En ne se fondant que sur le titre de l’ouvrage, ‘’Baaba Maal, le message en chantant’’, on peut à tort penser à une plate biographie comme on en trouve à foison sur la place littéraire. Au-delà de l’homme Baaba Maal, de sa vie et de son œuvre, Oumar Demba Bâ, par un jeu de tiroirs, va se retrouver devant un sujet beaucoup plus vaste : le Sénégal en mouvement …
‘’Baaba Maal, un homme, plusieurs cultures’’ ‘’Baaba Maal, icône métissée’’... Ainsi pourrait s’intituler, sans trahir l’esprit et la lettre, l’ouvrage d’Oumar Demba Bâ édité par l’Harmattan, et présenté au public mercredi dernier. Le thème du métissage est en effet omniprésent dans l’ouvrage. Tel un fil d’Ariane dans un labyrinthe africain, cette thématique traverse les 212 pages accouchées sur le ‘’Roi’’ du Yéla’’ par l’auteur qui, bien que diplomate de carrière, révèle une bonne maîtrise de l’histoire et de la culture sénégalaise.
Au carrefour de ‘’plusieurs branches généalogiques’’, les origines de Baaba Maal, ‘’thiouballo’’ (pêcheur chez les Pulaar), se rattachent à la fois ‘’aux Peuls, aux Sérères et aux Mandingues, lui conférant ainsi plus qu’une ‘’sénégalité’’, une africanité authentique’’, lit-on dès la page 19 de son ouvrage.
Mais ce métissage biologique n’est pas ce qui impacte l’œuvre de Baaba Maal pour orienter sa montée vers les sommets de la gloire. La terre podoroise, (ville cosmopolite ‘’où le wolof est parlé’’ et où l’on retrouve des vestiges de la colonisation comme le fameux Fort de Podor, ainsi que l’exploitation des populations locales par les Maures, jusqu’à l’avènement de la révolution théocratique toroodo avec Thierno Souleymane Baal), est un terreau fertile à la gestation du talent du jeune Baaba Maal. L’artiste grandit dans un milieu habité à la fois par les mythes de l’eau, (histoires extraordinaires chantées et dansées entre Podor et Ndioum, tout au long du fleuve), par la pratique de l’islam et par le passage du colon.
Bien que ses appels à la prière aient fortement influencé le jeune Baaba Maal, son père, ancien combattant devenu muezzin, ne veut surtout pas qu’il chante. Selon la tradition, ses origines de thiouballo le lui interdisent. Baaba Maal peut cependant compter sur la complicité de sa mère. ‘’La complicité mère-enfant était à ce point accomplie qu’elle sera immortalisée par le titre ‘’Baayo’’ (L’orphelin), de l’album éponyme que le fils dédia en hommage post mortem à sa mère décédée en 1984’’. C’est cet album, ‘’telle une offrande maternelle d’outre-tombe’’, ‘’qui lancera la carrière internationale de Baaba Maal…’’.
En vérité, rien ne s’offre au jeune Baaba Maal. Si son père lâche du lest lorsqu’il l’entendra chanter un air à l’honneur d’El Hadj Omar Foutiyou Tall, Baaba Maal ne pourra investir l’univers du Yéla, ‘’qui a la particularité d’être l’apanage exclusif du gawlo’’, qu’‘’avec la bénédiction des maîtres du genre, dont le maître gawlo Mansour Seck, son ami d’enfance’’.
Toute l’histoire de la vie de Baaba Maal est faite de ‘’conquêtes’’, ‘’concessions’’ ‘’rencontres’’ qui sont autant de postures qui lui permettent de grandir très rapidement sur le plan professionnel. C’est pourquoi lorsqu’il débarque à Dakar, baccalauréat en poche, après un passage à Saint-Louis, il est déjà un fruit mûr, fortement métissé, conquérant tranquille.
L’intérêt de cet ouvrage sur Baaba Maal, c’est qu’il interroge une vie bien remplie pas seulement sous le prisme de la réussite individuelle, mais sous l’angle du vivre-ensemble. ‘’L’héritage traditionnel, la diversité socio-culturelle et le vécu spirituel du Fuuta fondent en grande partie le substrat de l’œuvre de Baaba Maal. On ne peut comprendre et apprécier son itinéraire que sous l’éclairage de ces trois paradigmes qui la traversent tel un marqueur indélébile (…). Il (Ndlr, Baaba Maal) puise à la bonne source pour nous rappeler ce qui lie les uns aux autres et forme notre patrimoine commun’’, écrit Oumar Demba Bâ.
Et si ‘’nous sommes tous liés les uns aux autres, ce qui fait du Sénégal une véritable Nation reposant sur une réalité historique et sociologique avérée’’, il faut en rester conscient. Car, ‘’bien des peuples auraient souhaité l’avoir. Et d’autres, parce qu’ils n’ont pas su préserver cette chance qui entretient le désir de vivre ensemble, ont sombré dans le malheur’’. Une phrase qui sonne comme un appel à la prudence et à la vigilance !