est Laurent Gbagbo qui était là-bas et Wade était remonté contre la Côte d’Ivoire.
Mais ce qui rend un peu inopérationnel cette taxe, c’est que sur les 15 pays de la Cedeao, 9 n’ont pas signé le Tarif extérieur commun (TEC) décidé pour qu’il y ait les mêmes droits de douane dans l’espace sous régional. Le Sénégal fait partie de ceux qui ont signé. Si les 9 pays restants ne ratifient pas le Tarif extérieur commun, le Sénégal ne devrait pas se prévaloir d’une solidarité sous régionale pour signer les APE. Il ne devrait aucunement sacrifier ses intérêts et ceux de son peuple au nom d’une solidarité qui n’existe pas. Nous devons donc tous appeler Macky Sall à se ressaisir. Il a donné sa parole mais les conditions d’une solidarité ouest africaine qu’il veut promouvoir n’existent pas.