«Je conteste formellement de s’être introduit dans la politique intérieure du Sénégal. Je mets au défi qui que ce soit de sortir une seule déclaration que j’ai faite qui puisse être interprétée comme une ingérence dans la politique intérieure du Sénégal ». C’est en ces termes que Jean Félix Paganon, le désormais ex ambassadeur de la France au Sénégal, a balayé d’un revers de main les accusations d’ingérence dans les affaires intérieures du Sénégal. Dans cet entretien, il dresse le bilan de ses quatre ans de présence dans notre pays aux plans politique, économique et culturel. Le diplomate revient sur la déclaration de Hissein Habré, après sa condamnation, criant haro sur la France-Afrique etc.
Quel bilan tirez-vous, après quatre années de service au Sénégal ?
Dans tous les domaines de la coopération bilatérale, on fait des progrès. Sur le plan politique, sur le sujet qui préoccupe, de façon centrale, le gouvernement sénégalais, le dialogue, la qualité de la relation, la confiance, le partage des positions étaient très remarquables au plan sécuritaire. Ceci est vérifiable sur le Mali, la Guinée-Bissau et aujourd’hui sur la Gambie. Sur ce côté, les choses ont montré qu’il y’a eu une grande confiance entre nos deux Etats. Il se trouve aussi que le Sénégal occupe une place tout à fait centrale, puisque le Chef de l’Etat, Macky Sall est aussi le président du Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) donc, le représentant de l’Afrique au G7 et au G20. Il se trouve qu’il est aussi le président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ; que le Sénégal est aussi membre du Conseil de sécurité des Nations unies. Tout ceci constitue des possibilités de dialogue et de définition de positions communes dans ces différentes enceintes.
Quid des relations franco-sénégalaises ?
Maintenant, sur le plan des relations franco-sénégalaises, puisqu’elles touchent aux relations des français et des Sénégalais, des progrès considérables, en ce qui concerne les questions consulaires, pour ne pas dire directement les visas, ont été enregistrés. D’abord, dans l’accueil du public avec l’externalisation, donc, nous n’avons plus à subir la situation inacceptable avec ces longues files d’attente devant le consulat. Maintenant, les conditions d’accueil sont très satisfaisantes. Ensuite, nous délivrons maintenant près de trente mille visas par an. Nous avons des taux de délivrance qui sont supérieurs à 70%. Notre consulat général au Sénégal est celui qui a le meilleur taux de délivrance comparé à celui de tous les autres pays de la Cedeao. Nous avons également de très loin le meilleur taux de délivrance des pays de l’espace Schengen ici, à Dakar. Je crois que là, il y’a eu une amélioration très spectaculaire et j’en suis très content parce que je sais que c’est un sujet d’incompréhension et de frustration de la part de nos amis Sénégalais. Notre politique en matière de visas est que désormais quand il y’a un doute sur l’intention du demandeur de visa - ce qu’on appelle le détournement de l’objet du visa - notre politique systématique est d’accorder le visa. Ce qui explique que nous avons un taux élevé de délivrance. Mais, il y’a de nombreuses situations dans lesquelles (les documents produits sont faux, les adresses et les références fournies sont fausses) on ne peut faire que de refuser le visa. Il y’a des règles qui doivent êtres respectées.
Quel est l’apport économique de la France pour notre pays, durant votre séjour au Sénégal ?
Sur le plan économique, nous avons eu le plaisir d’abriter la cérémonie de lancement du Plan Sénégal émergent (siège de la Banque à Paris) bien que ce n’était pas une initiative franco-sénégalaise. Je crois que la France, dès le début - et cela s’est confirmé – s’est engagée massivement dans la mise en œuvre du Pse dans le domaine des grandes infrastructures, puisque c’est la volonté du Président Macky Sall, mais nous sommes déterminés à y répondre. La France va vraisemblablement être un acteur majeur dans la réalisation du train express régional. Dans le domaine de l’agriculture, qu’il s’agisse du développement de l’exportation de qualité ou de l’objectif de suffisance en production du riz, là aussi, des opérateurs français jouent un rôle très important. Nous souscrivons pleinement à la priorité donnée par le Président Macky Sall au développement de l’agriculture. Nous sommes vraiment déterminés à apporter tout le concours possible, soit par des interventions publiques, via l’Agence française de développement qui va lancer un programme très important dans ce qu’on appelle le tiers sud, dans le sud-est du pays. Soit à travers des initiatives privées qu’il s’agisse de la compagnie agricole de Saint-Louis qui a un très important programme de développement de la riziculture dans les abords de Saint-Louis que d’autres acteurs tels que les grands domaines du Sénégal qui ont des projets très importants, aussi bien dans la vallée du fleuve que dans la région de Tambacounda.
Et au plan culturel, qu’est-ce qu’on peut en retenir ?
Je pense que sur le plan culturel, nous avons aussi eu des moments forts, évidement le sommet de la Francophonie qui a été un grand succès. Succès à la fois politique, puisque cela a permis, dans les bonnes conditions, de désigner le successeur du Président Diouf. Je crois que cela a permis une relance de la francophonie dans un domaine nouveau pour l’Oif, celui économique. Ensuite nous avons eu le dynamisme de l’Institut français, à l’occasion du sommet de la Cop21, le grand succès du concert pour la planète, une initiative européenne où l’institut français a joué un rôle important. A tous ces domaines, il faudrait aussi souligner l’implication de Canal+, l’audience importante de Radio France internationale (Rfi). Bref, je crois que dans tous ces domaines, il y’a eu des réalisations importantes.
Ensuite, il y’a des moments de solidarité, au moment de la crise de l’eau. Je crois qu’aussi bien le gouvernement français que les acteurs économiques français, tous se sont mobilisés pour répondre à l’attente des autorités et des populations sénégalais pour retour à la normal dans les meilleurs délais possibles.
Après sa condamnation par les Cae, Hissène Habré, l’ancien président tchadien a crié haro sur la France-Afrique. Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ?
C’est particulièrement ironique qu’il (Hissein Habré) dise ça. Le procès d’Hissein Habré est l’illustration de la réappropriation de la justice pénale internationale. C’est une alternative à la Cour pénale internationale (Cpi) qui existe et démonte son efficacité. Cette cour est une excellente chose et d’ailleurs nous ne pouvons que la saluer. Nous constatons que l’une des critiques récurrentes adressées à la Cpi est que c’est une justice qui ne se préoccupe que de l’Afrique et qu’il y’a une espèce de deux poids et deux mesures et que c’est l’Afrique qui est systématiquement mise en cause dans le cadre de la Cpi. Et, là on a une juridiction ad hoc mise en place par l’Union africaine (Ua), une cour qui est entièrement africaine, démontrant ainsi sa capacité à mettre en place un système de justice pénale internationale. Je ne vois absolument pas ce que cela à voir avec la France Afrique.
Pourtant, il est dit que c’est la France qui derrière tout cela. Qu’en est-il ?
La question devrait être posée à la présidente de l’Union africaine, Madame Zuma. Si les décisions qui ont été prises à Adis Abeba le sont pour le compte de la France. Si j’étais la présidente de l’Union africaine, je serais extrêmement choquée par la déclaration de Hissein Habré. La France ne tire pas les ficelles de l’Union africaine. La France est respectueuse des organisations régionales. L’un des axes de notre diplomatie est de considérer que les organisations universelles telles que les Nations Unies devraient avoir un rôle de subsidiarité et que ce sont les organisations sous régionales qui devraient essayer de régler les crises politiques ou les questions telles que la justice pénale internationale. Notre rôle s’exerce dans les institutions où nous sommes membres, mais nous n’avons aucun rôle à jouer dans les organisations telles que l’Union africaine.
Des syndicalistes dénoncent la mainmise de France télécom sur la Sonatel. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Il s’agit d’une question qui est purement technique. Je ne suis pas un expert en télécommunication, mais je comprends que la tendance lourde de la part de tous les opérateurs téléphoniques est effectivement d’externaliser la maintenance de leur réseau. Pourquoi ? Parce qu’au fond, c’est le même métier que celui des fabricants de réseaux. Et quand on se tourne vers un fabricant de produit, de matériels pour les réseaux téléphoniques, il est assez logique de demander à ce fabricant d’assurer la maintenance de ce matériel. C’est une tendance des operateurs qui deviennent essentiellement des producteurs de contenu, c’est-à-dire la multiplication des possibilités offertes par les téléphones portables ou les tablettes. En termes de musiques, de séries, de communication entre les gens, c’est ça maintenant le travail central des opérateurs téléphoniques. Donc ce qui se fait à travers le monde pourrait se faire au Sénégal. Je ne sais pas les intentions d’orange, mais ça n’a rien à voir avec le colonialisme. C’est une tendance lourde qui existe dans tous les pays du monde et je suis absolument convaincu que si orange devait se diriger dans cette direction ici au Sénégal, toutes les garanties seraient apportées au personnel que les conditions de ce transfert ne se feront pas au détriment des personnel d’orange. Je crois que ceux qui critiquent cette éventuelle option feraient bien de regarder ce qui se passe dans le reste du monde et ils se rendraient compte que cette évolution est une évaluation mondiale.
Et si la Sonatel prenait son indépendance ?
Une fois de plus, je crois que ça ne serait pas une bonne chose que le Sénégal soit à la traîne, si cette évolution est imposée par les modifications de l’industrie des Tic. La sagesse est de s’inscrire dans ce mouvement. Je dois d’abord rappeler les choses et les marteler : le public sénégalais doit être informé, la Sonatel est une entreprise sénégalaise cotée à la bourse d’Abidjan dont 99% du personnel est sénégalais. Quand je dis 99% ça doit être 99,9% du personnel. Et c’est une entreprise sénégalaise qui est l’une des entreprises les plus performantes dans l’environnement régional, donc il faut quand même arrêter de transformer la question de la Sonatel dans une espèce de domination de la France sur l’économie sénégalaise. La Sonatel est un des fleurons de l’économie sénégalaise dans le pays et la sous région. Et donc, ça n’a rien à voir avec une espèce de projet néocolonialiste français. Je rappelle que la Sonatel est la première ressource budgétaire du Sénégal s’y ajoutent les impôts sur les sociétés, la Tva, les dividendes perçues par le gouvernement. Elle est une source centrale dans les revenus perçus par le Sénégal.
Certains sénégalais ont dénoncé une ingérence de votre part dans la vie politique intérieure. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je conteste formellement de s’être introduit dans la politique intérieure du Sénégal. Je mets au défi qui que ce soit de sortir une seule déclaration que j’ai faite qui puisse être interprétée comme une ingérence dans la politique intérieure du Sénégal. Quand j’ai dit que la France soutient le Plan Sénégal émergent (Pse), il n’y a pas quelque chose de partisan. C’est un point de vue de la France. Et la France pense que le Pse est une bonne orientation.
Donc, votre avis sur l’affaire Karim Wade n’est pas une immixtion dans la politique intérieure du Sénégal ?
Je n’ai jamais prononcé le moindre jugement de valeur sur la politique intérieure sénégalaise. Je ne l’ai jamais fait.
Vous avez quand même déclaré que la libération de Karim Wade serait une surprise ?
J’ai simplement dit ce que tout le monde pensait. C’est-à-dire qu’il allait être condamné. Le fait était simplement de le constater. Karim Wade lui-même a dit, « je vais être condamné ». Vous pourrez dire j’ai soutenu Karim Wade qui avait lui-même dit qu’il allait être condamné. En aucun moment, je n’ai porté le moindre jugement de valeur. En aucun moment, j’ai fait la moindre déclaration qui peut être interprétée comme une ingérence.
La libération de Karim Wade avant la fin de sa peine serait-elle une surprise ?
C’est une situation qui est totalement différente sur laquelle, je ne me prononcerais pas.
Beaucoup de Sénégalais trouvent les frais des visas élevés. Est-il envisageable de les baisser ou de rembourser les personnes dont la demande n’a pas été acceptée ?
Dans le coût du visa, il y’a actuellement deux éléments. Le premier, c’est le coût du visa lui-même. Ca, ce n’est pas la décision française, mais Schengen. Ce n’est pas nous qui fixons le prix du visa, c’est une décision collective des pays de l’espace Schengen. Je ne peux que constater. La seule façon de réduire le coût serait qu’il y ait un débat au sein des Etats Schengen, mais je ne crois pas que l’idée soit actuellement sur la table. Le deuxième élément de coût, c’est la contribution du prestataire de service. Il y’a l’amélioration du service. Et, elle a un coût. Nous veillons à ce que le coût de la prestation soit raisonnable. Pour le non remboursement des frais après rejet, c’est l’ancien système. Dans la passé on payait la vignette. Maintenant ce qui est payé est la gestion du dossier. Tous les pays ont constaté que ce qui coûtait, ce n’est pas apposer la vignette sur le passeport, mais c’était de gérer le dossier. Tous les pays dans le monde, ont progressivement mis en place un système dans lequel on paye la gestion du dossier et non la délivrance du visa. Les procédures, les plus coûteuses sont en général, les visas refusés. Ce sont les dossiers litigieux qui prennent du temps.
La prolifération des stations d’essence Total à Dakar est vue comme une sorte de mainmise de la France. Qu’en pensez-vous ?
La situation est très loin d’une domination du marché sénégalais. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais je suis convaincu qu’ils n’ont pas 50% du marché. Il y’a énormément d’autres stations et d’autres distributeurs. Si vous regardez sur l’importation du pétrole, vous vous rendez compte que ce sont des opérateurs sénégalais qui jouent un rôle central dans toutes les opérations d’importation du pétrole. Avec la distribution on a l’impression que Total est omniprésent, mais le processus d’importation est très loin d’être entre les mains de Total. Il est entre les mains de Sénégalais.
La France n’est-elle pas intéressée par l’exploitation du pétrole sénégalais ?
On est à un stade très préliminaire qui est l’exploration. Et celle-ci est faite par des entreprises qui ne feront pas l’exploitation. Aucune des entreprises n’a la vocation à faire de l’exploitation. Une fois qu’elles auront confirmé l’existence de pétrole et de gaz, elles vont se tourner vers les grandes compagnies pour assurer l’exploitation. Nous sommes encore au stade de l’exploration. Elle doit confirmer l’existence de ressources gazières et pétrolières. On va maintenant voir les compagnies qui sont intéressées par l’exploitation. Il est beaucoup très tôt de dire que les français ne sont pas présents. Nous sommes actuellement dans le domaine du virtuel, hypothétique, des rumeurs, mais tout ceci n’est fondé sur rien. Nous ne sommes pas dans la phase de l’exploitation. C’est-à-dire la sélection des entreprises qui vont exporter le pétrole cela ne veut pas dire que ça prendra beaucoup de temps. Nous n’en sommes pas encore-là. Les choses peuvent venir assez rapidement. Mais de toute façon, dans le domaine pétrolier, le temps entre la confirmation de l’existence de ressources et le premier baril de pétrole ou de gaz qui commence à être produit est assez long. Dans un avenir proche, le secteur de l’énergie va devenir le moteur de l’économie sénégalaise. En se basant sur les découvertes actuelles, il est clair que l’énergie sera dans les prochaines années, le premier secteur de l’économie sénégalaise. Il est clair que si la France veut rester un partenaire de référence pour le Sénégal, il faudra qu’elle soit impliquée dans le secteur énergétique sénégalais. Nous n’avons pas peur de la concurrence.
Quel est votre avis sur les orientations économiques du Président Macky Sall ?
En termes économiques, nous nous souscrivons pleinement aux orientations fixées par le Pse. Nous croyons véritablement que c’est la bonne voie. Il y a deux sujets que nous pensons être le bon choix parce que ça correspond aux priorités et c’est là où le potentiel est plus important pour parvenir à la croissance. L’émergence c’est un autre mot. Pour la croissance, il ne s’agit pas de faire face année après année aux défis démographiques. Il s’agit de déclencher un processus de croissance de l’économie. Le Produit intérieur brut (Pib) augmente plus vite. L’agriculture est génératrice d’emploi et est indispensable pour l’équilibre de la balance commerciale sénégalaise. Il y’a une infrastructure qui me semble un choix tout à fait remarquable, c’est la ligne de chemin de fer qui ira très rapidement de Dakar à Diamniadio et plus tard vers Aidb.
Quel est le moment qui vous a le plus marqué pendant votre passage au Sénégal ?
Le moment qui m’a le plus marqué au Sénégal, c’est après les attentats de France du 13 novembre. Nous étions avec un certains nombre d’amis et collaborateurs en tournée d’inauguration des réalisations de la coopération française et en appuis des initiations des migrants dans la région du Fouta. Le 13 novembre au soir nous avions appris les tragiques événements de Paris. Nous avions un programme le 14 novembre et nous nous sommes interrogés de savoir si nous allons maintenir le programme, parce que toutes ces inaugurations donnaient lieu à des accueils très festifs et très chaleureux ? On a alors décidé de continuer. Mais en demandant aux maires des différents villages que nous devront supprimer toutes activités à caractère festif. Je veux dire que nous avions été bouleversés par l’expression de sympathie des populations du Fouta (les drapeaux en berne, tout le monde portant des brassards rouges, des chants de la marseillaise et des témoignages exceptionnels de sincérité, de profondeur, avec la compassion des gens qui disaient que le Sénégal est touché comme la France .C’était sans doute pas un moment pas très politique mais, personnellement, le plus important de mon passage au Sénégal.
Quel qualificatif donnez-vous au Sénégal ?
Il y’a une cohérence entre l’image et le slogan, Teranga. C’est un pays fondamentalement accueillant.