Pour rester seulement sous contrôle judiciaire correctionnel et éviter la détention préventive, Lamine Diack, ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), a engagé une bataille dans laquelle le montant de son cautionnement est au cœur des débats : 325 millions F Cfa (500 000 euros) comme le demande le parquet ou 91 millions (140 000 euros) comme le lui avait permis le juge d’instruction en charge de son dossier.
Lamine Diack s’est déjà acquitté des 140 000 euros, la caution fixée par le juge qui instruit son dossier. Mais l’avocate générale près la Cour, Mme Fusina, ne l’entend pas de cette oreille. Elle est convaincue que l’accusé a les moyens d’honorer le montant d’un demi-million d’euros pour se soustraire à la prison. La deuxième Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris a ordonné début mai 2016 un deuxième renvoi de l’affaire après un premier en date du 11 avril 2016. « EnQuête » a lu les minutes du greffe de la juridiction du deuxième degré. Depuis le 03 novembre 2015, Lamine Diack, 83 ans, est mis en examen des chefs de corruption passive par une personne n’exerçant pas une activité publique, blanchiment aggravé et corruption active.
Un mois plus tôt, une information judiciaire avait été ouverte, suite à la plainte de l’Agence mondiale anti-dopage, du Comité international olympique (CIO) et de l’IAAF, parties civiles. Cette affaire est à ce jour - avec celle relative à la corruption au sein des instances dirigeantes du football mondial-, le scandale financier le plus grave révélé dans le monde sportif. Contre la proposition de leur faire éviter des contrôles anti-dopage ou retarder des sanctions, des athlètes russes ont versé, selon l’accusation, de l’argent à Pape Massata Diack, alors agent marketing de l’IAAF, et à plusieurs complices présumés. Le fils Diack a été présenté comme étant le commanditaire d’une vaste opération de violation des lois anti-dopage.
Révélations
Tout a commencé en décembre 2014, quand une chaîne TV allemande a révélé des violations aux règles mondiales sur le dopage, commises principalement par des athlètes russes. Des allégations de corruption au sein de l’IAAF aux fins de couvrir ces violations étaient également dévoilées. Alors, pour tirer l’affaire au clair, l’Agence mondiale anti-dopage (AMA) forme une commission indépendante chargée d’enquêter sur ces révélations. Grosso modo, la commission est tombée sur un modus operandi permettant à des athlètes russes de passer à travers les mailles du filet : dissimulation de résultats positifs aux tests de sorte que le système de sanction/suspension ne soit pas engagé ; communication à l’ARAF (Fédération russe d’athlétisme) d’infos confidentielles afin de permettre à des athlètes d’anticiper des test anti-dopage hors compétition ; et l’implication de personnalités de l’IAAF et de l’ARAF dans « une volonté commune de paralyser le système des sanctions des athlètes, contre rémunération, le temps que ceux-ci puissent participer à des compétitions prestigieuses et rémunératrices ».
Le 18 août 2015, la police recevait un soit-transmis délivré par le parquet régional financier de Paris. Les différents protagonistes furent alors mis sur écoute. Il faut remonter au mois de novembre 2011 pour situer l’origine de l’affaire. C’est en effet à cette date que Me Habib Cissé, avocat à Paris et conseiller juridique du président de l’IAAF, est imposé comme consultant extérieur de l’organisation internationale, en charge particulièrement du suivi et de la gestion des PBA russes. PBA pour dire « passeport biologique des athlètes ». En outre, le fils du président Diack était à la même période « consultant à long terme » de l’IAAF, ayant en charge, à lui seul, le marketing. Autre acteur, Valentin Balakhnichev, président de la fédération russe et trésorier de l’IAAF jusqu’à la mi-2015.
La machine était lancée. Des mois plus tard, grâce à une remontée de courriers électroniques et d’écoutes téléphoniques, les enquêteurs savaient que Me Habib Cissé était en possession d’une liste de tous les athlètes russes suspectés de dopage. Dans cette liste de 23 personnes, une distinction avait été faite sur six sportifs correspondant à des cas avérés de dopage, dont celui de Mme Lililya Shobukhva. Cette dernière (fond et demi-fond) sera l’une des protagonistes du scandale (voir par ailleurs). Peu après l’obtention de cette liste, l’avocat se rendait en Russie…
Courriels, écoutes téléphoniques, aveux….
Bref, le 1er novembre 2015, ayant eu connaissance d’une rencontre devant intervenir dans un hôtel de la région parisienne entre Lamine Diack et Me Habib Cissé, les policiers entrent en action et interpellent le père de la réforme (1969) du foot sénégalais. Il est placé en garde à vue, sa chambre d’hôtel perquisitionnée. Interrogé, Lamine Diack, président de l’IAAF pendant 16 ans, a d’abord déclaré tout ignorer de l’affaire. Tout juste admet-il qu’en raison du calendrier électoral au Sénégal en 2012, il a sans doute été « négligent » durant cette période, tant il avait été pris par la campagne électorale qui devait conduire à battre le président sortant, Abdoulaye Wade. Mais confronté à la teneur d’un courriel du 29 juillet 2013 que lui avait adressé son fils « qui ne laissait aucun doute sur la réalité du système mis en place », il finissait par reconnaître les faits, expliquant vouloir prendre ses « responsabilités ».
Devant les policiers, Lamine Diack déclare avoir passé un accord avec Valentin Balakhnichev (voir par ailleurs) afin de retarder le processus de sanction des athlètes russes, en échange d’une somme de 975 millions F CFA (1,5 million d’euros) destinée à financer les campagnes électorales sénégalaises (présidentielle et législatives). Il est donc mis en examen en compagnie de ses présumés complices, l’avocat Me Habib Cissé et Gabriel Dolle, ex-responsable du service anti-dopage de l’IAAF. Contre l’avis du parquet, l’instruction ne le conduit pas en détention préventive, mais il ne doit pas quitter sans autorisation préalable le territoire français métropolitain et son passeport confisqué. Il lui est également interdit d’entrer en relation avec les protagonistes de l’affaire. Il doit verser 500 000 euros à titre de cautionnement en dix versements.
Le 31 décembre, Lamine Diack s’acquittait de la somme de 140 000 euros (le montant de son assurance-vie) après avoir déclaré, dix jours auparavant, qu’il n’avait jamais donné de l’argent au président Macky Sall pour le financement de sa campagne électorale. Le 29 janvier 2016, via son avocat, Lamine Diack sollicitait la diminution du cautionnement mis à sa charge. Ce à quoi s’oppose jusqu’ici le procureur financier.
PAPE MASSATA DIACK
Le « complot » anglais
Radié à vie le 07 janvier 2016 par la commission d’éthique de l’IAAF, l’expert en marketing sportif est au cœur du scandale. Installé au Sénégal, il refuse de répondre à la convocation du juge Van Ruymbeke, au motif qu’il n’est pas de nationalité française. Selon « Le Monde » et le site « Mediapart », il est accusé d’avoir organisé le système de corruption, mais lui se défend en avançant « un complot anglais » contre son père et sa famille. Son nom apparaît à toutes les étapes de la procédure actuellement en cours devant la Cour d’appel de Paris. L’ancien agent marketing de la fédération sénégalaise de football a approché une athlète turque, Alpetekin-Cakir dont le PBA (passeport biologique des athlètes) allait la conduire vers des sanctions.
Selon l’accusation et les enquêteurs de l’Agence mondiale anti-dopage, Pape Massata Diack a proposé à l’athlète de résoudre le problème de son PBA contre le versement de 325 millions F Cfa (500 000 euros). Dix jours après le refus opposé au marketeur, la fédération turque recevait une lettre annonçant l’ouverture de procédures contre Mme Alpetekin. Son frère, Ibrahima Khalil Diack, reviendra à la charge…« Tout vient des Britanniques. (…) Tout ceci est lié à leur campagne présidentielle (NDLR: la campagne présidentielle de Sebastian Coe, élu à la tête de l’IAAF en août), comme ils l’ont fait dans le cyclisme avec Brian Cookson (NDLR: le nouveau président de l’Union cycliste internationale). Leur méthode, c’est d’attaquer tout le monde au bas du ventre et dire qu’eux, à l’inverse, sont cleans et professionnels. Le président de la commission d’éthique de l’IAAF est un Anglais, le président de l’AMA est aussi un Anglais, qui a fait ouvertement campagne pour Coe », avait plaidé l’expert en marketing dans la presse sénégalaise.
Les enquêteurs de l’Agence mondiale anti-dopage, ont établi que Pape Massata Diack avait la responsabilité du marketing et du sponsoring pour l’IAAF et que pour ce faire, il était assisté de Me Cissé, le conseil juridique du président de l’IAAF. Or, une société, DENTSU, intervenait pour commercialiser les événements de l’IAAF, société au sein de laquelle il semblait avoir eu un intérêt. De même, il avait apporté différents contrats et notamment les droits TV pour les championnats de Moscou de 2013 et le sponsoring d’une banque russe. Selon le témoin Oleg Popov, un entraîneur russe, l’accord sur les droits TV étaient remportés en contrepartie de « la mise en sourdine des cas de dopage russes ».