Le dialogue national du 28 mai prochain cristallise depuis un bon moment les attentions des hommes politiques. Le sujet, tout le monde en parle. Mais selon Me Ousmane Sèye, il ne faut pas confondre dialogue et concertation. Dans cet entretien avec EnQuête, l’avocat qui se prononce également sur la situation à l’Assemblée nationale et sur la crise scolaire, estime qu’il faudrait faire en sorte qu’il y ait un consensus entre les libéraux de l’opposition et ceux du pouvoir.
Quel est votre avis sur le dialogue national auquel le président Sall a invité la Nation ?
Le président de la République a invité à un dialogue national inclusif. Et le dialogue, ce sont des discussions entre des parties en vue de trouver des compromis, des accords et des consensus. Je crois que c’est nécessaire après la victoire au référendum, que le président de la République engage un dialogue national pour la mise en œuvre des réformes institutionnelles adoptées.
En dehors de cela, j’aurais souhaité qu’on parle un peu de la crise scolaire et de la sécurité à cause du terrorisme. Je crois que sur ces deux points, il peut y avoir un consensus entre le pouvoir et l’opposition. Le terrorisme est mondial et notre pays est menacé directement ou indirectement. Donc aujourd’hui, l’opposition doit appuyer les mesures prises par le pouvoir afin de renforcer la sécurité. J’ai vu certaines personnes critiquer les accords signés entre le Sénégal et les Etats-Unis. Je crois qu’ils n’ont pas raison. Les accords de défense ne sont jamais publics.
Le chef de l’Etat est le chef suprême des Armées, il détient des secrets qu’il ne peut pas révéler publiquement. Le président de la République a parfaitement raison vu la situation actuelle et l’état du terrorisme dans le monde, de signer des accords de défense avec un pays comme les Etats-Unis pour la sécurité des citoyens et du territoire sénégalais. Pour cela, je le félicite et je l’encourage. A chaque fois que le président de la République a l’intention de prendre une décision majeure qui engage l’ensemble de la Nation, il a eu à initier des concertations. Mais il ne faut pas confondre le dialogue et la concertation. Les deux, le président de la République n’a cessé de les employer comme principe de gouvernance. Maintenant il faut revenir aux principes de gouvernance d’un pays.
Et quels sont ces principes ?
Dans un pays démocratique, la majorité gouverne et l’opposition qui est minoritaire s’oppose. Mais ce principe n’exclut pas les exceptions que sont le dialogue et la concertation qui ne doivent même pas être des exceptions mais des principes de gouvernance. Fort heureusement que le président de la République l’a bien compris et n’a cessé d’initier des concertations et des dialogues pour ceux qui veulent bien dialoguer et être consultés.
Quelles doivent être, selon vous, les modalités de ce dialogue national ?
A mon avis et c’est l’avis de la coalition pour l’émergence que j’ai réuni ce mercredi 18 mai, le dialogue doit porter d’abord, si c’est un dialogue politique, sur la mise en œuvre des réformes institutionnelles adoptées par voie référendaire. Parmi ces mesures, il y a le statut de l’opposition et de son chef. Pour mettre en œuvre cette réforme, il est nécessaire que le président de la République initie un dialogue avec l’opposition pour trouver un compromis. Parce que s’il n’y a pas un compromis, ce serait impossible de mettre en œuvre cette disposition. Comment choisir le chef de l’opposition ? Est-ce que c’est à l’issue des élections locales, législatives ou présidentielle ? Quels seront les avantages du chef de l’opposition ? Et je crois que le chef de l’opposition n’aura pas des avantages comme si c’était un vice-président de la République parce que cela n’a pas de sens. Les avantages, le statut, la manière de choisir le chef de l’opposition, tout cela doit faire l’objet de dialogue.
On a parlé de la modernisation et de la rationalisation des partis politiques. Je constate que l’opinion croit qu’on va vers la limitation des partis politiques. A mon avis, il ne s’agit pas de cela. La création des partis politiques est une disposition constitutionnelle. C’est une forme d’expression, de respiration démocratique, la multiplicité des partis politiques. Les partis politiques ne sont pas créés ex nihilo, il y a des conditions de création. S’il y a 210 formations politiques au Sénégal, c’est qu’il y a 210 partis qui ont rempli les conditions posées par la loi pour être créés. Donc ces partis doivent exister et il n’y a aucune loi qui peut les faire disparaître parce qu’ils sont créés sur la base des dispositions constitutionnelles qui sont encore dans la Constitution et qui n’ont pas été abrogées.
Mais il y a des partis politiques qui n’ont pas de siège et dont les instances ne se réunissent jamais et ne fonctionnent pas. Ces partis doivent-ils continuer à exister ?
Oui, comme il y a des syndicats qui n’ont pas de siège, comme il y a des mouvements, des organisations des droits de l’Homme qui ne sont pas représentatifs. Il ne faut pas limiter cette non-représentativité aux partis politiques. Ceux qui existent déjà doivent continuer à exister. Maintenant ce qu’il faut faire, c’est rationaliser, moderniser les partis politiques et les contraindre à respecter les conditions de fonctionnement qui font l’objet d’une loi, celle de 1981. Un parti politique est une personne comme vous et moi. Il naît, il vit, il meurt, il peut être malade et quand il est malade, il doit être suspendu. Quand il ne peut plus fonctionner, on le fait disparaître. Si on demande aux partis de respecter les conditions de leur création et de leur fonctionnement, on va les rationaliser. Mais ce qu’il y a, c’est que l’autorité n’est pas trop regardante sur les conditions de fonctionnement des partis politiques. Un parti qui n’a pas de siège, ne participe pas aux élections, ne se réunit pas, ne participe pas à la vie politique est un parti qui est malade, il faut l’achever.
Récemment l’idée de retrouvailles de la grande famille libérale a été agitée par le chef de l’Etat lui-même. Quelle est votre avis sur la question ?
Quand on analyse la situation politique du Sénégal, l’on se rend compte d’un constat particulier. C’est seulement au Sénégal où je vois une opposition représentative constituée de libéraux et un pouvoir dirigé par un libéral et par des libéraux. Ça, c’est un contraste politique exceptionnel. Comment dans un pays, on peut avoir une majorité qui est libérale et une opposition qui est libérale ? Quand on fait ce constat, il faut en tirer une conséquence.
Cela veut dire qu’il faudrait faire en sorte qu’il y ait un consensus entre les libéraux de l’opposition et ceux du pouvoir. Quand on analyse les partis qui constituent la majorité, l’on se rend compte que le Président Macky Sall, en tant que libéral, avec une vision libérale, n’est pas majoritaire dans Bby. On ne peut pas dire que son parti l’Alliance pour la République (Apr) est fondamentalement un parti libéral. C’est une majorité hétéroclite. J’ai toujours dit que le problème au niveau de Bby est cette absence de vision unique qui fait qu’il n’y a pas cette action homogène. J’ai toujours dit que c’est une coalition électorale et non une coalition politique (…). A la Présidence, à l’Assemblée nationale, dans les directions générales, il y a des militants de Bby. Mais ces derniers n’ont pas la même vision politique. Ils ne sont pas du même parti politique et n’ont pas le même programme politique (…).
En tant qu’avocat, quelle lecture faites-vous de la situation à l’Assemblée nationale où Modou Diagne Fada, qui a été exclu du Pds, continue de diriger le groupe parlementaire des libéraux et démocrates et que Aliou Sow entend succéder à Ousmane Ngom alors qu’il a démissionné du Pds ?
Je crois que dans ce débat, il y a une confusion entre le droit, l’éthique et la morale. Si on se fonde essentiellement sur le droit, Modou Diagne Fada a le droit de rester député parce qu’il a été exclu du Pds, il n’a pas démissionné, il a été contraint. Si l’on accepte aujourd’hui qu’un parti politique exclut son militant qui est député pour qu’il perde sa qualité de membre et son statut de député, ce serait dangereux. Demain, tout parti politique qui voudrait se débarrasser de son militant qui est parlementaire, va l’exclure et ce militant va perdre et sa qualité de membre et son statut de député. Et ce serait injuste. Ce serait une anarchie politique intolérable. Donc Modou Diagne Fada, sur le plan juridique, a parfaitement le droit de créer son parti, parce qu’étant exclu, et de rester député. C’est la même chose avec Alioune Sow.
Sauf que le leader du Mpd/Ligeey, a démissionné lui du Pds...
Si Aliou Sow a démissionné du Pds, il doit perdre son mandat parce qu’il est élu député mais il n’a pas eu de siège. Quand les députés sont élus, il y a toujours des suppléants qui sont des députés sans siège. Si les prédécesseurs qui ont occupé ces sièges les perdent d’une manière ou d’une autre, c’est le suivant qui vient. Mais toujours est-il qu’ils sont élus sur la base d’un parti ou d’une coalition de partis. Et si vous démissionnez du parti dont vous étiez sur la liste, vous ne devez pas ni juridiquement, ni moralement, occuper le poste.
Est-ce à dire qu’Alioune Sow est dans l’illégalité ?
Juridiquement et moralement à mon avis.
L’école sénégalaise traverse une crise depuis un bon moment avec une grève cyclique des syndicats d’enseignants. Comme venir à bout de ce problème ?
Je crois qu’on ne peut pas admettre que des enseignants du public dispensent comme ils le veulent des cours dans le privé. Il faut que l’Etat prenne des dispositions pour que les enseignants qui sont des fonctionnaires à l’université ou dans des écoles publiques ne puissent plus dispenser des cours dans des universités ou dans des écoles privées.
Exceptionnellement, s’ils le font, cela devrait être sur la base d’une autorisation délivrée par l’Etat du Sénégal.
D’autre part, on n’a pas le droit, parce qu’on est dans des syndicats, de retenir les notes des élèves ou des étudiants. C’est un délit et je crois qu’on doit légiférer sur cette question. Tout enseignant, qu’il soit de l’enseignement supérieur ou de l’éducation, qui se permet de retenir les notes des élèves ou des étudiants, doit faire l’objet de sanction pénale. Et le droit de grève aujourd’hui, je crois que l’opposition et le pouvoir doivent réfléchir pour avoir un consensus en vue de le règlementer.
Le principe du droit de grève doit exister mais son application doit être réglementée. Si vous allez dans un pays comme le Canada, pour aller en grève, il faut d’abord consulter les concernés, avoir la majorité pour être autorisé à aller en grève. Si on va en grève, on ne reste pas chez soi, on ne voyage pas, on ne doit pas dispenser des cours ailleurs. On va dans son lieu de travail pour y passer les heures de travail. Sinon, on est considéré comme quelqu’un qui a abandonné son poste et on est exclu.
Les heures de grève que tu n’as pas travaillées ne te seront pas payées. Ces salaires et indemnités que tu dois percevoir à ces heures de grève seront versés dans un fonds qui sert à satisfaire les revendications financières des concernés. Je crois qu’il faut aller chez les autres apprendre ce qu’ils font. J’invite le gouvernement du Sénégal à s’inspirer du modèle canadien pour règlementer le droit de grève pour qu’il ne soit pas utilisé abusivement et ne puisse pas porter atteinte aux intérêts des étudiants, des élèves et des malades en ce qui concerne la santé. Il faut restreindre le droit de grève dans certains secteurs comme l’éducation, l’enseignement, la santé et la justice. Ce sont des secteurs sensibles.