Des voies ferrées aux rails très anciens (autour de 90 ans) et de faible performance ( charge à l'essieu de 15 & 17 tonnes /essieu); des traverses métalliques ou traverses en béton bi-bloc; des ouvrages d'art très anciens, une plateforme érodée, très étroite, très polluée. Toutes les composantes de l'infrastructure ferroviaire au Sénégal sont obsolètes et très mal entretenues. Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans un matériel roulant extrêmement vétuste. En conséquence, les conditions d'exploitation sont caractérisées par le très mauvais état de la voie, des matériels et de nombreuses nuisances ainsi que des risques d'accident très élevés. Bref le chemin de fer n'existe plus au Sénégal. Le gouvernement de Macky Sall veut remettre le chemin de fer… sur les rails, à travers un programme de modernisation des infrastructures ferroviaires entre Dakar et Thiès. Programme qui englobe la construction de nouvelles lignes pour relier les différentes régions et la réhabilitation des lignes où le train ne siffle plus.
La longue agonie
Jouir de son statut de ville que lui confère le transport ferroviaire, Thiès ne refuse pas. Mais depuis la privatisation des transports ferroviaires qui faisaient tant le charme de cette localité sous l'appellation de « Thiès ben ndeuk niari gare » (une ville, deux gares, Ndlr), Thiès ne sourit plus, parce que le train ne siffle plus. Un Comité de réflexion pour la relance des activités ferroviaire en appelle à la relance de la politique ferroviaire selon les exigences de l'heure.
Il était une fois, un train devenu le symbole d’une ville dont il a fait la prospérité et la fierté. Un train qui apportait l’énergie essentielle à la vie quotidienne et les moyens de subsistance. Son sifflement annonçait… un nouveau souffle de vie sur les affaires, le commerce, la vie sociale, entre autres. Avec sa cargaison de marchandises et ses milliers de voyageurs, il venait à la rencontre d’un petit monde dont la vie et l’activité en dépendaient. Photographie figée d’une période faste, d’un bonheur sifflant... qui ne siffle plus, plongent le rail dans une léthargie totale. Du moins depuis l’année ou l’Etat du Sénégal s’est engagé dans un processus de privatisation des sociétés ferroviaires nationales dans le cadre des politiques d’ajustements structurels prônés par le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale dans les années 1990.
C’est un 1er octobre que les travailleurs des chemins de fer, les techniciens, conducteurs, ont vu le monde s’écrouler devant leur pied avec la privatisation de leur société. Occasionnant avec la dévaluation de 1994 une dette lourde de la société nationale avec 34 milliards F Cfa à payer. Une ardoise lourde mais rien de grave, si l’on sait que les bénéfices générés par les trains pouvaient permettre aux acteurs non seulement d’éponger la dette, mais aussi entretenir la société qui commençait déjà à connaitre des difficultés.
Malgré cet espoir, la privatisation pour la réhabilitation et la modernisation, l’activité économique ferroviaire au Sénégal n’a fait qu’aggraver la situation. En lieu et place des 24 locomotives, 10 locotracteurs, des matériels d’exploitation, le renouvellement et l’aménagement des infrastructures et une enveloppe de 5 milliards 100 millions F Cfa, la société repreneur n’a consenti aucun investissement.
Les sociétés ferroviaires vont ainsi connaitre le début d’une longue crise, occasionnant des conséquences sur l’outil d’exploitation.
« Le chemin de fer a été l’objet d’une grande farce financière. La société a supprimé le trafic. TransRail devient alors un liquidateur. A ce jour, il n’y a aucun matériel, pas un mètre de rail, même pas un wagon. Ils travaillent sur les même machines, tranche net Amadou Cogna Ndiaye, ancien conducteur.
« Une société liquidatrice », l’expression est partagée par les membres du Comité de réflexion de propositions pour la Relance des activités ferroviaires et d’évaluation des contentieux qui restent convaincus que le repreneur n’est mû que par ses intérêts.
Composé d’anciens cheminots, des contrôleurs, des conducteurs de train, des inspecteurs, anciens secrétaires généraux de syndicats, entre autres, ce Comité n’y va pas par quatre chemins pour dire que la privatisation a été « un grand scandale financier et social ».
«Dix ans après la privatisation, nous sommes restés sur notre faim avec beaucoup de contentieux. Les revendications liées à l’ex Société nationale de régie des chemins de fer sont restées à ce jour en latence », souligne Ousseynou Seck, ancien Inspecteur des chemins de fer.
Un autre membre du comité de réflexion qui a capitalisé plus de 34 ans de service, Alioune Diouf, se rappelle en soulignant que, « à l’époque, il y avait 10 circulations entre Dakar et Saint Louis et quatre rotations, allers et retours, entre Guinguinéo et Tamba et Tamba Kidira. Si vous faites la jonction des recettes, la société faisait un chiffre d’affaires rien que pour les transports de 3 milliards 500 millions F Cfa ».
Pendant ce temps, les commerçants qui ne trouvaient pas de difficultés pour rallier Dakar Tambacounda en 4 h temps par l’Express, Dakar/Saint-Louis en 3h et enfin Dakar-Kaolack en 2 heures, voient leur business chuter. Ils souffrent tout comme les habitants de certaines communautés rurales, départements ou régions ou l’activité était dense. A cette période, Thiès, Louga, Saint Louis et Diourbel étaient l’objet d’un important trafic de marchandises.
« Quand le train marquait un arrêt là-bas, les paysans vendaient leurs produits pour acheter sur place des poissons frais. Toute la sous-région s’alimentait en sel jusqu’au Niger. L’aveugle même y trouvait son compte parce que les gens lui donnaient de l’argent. Les vendeurs de pain, de fruits ou de matériels trouvaient leur subsistance dans cette gare », se rappelle le coordonnateur du comité de réflexion, Amadou Cogna Ndiaye.
A cet effet, se rappelle le Secrétaire général du Syndicat ferroviaire indépendant du Sénégal, le chiffre d’affaires tournait aux alentours de 10 à 12 milliards par an en 1994 avec 27 locomotives dont 15 opérationnelles et plus de 530 wagons disponibles, plus 150 voitures qui faisaient la jonction du trafic Dakar-Bamako.
L’urgence
Constatant cet état de fait, les anciens employeurs de ladite société s’engage dans une réflexion pour relancer le chemin de fer, gage d’une création d’emplois dans les régions. C’est ainsi qu’ils ont envisagé de mettre en place un programme dénommé « Plateforme citoyenne pour une contribution des cheminots au développement ferroviaire ». Ceci pour jeter les bases d’une relance sans précédent de l’activité ferroviaire pour le développement durable du Rail.
Pour ce comité, l’urgence est de travailler sur les acquis laissés depuis la privatisation de la société avec une contribution de l’Etat aux charges d’infrastructures ferroviaires dans une perspective de trouver une solution à la problématique du désenclavement du transport urbain et rural.
« Les autres pays comme la Côte d’ivoire s’activent sur la politique du chemin de fer. La modernisation du chemin de fer avec un trafic Touba-Daara-Linguère voire même faire une jonction Tambacounda-Ziguinchor pour l’arachide », a fait savoir M. Diouf, ancien Conducteur de train.
En attendant cette restructuration, les ex travailleurs des chemins de fer attendent toujours l’application du plan social comme indiqué dans le protocole d’accord.
« Nous attendons toujours la réinsertion des déflatés. Les jeunes sont dans la misère totale. Nous courons derrière notre dû. Nous avons des enfants à nourrir, nos familles », s’indigne Bou Diallo, responsable des jeunes déflatés, tout en ajoutant que « nous avons sacrifié notre vie pour la société ».
1885
L’année 1885 constitue une date charnière dans l'histoire ferroviaire du Dakar Niger. Démarrés en 1882, les travaux de construction de la ligne de chemin de fer Dakar- Saint-Louis appelée (DSL), la première en Afrique occidentale française(AOF) s'achèveront le 12 mai 1885. La pose du dernier rail a été suivie de la réception des travaux le 07 juin 1885 et de l'inauguration du 06 juillet de la même année sur le tronçon Ndandé - Kébémer.
La construction de la troisième ligne de chemin de fer de Thiès à Kayes appelée Thiès - Kayes, commencée en 1905 pour assurer la continuité par les rails de Dakar à Bamako, a pris fin en 1923. Dès 1924, les lignes Thiès - Kayes et Kayes - Niger fusionnent pour donner naissance à la ligne appelée Thiès - Niger. A la même année, il y a eu l'adjonction du DSL au Thiès - Niger pour donner naissance au Dakar- Niger.
Dans les années 1960 les Etats africains, à l'instar du Mali et du Sénégal, avaient hérité de ces chemins de fer extravertis servant à transporter les richesses locales vers la métropole. Nouvellement indépendants, les Etats voulaient changer la vocation de ces chemins de fer pour en faire des outils de développement.
En 1990, dans le cadre des politiques d'ajustements structurels prônés par le FMI et la Banque mondiale, les gouvernements du Mali et du Sénégal ont décidé de privatiser les sociétés ferroviaires nationales. Ainsi, il a été confié à un opérateur privé l'exploitation technique et commerciale des services de transport ferroviaire des marchandises, l'entretien, l'exploitation, le renouvellement et l'aménagement des infrastructures et la gestion financière du domaine ferroviaire.
Les Etats du Mali et du Sénégal ont signé le 23 septembre 2003 avec le concessionnaire (groupement CANAC -GETMA) constitué en société anonyme dénommée Transrail, une convention de concession du chemin de fer Dakar - Bamako. Par la suite, la décision de concession sera approuvée par le conseil des ministres des deux pays concernés en octobre 2003. Le capital social souscrit de Transrail - sa est de 9 100 000 000 FCFA. Les privés nationaux détiennent 22%. Les Etats maliens et sénégalais détiennent chacun 11% tandis que Transrail est actionnaire majoritaire avec 56%.