Yahya Jammeh, le président de la République islamique de Gambie, a obtenu hier, mardi 24 mai 2016, de son homologue sénégalais la levée de la mesure de fermeture des frontières entre les deux pays. Si l’homme fort de Banjul a mis sur la balance des négociations le mois Ramadan pour obtenir gain de cause, des observateurs avertis voient dans ses agissements des soubassements économiques. Ayant trop souffert du blocus, Banjul a mis toutes les chances de son côté, pour s’offrir le marché de l’exportation de noix d’anacarde dont c’est la traite présentement en Casamance et en Guinée-Bissau, et les opportunités d’affaires que représente le mois béni du Ramadan pour la Gambie.
L’Etat du Sénégal a entretenu, jusqu’à avant-hier, lundi 23 mai, tard dans la soirée, le flou total sur sa décision de lever le blocus au niveau des frontières avec la Gambie. La circulation est ouverte aux véhicules depuis hier, mardi matin. L’effectivité de cette levée de la fermeture des frontières, imposée par les transporteurs sénégalais, il y a trois mois et demi (le 17 février 2016), a pris de court tous les usagers, notamment les passagers et transporteurs de la transgambienne.
Neuf (9) jours après la lecture du procès-verbal (Pv) sanctionnant les 14 longues heures de discussions entre les délégations sénégalaises et gambiennes à Dakar, le dimanche 15 mai dernier, rien ne laissait présager la prise d’une telle décision… à la hâte. En effet, même si Dakar était favorable à la levée rapide du blocus, en réponse à la demande de Banjul dont la principale préoccupation était la réouverture immédiate des frontières, notre pays avait prédit que cela ne devrait arriver qu’après concertation avec tous les acteurs sur le terrain, notamment les transporteurs.
«Le Sénégal s’est engagé à tout mettre en œuvre pour que le trafic revienne à la normale et, dans ce cadre, nous allons en discuter avec tous les acteurs – transporteurs sénégalais et autorités gambiennes – qui sont concernés sur le terrain», avait garanti Mankeur Ndiaye. Et, aucun chronogramme n’étant alors établi, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur avait toutefois ajouté: «nous espérons que ça pourra se faire le plus rapidement possible».
LE PRETEXTE DU RAMADAN QUI PRECIPITE TOUT ?
Aussi, dans le Pv, sur les 11 points ayant fait l’objet d’échange entre les deux pays, Dakar et Banjul ont renvoyé les trois, notamment les questions sur la construction du pont sur le fleuve Gambie, la pêche maritime et fluviale et la gestion des frontières terrestres, jusqu’à leur rencontre prévue en juillet prochain. Alors quels sont les soubassements de cette décision ? Les autorités sénégalaises ont-elles été sensibles au mois de Ramadan (qui démarre dans moins de deux semaines) convoqué par l’homme fort de Banjul, pour justifier son acceptation à la dernière minute de discuter à Dakar, pour lâcher du lest ?
L’on se rappelle, la veille des négociations de Dakar, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Mankeur Ndiaye faisait état du refus de la Gambie de tenir les consultations dans la capitale sénégalaise. Et, expliquant son revirement, un jour après, des sources indiquent que le président gambien aurait justifié sa nouvelle position par l’arrivée du mois de Ramadan, période par excellence de pénitence, d’accomplissement d’œuvres pieuses. Donc, le plus beau «cadeau» à offrir aux Sénégambiens, c’était de lever tous les blocus aux frontières et faciliter la libre circulation des croyants jeûneurs et des biens en ce mois béni.
UNE PERTE QUI FAIT FREMIR BANJUL
Toujours est-il que des acteurs et autres observateurs s’interrogent sur ce qui a motivé cette «précipitation» dans la prise d’une telle décision. Selon des observateurs, la nouvelle attitude de l’homme fort de Banjul est motivée par des soucis financiers. Pour eux, le président Jammeh, en fin stratège, après avoir perdu des milliards dans cette crise, les deux bacs de Bara (Banjul) et Farafenni (transgambienne) à eux seuls rapportant plusieurs dizaines de millions de F Cfa par jours à la caisse de l’Etat gambien, ne pouvait voir filer sous le nez le marché de l’exportation de l’anacarde casamançais et Bissau-guinéen.
L’EXPORTATION DE L’ANACARDE, UNE AUBAINE POUR JAMMEH
En effet, confessent ces sources, en cette période de l’année, c’est la traite des noix d’anacarde au Sud du pays. Indiens et Maures investissent les campagnes casamançaises, en finançant des opérateurs et autres jeunes qui sont chargés d’acheter la production auprès des agriculteurs avant de la convoyer sur Ziguinchor. Ce marché, essentiellement contrôlé par des étrangers (les Indiens), constitue une aubaine et une source de revenue importante pour la Gambie.
Car, le port de Dakar étant assez éloigné de la région naturelle de Casamance, celui de Ziguinchor ne pouvant jusque-là faire l’affaire, même si le vœu des autorités c’est de «faire du port de Ziguinchor un hub commercial», les Indiens se rabattent sur Banjul, plus proche et plus attractif en termes de temps et de distance. En atteste, depuis plusieurs années, toute la production d’anacarde, ou presque, destinée à l’exportation, tout comme celle de la Guinée-Bissau voisine, transite par le port de Banjul à destination du marché extérieur. Ce qui constitue une importante source de revenus pour Yaya Jammeh.
Déjà, en marge d’un forum sur la filière organisé le 22 mars dernier, le directeur de cabinet du ministre du Commerce, du Secteur informel, de la Consommation et de la Promotion des produits locaux, Augustin Faye, faisait état de la place de l’Inde dans les exportations d’anacarde. A l’en croire, ce pays et le Vietnam constituent les premières destinations de l’anacarde du Sénégal. Plus de 95% de la récolte est envoyé dans ces deux pays. Chaque année, le Sénégal exporte 40.000 tonnes d’anacarde. Une production que les autorités comptent amener à 100.000 tonnes d’ici 2018. Dans le monde, le Sénégal est le 15ème pays exportateur d’anacarde. Et le convoyage de l’anacarde à l’étranger génère des profits pour le port de Banjul.
Quid de l’exportation de denrées alimentaires et autres produits de consommation divers? La Gambie étant un pays commercial, ses grands commerçants importent des milliers de tonnes de marchandises qu’ils ventilent dans le marché casamançais voisin et en Guinée-Bissau, via Ziguinchor. Et, période ne peut être plus propice que le mois béni du Ramadan pour mieux écouler ces produits souvent bon marché, comparés à ceux en provenance de Dakar.