Dakar - Le tribunal spécial africain qui juge Hissène Habré à Dakar pour crimes contre l’humanité a entamé lundi matin la lecture de son verdict, au terme d’un procès inédit censé servir d’exemple en Afrique, un quart de siècle après la chute de l’ex-président tchadien.
Poursuivi pour "crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de torture", Hissène Habré a dirigé le Tchad pendant huit ans (1982-1990) avant d’être renversé par un de ses anciens collaborateurs, l’actuel président Idriss Déby Itno, et de se réfugier au Sénégal en décembre 1990.
Arrêté le 30 juin 2013, il est jugé depuis le 20 juillet 2015 par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), créées en vertu d’un accord entre le Sénégal et l’Union africaine (UA), qu’il récuse et devant lesquelles il refuse de s’exprimer ou de se défendre.
Une commission d’enquête tchadienne estime le bilan de la répression sous Hissène Habré à quelque 40.000 morts.
Le président du tribunal spécial, le magistrat burkinabè Gberdao Gustave Kam, a ouvert la séance peu avant 10H30 (locales et GMT), rappelant les éléments du dossier et le déroulé du procès, marqué par l’audition de "96 victimes, témoins et experts".
Comme depuis le premier jour du procès, où il avait été amené de force à l’audience, le prévenu, en boubou et turban blancs, le regard caché par des lunettes noires, restait impassible lundi.
Conformément à ses instructions et à son attitude depuis l’ouverture du procès - qui a conduit les CAE à désigner trois avocats commis d’office pour assurer sa défense -, les conseils choisis par Hissène Habré n’étaient pas présents.
Les avocats commis d’office et ceux des parties civiles assistaient en revanche à l’audience, de même que des défenseurs de droits humains, et des partisans de l’accusé, dont des proches, dans une salle plus clairsemée qu’à l’ouverture du procès.
A la clôture des débats, le 11 février, la défense a plaidé l’acquittement.
L’un des avocats commis d’office, Mbaye Sène, a assuré à l’AFP attendre "le verdict avec beaucoup de sérénité", estimant avoir établi l’innocence de Hissène Habré et concluant à "l’impossibilité pour l’accusation et les parties civiles de prouver sa culpabilité".
Le procureur spécial, Mbacké Fall, avait réclamé la prison à perpétuité contre le président tchadien déchu, "véritable chef de service" de l’appareil de répression sous son régime, en particulier la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique.
- ’Un précédent extraordinaire’ -
Pour un des avocats officiels de l’accusé, Me Ibrahima Diawara, "cette affaire n’est pas judiciaire mais politique. Il n’y a qu’une seule issue, que Hissène Habré soit condamné".
Ce procès est le premier au monde dans lequel un ancien chef d’Etat est traduit devant une juridiction d’un autre pays pour violations présumées des droits de l’homme, se félicite au contraire Reed Brody, cheville ouvrière de cette procédure au sein de Human Rights Watch (HRW).
Il vise également à répondre aux griefs croissants contre la Cour pénale internationale (CPI), siégeant à La Haye, accusée de ne poursuivre que des dirigeants africains, en montrant que le continent peut les juger lui-même.
"Ce procès est un précédent extraordinaire qui montre que des tribunaux africains peuvent juger des crimes commis en Afrique", a déclaré Reed Brody à l’AFP.
"Nous espérons que d’autres survivants, d’autres militants, s’inspireront de ce que les victimes de Habré sont parvenues à accomplir", a-t-il dit.
Au Tchad, des victimes présumées du régime Habré pouvaient suivre le verdict en direct sur la télévision et la radio.
"Mon soulagement, ce serait de voir Habré condamné à vie, même si je ne sais pas dans quelles circonstances mon époux a été tué" en 1988 dans les geôles de la DDS, a confié Zenaba Moussa.
Pour Massa Moïse, détenu pendant trois ans par la DDS et qui dit ne toujours pas savoir pourquoi, "Habré doit être condamné à mort".
L’accusé encourt jusqu’aux travaux forcés à perpétuité. En cas de condamnation, dont il peut faire appel, il purgera sa peine au Sénégal ou dans un autre pays de l’UA.
S’il est reconnu coupable, une autre phase s’ouvrira durant laquelle seront examinées d’éventuelles demandes de réparation au civil.
Un collectif d’organisations de défense des droits de l’homme internationales et africaines a salué dimanche, "la tenue d’un procès exemplaire devant déboucher sur un verdict historique", mais appelé les juges à définir rapidement "des procédures permettant l’examen des demandes de réparations des victimes".
"Le fonds au profit des victimes prévu dans le Statut (des Chambres africaines extraordinaires, NDLR) n’est pas encore opérationnel", soulignent ces organisations.
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