La circulation du crédit est freinée au Sénégal par les contentieux bancaires. Selon une étude menée dans ce sens et partagée hier, les conflits, déjà nombreux, connaissent une procédure longue et finissent très souvent par des décisions incomprises et un manque à gagner énorme. D’où le cri du cœur des banques.
Une étude sur les contentieux bancaires et les décisions de justice a fait hier l’objet d’un atelier de partage entre acteurs. Commanditée par le Ministère de l’Economie et des Finances, elle s’explique essentiellement par la récurrence des conflits entre les banques et leurs clients, la longueur des procédures et les décisions de justice très souvent non acceptées par l’une des parties, notamment les institutions financières. L’initiative a pour objectif de mettre en place un cadre d’échanges qui permet de réconcilier le droit et la sécurité juridique et/ou judiciaire du financement.
D’après le président de l’Association des professionnels de banques et des établissements financiers (APBEF), le Sénégal connaît une progression des encours de crédit. Laquelle progression s’accompagne, selon Alioune Camara, d’une augmentation fulgurante des contentieux. En effet, les conflits représentent 20% du total bilan 2015 du secteur. Cela se chiffre à 650 milliards de F Cfa en souffrance. ‘’Les banques n’ont plus cette ressource pour pouvoir travailler. C’est un manque à gagner aussi bien du point de vue de la rentabilité que de l’utilisation de la trésorerie’’, regrette-t-il.
Outre le nombre des contentieux, il y a aussi la durée des procédures. L’étude en question est basée sur un échantillon de 269 dossiers, entre 2008 et 2015, et dont la majorité émane des décisions de la Cour d’appel. Les résultats montrent que les contentieux restent longtemps chez le juge, sans être vidés. Ainsi, des conflits récents viennent s’ajouter à d’autres qui datent de plusieurs années.
Selon Mamadou Ndiaye, conseiller technique du ministre des Finances, le programme d’évaluation du secteur financier de 2004 affirmait que 22% des créances contentieuses des banques commerciales ont plus de 10 ans, et 35% ont entre 5 et 10 ans. ‘’La longueur des procédures dans leur traitement a malheureusement une incidence directe sur les coûts et l’accessibilité du crédit. Elle constitue à ce titre un frein à l’accroissement du volume de financement bancaire et en conséquence au développement de l’investissement privé’’, se désole-t-il.
L’imprévisibilité des verdicts
Si l’on en croit le Pr Abdoulaye Sakho, membre du cabinet ayant réalisé l’étude, la responsabilité de cette lenteur est partagée. Les banques prennent beaucoup de temps pour la mise en ordre des dossiers. D’après lui, il y a des papiers qui se perdent. Il invite donc les banques à anticiper les contentieux. Quant aux débiteurs, ils profitent des possibilités que leur offre la loi pour jouer au dilatoire. Les juges aussi ont leur part de responsabilité, puisque les dossiers traînent à ce niveau.
Le dernier élément relevé par les acteurs est le caractère imprévisible des décisions de justice. Le représentant du ministre de la justice le confirme. Selon Bienvenue Moussa Abib Dionne, sur 100 procès, les décisions rendues ne vont pas dans le même sens. De ce fait, même si les juges déclarent fonder leurs jugements sur le droit, il n’en reste pas moins qu’ils ne convainquent pas les banquiers, tant certains arrêts leur semblent incompréhensibles. Ces derniers estiment donc que le problème se situe dans l’ignorance que le juge a du financement bancaire. Ils réclament donc le renforcement des compétences techniques des magistrats pour une meilleure prise en charge de la question.
En attendant qu’une solution soit trouvée, les banques semblent se montrer très exigeantes sur ce point. En effet, selon un rapport d’évaluation du secteur financier du FMI et de la Banque mondiale, 21% des entreprises ne s’endettent pas auprès de banques, du fait de l’absence de garanties. Celle-ci représente 51% des motifs de rejet des demandes de financement des PME, révèle le coordonnateur du projet d’appui à la promotion du secteur privé, M. Goumbala.