Malgré beaucoup de correctifs à apporter, les professionnels du milieu tiennent tous le même discours : la publicité marche plutôt bien.
Oury rouspète. Le boutiquier d’origine guinéenne appuie nerveusement sur les boutons de sa télécommande, assis sur un petit tabouret en bois qu’on a du mal à deviner sous sa carrure. Perdu au milieu d’étagères bien achalandées de son magasin, les yeux rivés devant le petit écran, il attend que prenne fin ce qu’il appelle la ‘‘mi-temps’’ du téléfilm très couru des Sénégalais, Wiri-Wiri. ‘‘Ils n’ont qu’à se dépêcher avant que les clients affluent de nouveau.’’
Dehors, le vent frais a chassé les inconditionnels buveurs de thé de ce magasin de la Cité Poste en face de la mer. Puis le vendeur se ravise. ‘‘De toute façon, ils doivent sûrement faire comme moi, regarder cette émission’’, se console-t-il. Pour l’autre série-phare de la Télé futurs médias (Tfm), c’est aussi une foire aux publicités qui ‘‘durent plus longtemps que l’émission elle-même’’, Mouhamed Badiane dixit. Le responsable des régies publicitaires, tout comme ses collègues, trouve que la publicité se porte bien. ‘‘C’est un véritable impact sur beaucoup de télévisions et de radios. Il suffit juste de regarder les séries télévisées. Les annonceurs ont compris qu’ils avaient besoin d’être lus, vus, et entendus.’’, poursuit-il. Preuve qu’elle n’affiche pas grise mine, les chiffres sont éloquents.
‘‘En 2015, c’est 20 milliards d’investissements publicitaires sur tous supports et annonceurs confondus’’, fait savoir la directrice média de l’agence publicitaire McCann, Oumou Souloy, qui reprend les statistiques de l’agence de veille 365 media. Si cette somme paraît assez alléchante, elle est pourtant en baisse de 20% par rapport à 2014 (23 milliards). Dans cette somme, la télé se taille la part du lion : 65% soit 13 milliards. Pourtant Oumou Souloy assure qu’une ‘‘tendance baissière est notée dans les médias classiques cette année (Ndlr : 2016) en télé et radio. ‘‘On a été surpris de l’augmentation des investissements presse alors que cette offre est disparate. Ce qui peut s’expliquer par la création de plusieurs magazines’’, déclare-t-elle. Dans ce marché où les top-secteurs sont le transfert d’argent, les opérateurs de téléphonie, et les compagnies aériennes ; seule la première est en hausse. Les deux dernières ont baissé leurs investissements. ‘‘Ca se ressent sur nos activités’’, poursuit la directrice de média de Mc Cann.
Pourquoi ça marche fort
Il serait exagéré de dire qu’une solide culture du libéralisme et de l'économie de marché au sein de laquelle s’épanouit la publicité, existe en Afrique. Pourtant à la question de savoir si la publicité est utile, 78% d’avis favorables contre 14% ont été recueillis en Afrique et au Moyen-Orient par l’institut Nielsen, à la demande de la Fédération mondiale des annonceurs. Le Sénégal n’est pas en reste. La pub y marche fort malgré une multitude de correctifs à apporter. Le succès s’explique par un engrenage assez basique : élargissement de la classe moyenne, pouvoir d’achat, intérêt des marques. ‘‘Ça fonctionne parce qu’il y a plus de propositions de la part des marques et des produits envers le marché’’, déclare Christine Traoré conseil marketing de Mc Cann.
‘‘Ce qui fait que le secteur est dynamique et il y a de la matière à communiquer et à vendre’’, lui emboîte Oumou Souloy. Des analyses sociodémographiques de l’enquête du CNRA, il ressort que les jeunes de 18-34 ans, les personnes instruites, les fonctionnaires, les étudiants, les élèves et les cadres constituent l’essentiel d’une audience de 97% en milieu urbain. Ils constituent le cœur de cible des agences publicitaires. Le responsable des régies publicitaires, Mouhamed Badiane y va de sa propre interprétation en attribuant le phénomène à l’éclosion d’une nouvelle classe moyenne sénégalaise. ‘‘C’est un phénomène de mode. Mais il y a également la transformation de la société. Elle est de plus en plus atomisée, et elle en a de plus en plus accroc. Papa et Maman devant la télé, les enfants scotchés sur leurs smartphones favorisent cette emprise de la publicité’’, analyse-t-il.
Un devenir en digital
Dans ce monde interconnecté, le net se dessine comme l’avenir de la publicité. ‘‘Une bannière sur un site internet peut se voir au Luxembourg ou en Israël. Au Sénégal, il y a maintenant 6 millions de personnes qui utilisent quotidiennement internet au moins 10 minutes via leurs smartphones. C’est un taux de pénétration très intéressant’’, projette Mouhamed Badiane. L’évolution des Tic devrait reconfigurer la donne. Même si le taux de pénétration du web était de 30% en 2013, dans l’enquête du Cnra sur les médias en 2013, des évolutions ont été notées depuis. D’ailleurs, la plupart des agences constatent que leur département digital ne cesse de grandir. En attendant, on est loin de l’extinction de la publicité classique. ‘‘Le net ne menace pas la publicité classique puisqu’ils sont deux canaux complémentaires’’, déclare Christine Traoré.