‘‘Yahya ne sera en paix que quand je mourrai’’
A voir ce géant de 34 ans, ancien élément de l’infanterie, de la garde rapprochée, puis des commandos gambiens, Musa Sarr, l’on comprend pourquoi ses assaillants ont échoué dans leur tentative d’enlèvement. Cette agression subie vendredi dernier a laissé des séquelles. Bandage sur l’auriculaire gauche, entaille sur le nez, et lèvre inférieure fendillée, le très peu loquace Musa s’est laissé peu à peu aller au jeu des questions-réponses sur ce qu’il qualifie comme un acte hybride entre enlèvement et assassinat. En panama jaune, chandail gris, blue jeans et sandales, cet ex- caporal revient sur les péripéties de cette soirée tumultueuse de vendredi dernier, un jour après les faits.
Que s’est-il exactement passé vendredi, le jour de votre agression ?
Comme à l’accoutumée Ousmane Diop, un 'faux-ami' sénégalais, qui en réalité collaborait avec les services secrets gambiens, m’a invité. A notre connaissance, il s'était présenté comme un sympathisant de la cause des exilés gambiens au Sénégal. J'ai répondu favorablement, sans me douter de rien. C’était entre 20 et 21 heures. Nous étions en train de parler de tout et de rien. Je sirotais tranquillement ma tasse de café. Tout à coup, j’ai reçu un violent coup sur la nuque. Je ne sais pas si c’était une manchette ou avec un instrument. Je me suis juste relevé après et j’ai envoyé le plus costaud d’entre eux par terre, avec un coup de poing tout aussi violent. Les assaillants étaient quatre, sans compter Ousmane. A entendre l’accent de leurs invectives, j’ai tout de suite compris qu’ils étaient gambiens. Ousmane est allé éteindre la lampe. Les autres, apeurés par le coup qu’a reçu leur chef, ont tous sorti leurs pompes à gaz. Malgré la pénombre, je connaissais assez les lieux pour m’y être rendu à plusieurs reprises. Je me suis dirigé vers la porte, mais, ils avaient pris la précaution de la verrouiller. Je sentais que j’allais m’évanouir, si je restais là-bas une minute de plus. J’ai plongé contre une vitre qui était la seule issue, tout en me roulant sur moi-même, comme on nous l’a appris. (Ndlr : Il montre les sutures sur ses deux avant-bras). Là, j’ai détalé de toutes mes forces jusqu’à la brigade de Somone pour avertir les forces de l’ordre.
Ils ne vous ont poursuivi ?
Non. Ils ne m’ont pas poursuivi. Tout ce que j’ai vu en sortant, c’était une grosse voiture 4X4 noire devant la maison, qui n’était pas là à mon arrivée. C’est certainement là qu’ils allaient me mettre. Quand nous sommes retournés à la maison, avec les forces de l’ordre, il n’y avait que le gardien. Qu’ils avaient pris le soin d’envoyer faire des achats dans un lieu assez éloigné pour accomplir leur besogne. Le gardien nous a dit qu’il les avait tous trouvés en train de tousser et d’éternuer comme des malades. Quand il s’est enquis de la situation, mes agresseurs lui ont dit que j’étais recherché et qu’ils allaient prendre la voiture pour me retrouver. En fait, ils se sont évaporés dans la nature. Depuis lors, plus de nouvelles d’eux et d’Ousmane.
De quoi souffrez-vous ?
De contusions internes, en plus de mes 13 points de suture. C’est à l’hôpital de Nguékhokh que j’ai reçu les premiers soins, puis j’ai été transféré à l’hôpital Principal de Dakar. Mais heureusement plus de peur que de mal.
Pourquoi pensez-vous que le régime de Yaya Jammeh a mis votre tête à prix ?
Mon problème avec Yaya Jammeh date de 2006. Après un coup d’Etat manqué contre lui, il est devenu totalement paranoïaque. Sa garde rapprochée a fait transférer cinq personnes présumées impliquées, de la prison de Miles Two à celle de Jam Jam Bureh, dont mon cousin Mane Lafi Cor. Le problème, c’est que ce transfèrement a servi de prétexte à leur assassinat. La version officielle était celle d’un accident durant le trajet. J’y croyais jusqu’au jour où des militaires qui ont exécuté cet ordre, avec Sanah Manja à leur tête, s’en sont fièrement vantés devant moi, sans savoir que j’étais apparenté à l’une des victimes. Je disais ça à qui voulait l’entendre dans la caserne, car beaucoup de militaires croyaient aussi qu’ils étaient morts par accident. Là, je suis clairement devenu une menace. Et c’est de là qu’est partie la première tentative d’en finir avec moi qui a eu lieu en 2010.
Comment ?
Je conduisais une jeep avec deux autres personnes à bord quand une puissante lumière m’a ébloui les yeux. J’ai juste entendu un grand boom ! Il parait que nous avons heurté un gros porteur, en panne sur la route. En tout cas, c’est ce qui a été avancé dans la presse gambienne. Je sais juste que j’ai été projeté dehors, et quand j’ai vu des hommes en treillis s’affairer autour du véhicule, j’ai tout de suite compris c’était des soldats payés pour nous achever. Les deux autres occupants ont été tués par la violence du choc. J’ai couru de Faraba jusqu’à Diouloulou, en Casamance. C’était le 7 juillet 2010. Une semaine plus tard, j’étais installé à Guédiawaye. Et puisqu’il fallait trouver du travail, et que je ne suis pas quelqu’un de sédentaire, je me suis rendu au Campement Nguekhokh. Je travaillais comme manœuvre (Ndlr: journalier payé pour aider le maçon). C’est nous qui avons même construit l’usine d’eau ‘Mana’. A l’occasion, il m’arrivait de forer des puits aussi. Ce n’est pas la première fois. Ils ont envoyé des gens à maintes reprises pour me quérir. Mais les sbires s’arrêtaient juste à Dakar. Ils ne soupçonnaient même pas que j’étais dans la région de Thiès.
Comment ils ont fait pour savoir cette fois ?
Je préfère ne pas répondre (Ndlr : il déclare que la gendarmerie sénégalaise a ouvert une enquête qu’il ne veut pas gêner. Sur notre insistance, il a dit qu’il soupçonne un ancien militaire gambien qui l’a mis en rapport avec le Sénégalais Ousmane Diop de lui avoir tendu ce guet-apens)
Comment faites-vous pour savoir qu’une équipe de commandos a débarqué au Sénégal pour vous ‘‘récupérer’’?
Nous avons toujours des attaches dans l’armée et dans les services secrets gambiens. Tout le monde ne partage pas les options meurtrières de Yaya Jammeh. Mais, il est très craint. Donc, certaines personnes nous appellent et nous disent de faire attention, à chaque fois, que les ‘chiens sont lâchés’.
Après six ans de présence, votre couverture a sauté. Avez-vous l’impression que les éléments du régime vont revenir vous chercher ?
Cet exil sénégalais n’est plus sûr pour moi. Yaya Jammeh est un tyran sanguinaire et violent qui veut ma tête. Il ne sera en paix que lorsque je serai mort. Il n’a que ça en tête. C’est quelqu’un de très rancunier. S’il met ta tête à prix, ses hommes de mains feront tout pour lui faire plaisir. Que ce soit le Sénégal ou ailleurs en Afrique, je ne me sens plus en sécurité. Il a enlevé Ma Awa Cham, ici. Il a également pris Saul Ndaw. Moi, je suis le premier échec qu’il vient de subir et je suis sûr qu’il va recommencer. Je veux qu’on m’aide à m’exiler dans un autre endroit plus sûr.