a lecture que nous avons cru devoir faire du décret instituant la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) témoigne de la volonté du chef de l’Etat de faire évaluer les Institutions du pays par des hommes et des femmes réputés pour leurs compétences intellectuelles et pour leur probité morale et, le cas échéant, d’ouvrir et de justifier les voies nécessaires pour leur réforme. En cela, la CNRI se distingue du législateur qui, lui, et pour faire court, vote les lois.
Evaluer et éventuellement proposer des pistes de réforme, disons-nous. Tel est en tout cas le rôle de moraliste dévolu à la CNRI par le président Macky Sall. Il ne s’agit donc pas de traiter quelque mal, fût-il le « traumatisme wadien », lequel aura eu le mérite, rappelons-le, de révéler, sinon le caractère inique de certaines règles ou lois, du moins la pratique injuste ou inappropriée de ces dernières sous le régime du président Abdoulaye Wade, bien que les Institutions concernées ne le soient pas nécessairement en elles-mêmes.
Pas plus d’ailleurs qu’il n’est question, pour la CNRI, de traiter le « problème casamançais », mais de sonder en l’occurrence les Institutions et, au premier chef, l’Institution qu’est l’Etat sénégalais. Ce faisant, la question suivante apparaîtrait comme inévitable et centrale : Pourquoi le « problème casamançais » est-il survenu, pour perdurer si longtemps, malgré un système politique et démocratique sénégalais ultra performant ? En d’autres termes, comment comprendre que, dans un Etat et une Société sénégalais démocratiques, reconnus comme tels par le monde entier, il puisse y avoir, de manière durable, une guerre qui oppose l’armée nationale à quelque autre frange ou faction du Peuple qu’elle est censée protéger et défendre contre toutes agressions extérieures ?
Si nous n’étions habités ni par la nostalgie, ni par le ressentiment, ni par l’hypocrisie, ni par la peur, entre autres, nous découvririons certainement que, à la base de cette incongruité sénégalaise, où nous attendions tout particulièrement la CNRI, il y a des Institutions inadaptées, héritées d’un processus inachevé de décolonisation.
En effet, c’est un euphémisme, l’Etat sénégalais postcolonial est une pâle copie de l’Etat colonial. Et il est absurde de vouloir rendre pérenne cette absurdité, comme la CNRI semble, hélas, s’y être exercée dans la production du rapport sanctionnant ses travaux, pour devoir ainsi passer littéralement à côté de l’histoire, au regard précisément de l’histoire récente du Sénégal. Car, la réforme des réformes, au Sénégal, eût certainement été de créer un nouvel Etat et de fonder une nouvelle République, portés, et supportés, par les Régions (naturelles) du pays. Mais des Régions (naturelles) aussi autonomes (juridiquement, techniquement et financièrement) que le nouvel Etat serait décentralisé territorialement et fonctionnellement.
Connues depuis toujours sous les vocables ‘‘Le Fleuve’’, ‘‘Les Niayes’’, ‘‘Le Ferlo’’, ‘‘Le Sine-Saloum’’, ‘‘Le Sénégal Oriental’’ et ‘‘La Casamance’’, les Régions (naturelles) du Sénégal sont désignées dans l’Acte III de la décentralisation comme suit : « Casamance, Dakar-Thiès, Diourbel-Louga, Fleuve, Sénégal oriental et Sine-Saloum ».
Rappelons, tout à propos, que l’initiateur de l’Acte III de la décentralisation, qui n’est autre que le président Macky Sall, verrait, autant que nous-mêmes, dans ces Régions (naturelles) en voie de réhabilitation, à la fois de formidables pôles de développement socioéconomique émergents et le soubassement par excellence d’une expansion durable et harmonieuse de l’économie sénégalaise.
Sous ce rapport, la « recette » est et demeure unique : reconnaître constitutionnellement (et donc juridiquement) leur identité propre et leur autonomie technique et financière aux Régions (naturelles) du Sénégal ; instituer des organes (exécutifs et de délibération et de contrôle a posteriori) régionaux indépendants du pouvoir central ; et instituer une règle de redistribution équitable des ressources financières publiques nationales aux Régions (naturelles).
L’intérêt de réhabiliter lesMFDC Régions (naturelles) du Sénégal et de les ériger en Régions autonomes réside notamment dans le fait qu’elles incarnent, chacune en tant que territoire naturel et social, « une identité collective, fruit d’une histoire commune, d’une réalité et d’un avenir communs. Ce qui fait que les habitants d’un même territoire vivent ensemble les mêmes difficultés, et donc, peuvent se donner la main pour s’en sortir. Ainsi, le territoire peut être un cadre fédérateur des potentialités en vue du mieux vivre de ses habitants … Le territoire, objet d’attachement identitaire, devient alors un lieu d’investigation de stratégies des acteurs, (tandis que) l’efficacité du développement local repose sur la capacité à fédérer les attachements et les stratégies des différents acteurs pour produire de l’auto-reconnaissance » (Djibril Diop:Décentralisation et gouvernance locale au Sénégal. Quelle pertinence pour le développement local?L’Harmattan,2006,p.140).
Il y a donc lieu d’admettre que réhabiliter les Régions (naturelles) du Sénégal, c’est en quelque sorte répondre au besoin naturel, pour les populations sénégalaises, « de repères pour une vie en commun et (de) retour aux sources (qui) se manifeste partout en parallèle d’une globalisation unificatrice » (ibid., p.141).
C’est, en définitive, réhabiliter la Nation sénégalaise en tant qu’Union ou Communauté nationale consacrée comme telle et assumée par ses six Régions (naturelles) irréductibles. Véritables courroies de transmission du pouvoir et de la démocratie, les Régions (naturelles) seront aussi ou, à tout le moins, elles devront être considérées et traitées comme de formidables vecteurs de développement durable et de prospérité, avec à leur tête un Président du Conseil régional élu par leurs citoyens respectifs. En tant que chef du l’exécutif régional, celui-ci aurait alors pour mission d’administrer la Région (naturelle), en toute indépendance, conformément au programme de développement dont il est porteur, et sous le contrôle d’une Assemblée régionale délibérante et de contrôle a posteriori, composée de Députés régionaux, tous élus au suffrage universel direct, selon le scrutin proportionnel intégral pour davantage de démocratie locale et pour une meilleure représentativité de cette assemblée. Son avis serait consultatif.
Au demeurant, nonobstant la souveraineté indissoluble de l’Etat sur chaque Région (naturelle), le Président du Conseil régional se doit de représenter à l’extérieur la plus haute autorité régionale et symboliser à l’intérieur l’autorité ordinaire de l’Etat, la Région (naturelle) étant et devant rester une composante de celui-ci et non son pair. Elu au suffrage universel direct, le Président du Conseil régional serait à ce titre responsable devant les populations concernées.
Cependant, et à la différence de la pratique en cours, le Président du Conseil régional devrait pouvoir nommer et révoquer les Conseillers régionaux. Ces derniers avec le Président du Conseil régional incarneraient ainsi le Conseil régional qui, en sa qualité d’exécutif régional, coordonnerait la politique et exécuterait les projets de développement dont il serait collégialement et solidairement porteur.
Aussi, le Conseil régional devrait-il être structuré en fonction des priorités de développement de la Région (naturelle) et ne disposerait pas de pouvoirs régaliens, à l’exception du pouvoir de police. En effet, celui-ci relèverait du Conseil régional sur toute l’étendue de la Région (naturelle) concernée, étant entendu que la prérogative de police des frontières appartiendrait à la gendarmerie qui, pour cette même raison, serait extrêmement restreinte, cependant qu’elle resterait un corps d’armée relevant du ministère de la Défense.
Par ailleurs, une Conférence des Présidents du Conseil régional pourrait être créée, en tant que le « bras armé » de l’ensemble des Régions (naturelles) chargé de la défense, devant l’Etat, des intérêts respectifs de ces dernières, notamment dans la répartition des financements nationaux. Instituée sur la base des principes d’égalité, de solidarité et de respect mutuels, la Conférence des Présidents du Conseil régional pourrait alors être admise comme l’institution formelle de la nécessaire coopération « multilatérale » ou « décentralisation coopérative » qui devrait prévaloir entre les différentes Régions (naturelles) du pays.
Plus d’autonomie et de décentralisation territoriale et fonctionnelle pour davantage d’égalité, de solidarité et de respect mutuels, tel devrait être le soubassement philosophique ou idéologique de la mission dévolue à la Conférence des Présidents du Conseil régional.
Voilà donc, en substance, ce que nous avons dû attendre vainement des travaux de la CNRI.
Dakar, le 1er mars 2014.
Jean-Marie François BIAGUI
Président du Mouvement pour le Fédéralisme
et la Démocratie Constitutionnels