A coté, les élèves qui passent, ne semblent avoir idée de toutes les têtes pleines ou non qui sont passées par ici vivant nul doute, les moments de splendeur de ces espèces qui ont vu passer des générations et des années. Le figuier, le cailcédrat et tous ces arbres encore au milieu de cette école, ne donnent pas plus de charme à l’endroit. Le fait de lui avoir donné un nom sénégalais n’a pas été d’un grand apport pour elle. On aurait dû aussi lui laisser ce nom « Libération » plus symbolique et plus adapté au contexte des vies des Africains depuis la fin de l’esclavage. Mais, on lui aura préféré celui d’un dignitaire lébou du Cap-Vert. Cependant, au-delà du nom, il aurait été préférable qu’on lui trouve aussi des habits plus adaptés. Un avenir sur l’échiquier scolaire à Dakar. Aujourd’hui, l’école n’a plus de nom, plus d’habit, plus de feeling, même pour les jeunes qui y sont, plutôt pressés d’en finir que de garder le moindre souvenir de cet endroit sans charme.
Au milieu de ce fouillis, sans aucun moyen pour se sortir de ce manque de perspectives, que peut signifier la souffrance d’un pauvre directeur sans aucun moyen de se faire entendre par les autorités ? Il est seul à vouloir gérer un personnel incontrôlable, des sujets politiques parachutés dans un établissement et des fois sans aucun niveau ; tout cela dans un sorte de panier à crabes où le seul mot qui revient, c’est celui des menaces sur la fin d’une époque : celle de cette vieille école. Mamadou Sellou Diallo, c’est son nom est aussi malheureux que son homologue, Ibrahima Kouta, de l’ex. Ecole élémentaire de la rue de Thiers.
Mais tous les deux ont la malchance de vivre dans des espaces désormais sans nom où la menace d’un bradage foncier ne cesse de se préciser. 18 classes contre 12 pour l’école Thiers, les établissements sont parmi les plus pauvres du pays. Le Directeur ne rêve même pas d’un véhicule de fonction ; il symbolise à lui seul, le désarroi de cette vieille école. Avec seulement six enseignants « clé en main » (ceux qui occupent effectivement une classe), et un maître d’arabe, le personnel est au total réduit à lui et ces personnes. Donc, sept enseignants et lui. Quelles belles images d’écoles en souffrance ! Dès l’accueil, l’enfant se sent seul. Sur son bureau, le téléphone, s’il existe, c’est le portable qui fonctionne grâce à Orange, Expresso, Tigo et leurs « promotions ». L’école vit la pauvreté au sens propre du terme en plein discours sur l’émergence.
La cour même balayée n’est pas aussi propre. Trop grande pour deux seuls bras. Alors n’allez pas chercher quelque chose de beau ici ; à part que les choses sont restées en l’état avec des vieux tables-bancs jetés derrière des abris de fortune et qui ne seront jamais ramassés ou réparés. Pauvres, les élèves d’aujourd’hui. Quand on entend de la bouche du président le concept « D’école de la seconde chance » ; demandez-lui, ce qu’il fait de cette même « école de la première chance. » Ahmadou Assane Ndoye, Jaraaf Falla Paye, comme d’autres centres du Plateau baignent dans le même marigot de souffrance.
LES AFFAIRES AU-DESSUS DE L’EDUCATION DES ENFANTS
Dans des quartiers où les résidents ont choisi l’école privée à la place du public, la plupart des élèves n’ont pas de papiers d’identité (bulletin ou extrait de naissance). Les deux enseignants comme d’autres collègues du centre et de certains quartiers de Dakar souffrent donc de ce même malaise quand arrive la période des examens du Certificat d’étude et le concours d’entrée en sixième.
Des enfants sans papiers, l’école sénégalaise en fabrique aussi aujourd’hui, dans un pays où l’éducation a été décrétée comme un droit pour tous. Le constat est amer. L’école manque aussi d’enseignants engagés et de qualité. Mais, ici ce qui fait le plus défaut désormais, ce sont aussi la présence de parents d’élèves engagés pour la réussite de leur enfant. Certains selon le directeur, certains ne se présentent que le jour de l’ouverture des classes pour amener l’enfant. D’autres ne sont jamais venus à une réunion pour l’école. Et même venir retirer les notes de l’élève, c’est à coup de menaces, regrette le Directeur, que l’on se décide à envoyer quelqu’un qui n’est pas le véritable parent de l’élève pour la plupart du temps. « Est-ce que ces parents se soucient vraiment de l’éducation de leurs enfants, s’interroge M. Diallo.
Trop pauvres, ils n’ont pas le temps. Certains passent la journée à mendier. Car, avant, indique l’actuel directeur de Jaraaf Falla Paye II, « L’école semble ouverte à une clientèle venue d’ailleurs ; là où avant, ce sont les meilleurs élèves des collèges et lycées qui allaient à l’école normale ou au Cfps. Aujourd’hui, si tu ne réussis rien dans la vie, on te conseille d’aller tenter ta chance dans l’enseignement. Ces gens sans motivation y vont souvent parce qu’ils n’ont pas le choix. C’est tout juste une sorte de tremplin en attendant de trouver autre chose. Pensez-vous que ces gens feront tout ce que l’enseignement exige pour la réussite de l’élève. »
DES ETABLISSEMENTS SANS BUDGETS AU BORD DU GOUFFRE
Sacrifice et exigence ! Ce sont aussi les mots les plus adaptés face à ce désastre. Il y a certes encore de bons enseignants, mais ce qu’on voit est que la motivation n’y est pas. Perdu dans ses pensées, le Directeur de l’école de Libération II se rappelle d’une réunion dont l’ambition était de mettre sur pied un syndicat des directeurs d’école face à l’éternelle confrontation entre l’Etat et le corps enseignant tous les ans ; histoire de demander le minimum pour faire un enseignement de qualité. Aujourd’hui, un autre mal de l’école publique sénégalaise est dans le manque d’argent autant pour l’école que pour les responsables de son fonctionnement.
L’Etat assure, nul doute les salaires, mais il reste à faire des écoles, des espaces beaucoup plus modernisés que le cadre classique qu’elles ont été depuis la fin des années 1980. Car, à en croire, Sellou Diallo, « Si vous n’avez d’argent et que vous ne parvenez pas à satisfaire vos besoins, même en classe, vous n’y êtes pas vraiment… » Aujourd’hui sans budget pour la plupart, les écoles dépendent encore pour beaucoup des municipalités auxquelles l’Etat a laissé sa gestion depuis la réforme du 22 mars 1996, relative à la décentralisation. Comme le fait noter Sellou Diallo, « Au début l’argent alloué aux écoles était versé à l’Inspection pour l’éducation et la formation (Ief). Avec les changements intervenus pour l’année scolaire en cours, cet argent devrait être versé directement aux écoles via un comité de gestion interne. C’est au niveau de ce comité que le directeur doit exprimer ses besoins. Ce comité devra au préalable être installé avec un président, un trésorier et c’est à eux que reviennent les décaissements des fonds soumis par le Directeur d’école. C’est ce qu’on a annoncé, mais jusqu’à présent au mois d’avril où je vous parle, rien n’a été fait… » Dans ce comité, pourraient se retrouver les associations de quartiers, les partenaires de l’école etc.
Sans fournitures données par l’Etat, ce sont les mairies qui font avec ce qu’elles peuvent sortir de leur maigre budget. Elles ont la charge de la réfection des établissements. Sans photocopieuse, le plus ordinaire des demandes formulées par ces écoles, où se trouvent donc aujourd’hui leurs richesses. « Ainsi, déplore Sellou Diallo, tout se fait sur papier. » En plein vingt et unième siècle où les enfants jouent à la maison avec les tablettes, le directeur ne dispose même pas d’un ordinateur digne de nom dans son bureau.
LE BOOM IMMOBILIER CONTRE ECOLES ET HOPITAUX
Sur le départ, dans huit mois, Mamadou Sellou Diallo gardera sans doute un grand souvenir de cette école. Avec bien entendu, la crainte c’est de voir cet établissement disparaître faute d’effectifs suffisants, mais aussi devant l’appétit des promoteurs et de l’Etat sur les espaces fonciers disponibles susceptibles d’être récupérés au niveau du centre de Dakar. Bibi Ndiaye en pleine construction, devrait se voir affecter nombre d’élèves de ces écoles vides du plateau, d’où la mort programmée de celles-ci exceptée peut être Berthe Maubert sur l’avenue Hassan II. Entre la mairie et l’Etat, bien malin celui qui saura à qui reviendra l’espace.
Sans budget réel, seulement invités des fois à venir prendre un petit matériel de bureau, sans droit d’inscription, que reste-t-il aux administrations, si elles existent, des écoles publiques sénégalaises. Peut-être les dons de volontaires ou d’anciens pensionnaires des lieux. Mais en dehors des belles photos souvenirs qu’on se passe sur facebook, Google, Twitter etc. qui se souvient réellement de son passage à Fleurus, Thiers, Jaraaf Falla Paye, Thiers ou Klébert ? Au cœur même du domaine portuaire et des affaires, l’on ne peut comprendre la détresse d’un tel établissement. « Nous avons adressé, regrette le directeur, une lettre au Directeur général du port, pour demander de l’aide, mais nous n’avons jamais reçu de réponse. »
Agressée et en sursis, le constat des deux directeurs d’établissement, est que la vocation des écoles du Plateau est de disparaître bientôt. C’est déjà arrivé à l’école élémentaire qui est au niveau de Malick Sy. Même à la Médina, certains établissements ne sont pas à l’abri faut d’élèves en général. Même Nago Samb au niveau de Gibraltar-centenaire a vu baisser considérablement les effectifs des classes. Le paradoxe est que c’est au moment où l’on un croît démographique toujours plus haut que les classes manquent d’effectifs. Et, ce gros malaise est confirmé, par la situation du lycée Lamine Guèye, dont la moitié des effectifs, explique Sellou Diallo, vient de la banlieue. Mais jamais rénové et toujours dans un état de vétusté très avancé.
Le privé est-il plus fort et plus utile que le privé ? l’on pourrait le penser pour ce qui est de l’école. Pendant que des cours privés comme Saint-Michel, Jeanne D’Arc refusent du monde avec les parents d’élèves qui font tout aujourd’hui pour y inscrire à n’importe quel prix, leur enfant, l’on a du mal à comprendre la situation de l’école publique. « Le mal est aussi qu’aujourd’hui, les enseignants ne font pas de l’école un milieu qui leur est propre. Ils ne sont que de passage. Comment voulez-vous dans ces conditions leur demander de donner vie à celle-ci, » se demande l’ancien pensionnaire du Lycée Gaston Berger de Kaolack.
Celui qui se rappelle de sa belle vie de normalien à Mbour avec les laboratoires, la bibliothèque, le service de photographie et même le climat et l’environnement dans lequel il a évolué pendant ses belles années, regrette l’école d’hier, plus structurée, plus moderne et plus adaptée… « L’école du théâtre, des activités sportives et de productions autour des poulaillers et du jardinage est aujourd’hui révolue », regrette Ibrahima Kouta selon qui, «On ne respecte plus aucune norme dans l’éducation de l’enfant. »
Quel sort donc sera réservée dans les années à venir (deux voire trois ans) à toutes ces vieilles écoles du Plateau ? La question a été posée aux deux directeurs rencontrés dans ce reportage. Mais pour eux, l’espoir n’est guère de mise. Entre rumeurs de déplacements et le passage de temps à autre de géomètres, de cartographes et de gens du cadastre, rien ne semble rassurer ces enseignants selon qui, la durée de vie de leur établissement est désormais comptée.