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Mode de fonctionnement Ong: La bonne graine et l’ivraie
Publié le mercredi 8 juin 2016  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DR
La foultitude d`ONG présentes à Dakar pose question




Qui sont ces organisations qui nous veulent du bien ? Mercenaires du village planétaire, ou bons samaritains pétris de valeurs humanitaires universelles ? Les organisations non-gouvernementales (ONG) sont devenues au fil des années des actrices incontournables de la solidarité internationale. Elles s’activent dans les Droits de l’Homme, la lutte contre la faim, contre les maladies, la protection des enfants, la scolarité, l’économie mondiale... Elles sont si nombreuses qu’elles couvrent tout le spectre politique, social et idéologique, y compris parfois pour la défense d’intérêts très restreints, voire parfois très peu altruistes. Malgré des a priori sur leur mode de fonctionnement, leur mode de financement, et leur contenu idéologique, ces Organisations à but non lucratif sont d’une utilité publique incontournable.

‘‘Pourquoi les Ong qui se positionnent comme des ‘’malaka’’ (anges), prétendant tout connaître et ayant réponse à tout problème, sont considérées comme étant plus crédibles que les gouvernements. Au nom de quoi ?’’. Cette saillie, datant de mai 2008, n’est pas la plus mémorable de celles de l’ancien président Abdoulaye Wade, mais renseigne sur les relations exécrables qu’il entretenait avec celles-ci. Deux ans plus tard, en novembre 2010, le décret 2010-1490 du 10 novembre plaçait les ONG sous la tutelle du ministère de l’Intérieur au lieu de celui de la Famille, précisement sous le contrôle de la Direction de l’administration générale et de l’administration territoriale (Dagat) devenue désormais DGAT.

Le mécanisme de contrôle financier est confié au ministère de l’Economie et des Finances. Ce décret abrogeait celui de 1996 qui lui-même abrogeait celui de 1989. En septembre 2011, c’est la rupture totale : le Premier ministre d’alors Souleymane Ndéné Ndiaye dénonce les accords de siège avec les 600 ONG répertoriées au Sénégal sous prétexte ‘‘d’assainir’’ le milieu. Quant au régime actuel, il va plus loin dans le contrôle puisqu’avec le décret 2015-145, leurs modalités d’intervention sont plus restreintes.

Au total, quatre décrets et une dénonciation en 25 ans qui font penser à des rapports conflictuels. Est-ce, comme le suggère Mouhamadou Mbodji du Forum civil le délitement du rôle traditionnel de l’Etat qui fait que les gouvernants se rebiffent ? Ou a contrario est-ce que les arguments ‘‘blanchiment d’argent’’, et le casse-tête du financement du terrorisme justifient la reprise en main des gouvernants ? ‘‘Les ONG sont de véritables partenaires au développement’’, soutient-on à la Direction du partenariat avec les Ong (Dpong) où on les estime à plus de 550 sur l’ensemble du territoire. Depuis la reprise en main par les nouvelles autorités, ce service délivre les agréments au compte-gouttes : quinze en 2013, huit en 2014, et six en 2015.

Le succès des ONG est indéniable. Avec leur capacité d’intervention grandissante, elles font plus que revendiquer le droit d’agir au nom de l’intérêt de la société : elles passent à des actes concrets, en vraies suppléantes de l’Etat central. Comme les 1178 ouvrages hydrauliques et sanitaires réalisés depuis 2012 avec le financement de l’Usaid à Saré Bidji (Kolda), Ndame (Tambacounda), et Kartiack (Ziguinchor). ‘‘Les conditions de vie de 24.840 personnes ont été améliorées par la contribution au renforcement des services de distribution de l’eau, des infrastructures d’assainissement et en diffusant des bonnes pratiques en matière d’hygiène’’, selon l’Abbé Roger Gomis, sur le site internet de la structure.

Ou, dans le domaine sanitaire, les 25 mille FCfa que fait payer le dispensaire ophtalmologique du centre Amadou Malick Gaye (ex-Bopp) pour une opération de la cataracte alors que le prix dans le privé avoisine le triple. Ou encore la professionnalisation de la filière banane dans la région de Tambacounda, où l’Office africain pour le développement et la coopération (Ofadec) a aidé à la mise en culture de 450 hectares assurant 45% des besoins nationaux pour ce fruit. ‘‘ Ce sont de véritables partenaires au développement. Elles sont dans les régions les plus défavorisées du pays’’, soutient le secrétaire exécutif du Conseil des organisations non gouvernementales d’appui au développement (Congad), Mbaye Niang. Sa structure qui regroupe 178 ONG sert d’interface entre ces dernières et l’Etat du Sénégal. Cependant le contexte actuel a obligé l’Etat sénégalais à resserrer les lignes du régime particulier dont bénéficiaient ces organisations.

‘‘ Nous ne prenons pas l’argent des Etats africains’’

‘‘Les ONG sont soumises à des contrôles sur leurs financements et sur l’origine de leurs fonds par les services compétents de l’Etat sans que le secret professionnel ne soit opposable’’. L’article 36 du décret 2015-145 fixant leurs modalités d’intervention, a le don de mettre Mouhamadou Mbodj hors de lui. ‘‘Je trouve qu’on essaie de restreindre les libertés avec cette question de financement. Ce n’est pas l’argent du contribuable sénégalais. Qui va demander des comptes à deux privés qui font leurs transactions ? Ce n’est pas une affaire publique. Sauf s’il y a des problèmes de sécurité nationale, ça ne regarde pas l’Etat’’, lance-t-il, lui qui est d’avis que des structures de ce type sont incontournables dans le combat contre la corruption. Preuve de leur bonne foi, les statuts de son association, et non ONG, soumettent les membres à une déclaration de patrimoine avant adhésion, et ceci ‘‘bien avant l’Ofnac’’. Le financement dépend des structures qui acceptent aussi bien des fonds publics que privés, ou les rejettent. Amnesty International a 74,6% des fonds qui proviennent de la générosité du public. Les 25,4% restants proviennent de fonds propres issus de la vente de produits, des cotisations, des abonnements.

En 2010, 77,4% des ressources de Médecins Sans Frontières provenaient de la recherche de fonds, c’est-à-dire de la générosité du public. Au Sénégal, le mode de financement est différent du modèle de ces organisations du Nord. Il varie selon les ONG sénégalaises, avec une constante presque commune à toutes : les subventions étatiques ne sont pas la bienvenue. L’Etat qui se voit bousculé dans son identité traditionnelle de pourvoyeurs de services doit composer avec le surgissement de ces ONG qui captent les financements de partenaires techniques et financiers.

Pour le secrétaire général de la Raddho, dont le budget est compris entre 500 et 600 millions de FCfa annuels, ‘‘à aller chercher’’, sa structure reçoit principalement des fonds extérieurs de partenaires au ‘‘même titre que les Etats’’. En dehors des 10 mille FCfa pour l’adhésion, des 5000 FCfa annuels, et des activités de Gala c’est ‘‘ l’Union européenne qui finance les activités de la société civile sur la base d’appels à propositions. Nous ne prenons pas l’argent des Etats africains’’, fait-il savoir. Ensuite viennent des bailleurs comme les fonds mondiaux des Nations-unies, puis, à un degré moins le financement des ambassades accréditées au Sénégal.

Malgré un fonctionnement considéré comme opaque, l’argent du contribuable n’est pas accepté. ‘‘Le mérite des organisations des droits humains au Sénégal est que c’est le seul secteur qui n’est pas subventionné par l’Etat’’, déclare le président de la Ligue sénégalaise de droits de l’homme, Me Assane Dioma Ndiaye qui trouve anachronique de parler de financement d’Ong. ‘‘Nous sommes des contre-pouvoirs et nous défendons des principes non dérogeables sur lesquels nous ne pouvons transiger. Pour être en phase avec notre philosophie d’action, nous devons nous libérer de toutes formes de contraintes quelles qu’elles soient’’, poursuit-il. Pour ce droit-de-l’hommiste pur souche, la parade réside dans le volontariat et l’autofinancement.

Avec des dépenses de fonctionnement de 200 à 250 mille FCfa mensuels, minimiser les charges est important. Paradoxe ou stratégie d’évitement ? Les financements de bailleurs étrangers sont pourtant acceptés alors que ceux de leurs propres Etats sont rejetés. Chat échaudé craignant l’eau froide, à la Raddho, l’on se souvient de la révocation de l’accord de siège dans les années 90 de l’Union interafricaine des droits de l’homme basée à Ouagadougou, par Blaise Compaoré, après des critiques sur les violations des droits. ‘‘Il a fallu renégocier avec les chefs d’Etat africains pour y maintenir le siège’’, rappelle Aboubacry Mbodj. Le secrétaire de la Raddho est d’accord sur le principe de financement par l’Etat du Sénégal pour les organisations d’utilité publique ‘‘dans le cadre d’une loi pour qu’en cas de critiques, le gouvernement ne se rétracte pas’’.

Si les flux financiers d’organisations sont massifs, Les ONG et associations de la société civile ne dépensent pas de manière incontrôlée. Des ‘‘traqueurs de financement’’, comme les surnomme Mame Matar Guèye de l’Organisation Jamra, existent. En octobre 2011, Adama Sow a écopé de six mois avec sursis après été déclaré coupable d’abus de confiance et escroquerie. Le président de l’Ong Groupe de recherches d’action contre les violences faites aux enfants (Grave), après une plainte de son bailleur d’Ong, Plan Sénégal, avait dû rembourser les 7 millions 700 mille francs de la deuxième tranche d’un projet d’aide aux jeunes filles victimes de viol en leur assurant une prise en charge médicale, psychologique et judiciaire.

Un contrôle rigoureux, suivi d’une privation de financement en cas de gestion gabégique, planent sur la tête des ONG. ‘‘Chaque fois qu’on nous finance, c’est un programme fléché. Les bailleurs déclinent leur volonté de travailler sur la lutte contre la torture ou l’abrogation de la peine de mort. Le programme est chiffré et l’Organisation doit justifier toutes les dépenses. Même pour un trajet à Thiès on est obligé de chiffrer le kilométrage en gasoil’’, déclare Me Assane Dioma Ndiaye. Les autres sources sont les programmes développés avec les ambassades mais à des proportions relativement faibles, ‘‘pas au-delà de 5 millions’’. S’ensuit un audit de tous les comptes. La plupart des organisations subissent un double audit : un à l’interne, et un autre du partenaire qui commet un cabinet qu’il recrute lui-même. Ceux-ci sans compter les rapports d’audit globaux.

Financements douteux

Malgré toutes ces dispositions, tout ce qui se tourne autour des ONG n’est pas transparent. ‘‘Il y a des organisations qui ont des pratiques mafieuses. Il y a de la bonne graine, et de l’ivraie’’ reconnait Aboubacry Mbodj. Dans le rapport de présentation du décret 2015-145 la lutte contre le financement du terrorisme est l’une des préoccupations des autorités. Les flux d’argent venant de l’étranger font désormais l’objet d’un contrôle strict pour enrayer tout financement suspect. ‘‘ Toutes les ONG ne sont pas comme neige, mais elles se plient le plus généralement aux dispositifs de transparence’’, assure-t-on au ministère de l’Intérieur.

Le déclenchement de l’affaire Imam Ndao, accusé d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et complicité d’actes de terrorisme et de complicité de blanchiment de capitaux sert de prétexte aux autorités pour durcir le contrôle. Désormais, un programme d’investissement, qui est le document de base des interventions des ONG, est obligatoire. Il sera soumis à l’approbation des ministères de l’Intérieur et celui des Finances. Son absence signifie, de facto, la cessation des activités d’une organisation sur le territoire.

‘‘La donne a changé avec le terrorisme, il faudra bien resserrer les lignes pour ne pas être surpris’’, se félicite-t-on au ministère de l’Intérieur. Si on veut y faire la part des choses entre la majorité d’ONG normales, l’on est bien conscient que certaines organisations caritatives servent de couverture à des activités illicites. L’organisation Jamra qui n’a jamais caché ses racines humanitaires et musulmanes est également consciente des enjeux qui entourent le nouveau contexte. Il y a trois ans, elle a reçu une proposition de construction d’un centre de santé de niveau 2, qu’il lui serait loisible, une fois réceptionné, de l’offrir à l’Etat du Sénégal. ‘‘L’ambassadeur d’un pays du Proche-Orient qui a fait l’offre ne s’est plus signalé quand l’ONG a posé la condition d’une déclaration préalable auprès des services compétents de l’Etat’’, déclare Mame Makhtar Guèye. Ce dernier se démarque toutefois de ceux qu’il appelle les ‘‘traqueurs de financements’’. ‘‘Nous n’avons rien contre nos homologues qui explorent divers carnets d’adresses de bailleurs pour financer leurs activités. Mais, à la pratique, nous avons acquis la certitude que l’autofinancement est le prix à payer pour la sauvegarde de notre liberté’’, défend-il.
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