Triste sort que celui des écoles du centre de Dakar. On ne s’en rend pas compte, mais les grandes écoles élémentaires et même les collèges du Plateau perdent chaque jour qui passe, une partie de leur âme et leur charme d’antan. Face à la boulimie foncière et l’appétit des marchands d’immobiliers, se joue depuis quelques années, un véritable drame : celui de voir disparaître définitivement tous les espaces réservés à l’éducation publique dans le centre. Au su et au vu des observateurs, l’école publique, fleuron du système à une époque récente, se meurt dans le centre de la capitale faute d’effectifs aussi et de moyens. Et, au fil des années, de vraies questions demeurent pour l’avenir de toutes les écoles élémentaires et collèges dont les responsables voient d’un mauvais œil, l’appétit grandissant des promoteurs privés et de l’Etat sur tout ce qui touche à la terre et au béton dans le centre de la ville de Dakar.
Une ambiance morose. Un environnement maussade ; des toilettes dans un état à l’abandon, que reste-t-il vraiment de beau et de fonctionnel dans l’enceinte de l’ex. Ecole Libération situé dans le quartier d’affaires autour du port de Dakar ? Au fil des ans, presque laissée à elle seule, l’établissement est dans une situation peu enviable comme les autres établissements publics du coté de Klébert, de Thiers, Fleurus etc. L’exemple-type de ce malaise des écoles du centre de Dakar, se retrouve dans cette ancienne école élémentaire Libération, aujourd’hui connue par ceux qui passent du côté des môles 1 et 2 du Port autonome de Dakar avec son portail laissé aux badauds, aux mendiants et aux marchands ambulants.
Au milieu d’une cour vide ce mercredi après midi (19 avril), ils sont quelques élèves d’un autre établissement privé du centre (des filles pour la plupart) qui se déhanchent tranquillement après un cours après avoir profité du calme ambiant pour réviser leur cours de l’après-midi. Il fait frais. Le soleil perce de ses rayons le feuillage ardu des arbres encore présents dans ces vieux magasins qui servaient à l’inspection de l’enseignement de mettre en sécurité le matériel scolaire.
Aujourd’hui, entouré de partout par le béton et d’importants projets immobiliers, le lieu semble en sursis. Devant les quelques grandes espèces d’arbres encore debout dont un cailcédrat géant préservé de la prédation des hommes, encore majestueux au milieu de cette enceinte, il ne semble y voir aucune vie. L’arbre qui a vu passer des générations d’élèves, se tient encore au milieu de la cour sans aucun entretien (ni élagage, ni arrosage). Mais, il reste le symbole d’une certaine époque et d’une vie passée pleine de promesses. L’école devait être belle et bien agréable à une certaine époque.
Assis dans son modeste bureau aménagé dans les vieux magasins de cette enceinte, l’homme, la soixantaine, Mamadou Sellou Diallo vit un sérieux malaise mais aussi la crainte de voir bientôt rayée de la carte scolaire l’institution (Jaraaf Falla Paye I et II) qu’il a la charge de diriger avec un autre collègue. Face au manque de perspectives, l’établissement ne survit que grâce à l’appui temporel de la Commune d’arrondissement de Dakar Plateau. Installé dans de vieilles bâtisses qui servaient de magasins pour les inspections de l’éducation, l’ex. Ecole Libération aujourd’hui appelée Jaraaf Falla Paye, du coté du boulevard du centenaire, M. Diallo est presque sans espoir. Au bout des 15 années passées dans cet établissement, il tire déjà un bilan peu reluisant de ce long moment passé à la tête de cette institution.
Depuis octobre 2001, qu’il est arrivé dans cette école, plein d’espoir des premières années a compris que l’avenir de son établissement ne se dessine pas sous de bons auspices. L’école semble avoir désormais son avenir derrière elle. La narration est lourde d’émotion. Le flot des mots qui sort de ses réflexions, traduisent aussi une certaine impuissance. Chez lui, le drame n’est pas seulement dans le manque de moyens, d’élèves en nombre, mais encore dans la démission des parents d’élèves qui n’existent même pas des fois. Il est également dans le manque d’horizons clairs pour toutes ces écoles situées en centre ville. 211 élèves pour six classes. Un personnel de sept enseignants si on y ajoute le maître d’arabe, l’ex. École libération pour les moins jeunes, n’est plus la même.
Située au cœur même du port de Dakar, l’établissement scolaire, fondé en 1953, manque aujourd’hui, de fraîcheur malgré sa belle cour qui rappelle, les beaux moments d’une certaine époque. Le paradoxe est que toutes ces grosses entreprises qui la ceinturent n’ont pas une idée de son existence, parce que selon le Directeur de la section II, « leurs enfants n’y étudient pas ici. » Jeter un coup d’œil sur les effectifs que vous serez encore plus désorientés. Des classes de 20 élèves occupées par des enseignants sans reflet, parce qu’eux-mêmes démotivés ou parfois sans véritable niveau. C’est à croire qu’on ne regrette pas des fois l’âge d’or de ces établissements pendant la période coloniale avec tous ces enseignants blancs respectés pour leur tenue et le dévouement à la chose publique et l’éducation des enfants.
UN DIAGNOSTIC LUCIDE QUI FAIT PEUR
Les deux entités qui composent ce vaste espace Jaraaf Falla Paye I et II sont presque devenues des aires abandonnées à elles mêmes. Triste sort pour des grandes écoles. La faute, selon le directeur, à l’absence d’engouement pour les parents qui résident encore au Plateau d’y amener leurs enfants. « Depuis 15 ans que je suis ici, j’ai noté, cinq ans après mon arrivée, une baisse graduelle des effectifs. Si avant, on avait des classes qui tournaient autour de 40 à 60 élèves, aujourd’hui dans certaines, on ne dépasse pas la barre des 20. Nos CM 1 et CM 2 ne comptent d’ailleurs que 20 et 21 élèves pour tous les deux établissements. »
« Nos effectifs se sont réduits, poursuit Sellou Diallo, par le fait qu’ici sur le Plateau, beaucoup de grandes familles ont préféré, face à la spéculation immobilière, vendre leur maison et se réinstaller en banlieue, vers Sangalkam et même plus loin vers Thiès. Ce qui fait que si vous regardez les origines sociales de nos élèves beaucoup parmi eux n’ont pas de parents qui résident ici. Certains ont des parents qui errent sans domicile fixe, la plupart d’entre eux vendent ici ou là, d’autres encore viennent de familles issues des régions de l’intérieur installées ici que pour faire du commerce. Le fait que l’enfant soit bon ou non à l’école ne les préoccupe pas ; l’essentiel est qu’il soit un élève… » Dans presque toutes les écoles élémentaires et secondaires du centre, le problème semble être le même, et le manque de moyens comme le souligne Ibrahima Kouta Directeur de l’Ex. Ecole de la rue de Thiers, reste le principal problème auquel fait face l’école publique ici. Au moment, ou selon lui, l’Etat interdit de faire payer les inscriptions aux parents.
Autre grave problème, est aussi l’absence d’identité chez certains élèves inscrits dans ces établissements sans aucun bulletin de naissance. « Ce qui fait, explique le Directeur, qu’à l’approche des examens, nous avons d’énormes problèmes pour les inscrire et leur faire passer l’entée en sixième. Hier seulement, une femme d’origine guinéenne dont les deux enfants étaient inscrits ici, est venue me voir pour me dire qu’ils arrêtaient leurs cours et rentraient sur la Guinée… »
La politique de la mairie de rassembler ces écoles dans un même ensemble au niveau de Bibi Ndiaye, serait une solution en cas de fermeture de l’Ecole de la Rue de Thiers et peut-être de Jaraaf Falla Paye ; ce serait selon M. Kouta, le regroupement de trois écoles en une seule. Cela donnerait plus de vie à l’espace.