Transrail est devenu Dakar-Bamako ferroviaire. Le changement a été effectif depuis mars 2016. Dans cet entretien avec EnQuête, Joseph Gabriel Sambou, le Directeur de la nouvelle entité, revient sur les péripéties ayant entraîné le retrait de la concession au président de Transrail investissement en l’occurrence Abbas Jaber. Avant de décliner sa feuille de route dont l’objectif final est de remettre Dakar-Bamako ferroviaire sur les rails.
Vous êtes le Directeur général de Dakar-Bamako ferroviaire, une structure née sous les cendres de Transrail. Quelles sont aujourd’hui les perspectives de cette nouvelle entité ?
Je voudrais d’abord faire quelques précisions sur le Dakar-Bamako ferroviaire. Il ne s’agit pas d’une nouvelle société, il s’agit d’un organe de gestion de l’activité ferroviaire Dakar-Bamako après la résiliation de la concession. Dans les années 1990, juste avant 2000, le chemin de fer était géré dans les deux pays par la Société nationale des chemins de fer au Sénégal et par la Régie des chemins de fer au Mali. Ce sont les États qui géraient et ont décidé, à l’orée des années 2000, de privatiser l’activité du chemin de fer. Cette privatisation a été faite sous la forme d’une concession intégrale. Il s’est trouvé que le mobile qui a été choisi pour cela a été Transrail.
Il a été mis en place en 2003 pour une durée de 25 ans. Malheureusement, au bout de 3 ans déjà, en 2006, la concession a commencé à battre de l’aile. Il a été donc décidé, en 2010, de changer de schéma en revenant sur le modèle de la concession parce que la concession intégrale ne marchant pas, il a été décidé de faire une concession de l’exploitation avec les privés mais aussi de mettre en place les sociétés de patrimoine dans chaque pays avec un organe de régulation. Cela a permis aux Etats de pouvoir investir sur la voie ferroviaire, ce que les privés n’ont pas pu faire. Mais avec tous ces problèmes survenus après, les deux États ont décidé de résilier la concession de manière à pouvoir mettre en place une nouvelle concession de l’exploitation cette fois-ci, mais aussi d’investir sur la voie ferrée.
Justement, les 2 États ont décidé de retirer la concession mais comment le Sénégal et le Mali ont-ils procédé pour se séparer de l’actionnaire majoritaire Abass Jaber ?
Les États du Sénégal et du Mali ont utilisé un des articles dans la convention de concession, la disposition 10-3. Les États n’ont fait que se conformer à ce qui existait déjà dans la convention de concession et qui leur permettait de procéder à la résiliation de la concession. Et c’est cela qui a été fait sans plus.
Quelles sont les dispositions qui ont été prises pour assurer cette phase de transition ?
Pour assurer cette phase de transition, c’est Dakar-Bamako ferroviaire qui a été créé. DBF est un organe de gestion, un organe administratif doté de la personnalité juridique et qui peut mener des activités de transport de marchandises sans problème sur le plan juridique. C’est cela qui a été mis en place. Maintenant, il y a une équipe de direction qui a été nommée, composée de deux Sénégalais et de deux Maliens. J’ai l’honneur de diriger cette équipe. Nous avons sur place des cadres de direction avec lesquels nous travaillons pour réussir cette mission.
Qu’en est-il des ex-travailleurs de Transrail ?
Les ex-travailleurs de Transrail ont ceci de particulier : ils ont été gérés par l’ancienne direction jusqu’au 7 mars 2016. Je dois dire qu’il y a 58 travailleurs concernés par le problème des indemnités de départ. Ils sont tous partis à la retraite dans la période où Jaber était aux affaires. Ce qui est un peu étonnant dans leur démarche, c’est que ces personnes n’ont jamais rien exigé à Jaber. Je dois quand même préciser que celui qui a fait une sortie dans la presse pour réclamer des indemnités de retraite, était cadre de direction avec l’équipe de Jaber.
Il aurait donc dû réclamer à Jaber ses indemnités de retraite parce qu’il est parti dans la période où Jaber était là. Maintenant, il se retourne contre les États en disant que ces derniers doivent les payer. Les États ont décidé, pour ne pas avoir de problème social, de prendre en charge cette question parce que la disposition de la convention de concession dont j’ai parlé tout à l’heure donne le droit à une indemnité calculée que l’actionnaire qui vient de partir doit mettre sur la table. Une étude sur la question est en train d’être faite .Et le Sénégal et le Mali ont 3 mois pour livrer les conclusions à l’actionnaire. Si ce dernier est d’accord, on valide l’étude. S’il n’est pas d’accord, nous allons continuer la discussion et faire de notre mieux pour que le règlement de ce problème se fasse de manière juste et équitable.
Donc DBF est chargé de faire la liquidation de Transrail ?
Non, nous ne sommes pas chargés de faire la liquidation. Elle sera décidée par les actionnaires de Transrail. Ce n’est pas encore fait. Je rappelle que les États sont actionnaires dans Transrail. Les États et les actionnaires privés se réuniront autour d’une table pour régler cette affaire.
À part Abass Jaber quels sont les autres actionnaires privés ?
En réalité, Abass Jaber n’était pas directement actionnaire. Il était le président d’un paquet d’actionnaires qui s’appelait Transrail Investissement. Par abus de langage, on dit Jaber mais l’actionnaire majoritaire, c’est Transrail Investissement. Ce n’est pas Jaber directement.
Que vont devenir les travailleurs de Transrail avec l’avènement de DBF ?
Je dois dire que notre feuille de route, c’est de sécuriser d’abord l’emploi des travailleurs. Pour ce faire, les États ont décidé, quand bien même l’activité ne peut générer de chiffres d’affaires parce qu’il n’y a pas suffisamment de locomotives, de payer les salaires pendant 6 mois à partir du mois de mars 2016.
Et à la fin de ces 6 mois ?
L’activité devrait redémarrer pour pouvoir prendre en charge les salaires. Mais en attendant, les deux États ont décidé de prendre en charge les salaires pour près de 500 millions chaque mois. Ce qui fait au total 3 milliards de F CFA. Ensuite, lors de la passation de service du 7 mars, Transrail ne nous a laissé que deux locomotives qui marchent.
Ah bon ! Comment est-ce possible ?
Oui ! Sur un parc de 20 locomotives, il n’y a que deux qui marchent. Si vous faites du transport de marchandises et vous n’avez que deux locomotives qui marchent, cela pose problème. Nous n’avons qu’un seul train par semaine, alors que dans une exploitation normale, c’est un train par jour. Donc il n’y a pas de chiffre d’affaires pour payer les travailleurs. Ainsi, les États ont décidé de prendre en charge le volet social. Pendant ce temps, on a mis à notre disposition un budget de 2,5 milliards de F CFA pour acheter des pièces détachées. Après avoir fait le diagnostic, on s’est rendu compte que les locomotives souffrent de problèmes de pièces de rechange. Si nous achetons ces pièces, les agents sont prêts à réparer et à faire redémarrer les autres machines.
Donc vous êtes optimiste quant à l’avenir de DBF ?
Oui je suis optimiste quant à la relance de l’activité parce qu’on aura mis les moyens pour au moins y arriver. Un transport de marchandise, c’est d’abord du matériel. Ensuite, il y a la voie ferrée. Sur la voie ferroviaire, il y a certains endroits qui sont très dangereux où le train peut dérailler ou même chuter. Pour faire face à cette situation, il est prévu 2 milliards pour réparer les points critiques. 2,5 milliards pour le matériel, 2 milliards pour la réparation plus un budget de 3 milliards pour les salaires, cela fait un budget global de 7 milliards 500 millions, pris en charge par les deux États de manière paritaire. Chacun verse 50%. En outre, le Sénégal et le Mali travaillent pour la réhabilitation de la ligne de Dakar à Bamako. Au Sénégal, c’est un projet estampillé Pse (Plan Sénégal émergent), pour lequel, en décembre dernier, l’État a signé avec des partenaires chinois un contrat commercial pour 754 milliards de F CFA.
Ce projet de réhabilitation de la ligne ferroviaire Dakar-Bamako va-t-il répondre au standard international en la matière ?
Le projet de réhabilitation n’est pas fait pour changer d’écartement parce que les experts sont unanimes à reconnaître que, s’il faut faire un chemin de fer avec un nouvel écartement, cela reviendrait à faire l’impasse sur ce qui existe déjà. Si on arrête le transport de marchandises entre Dakar et Bamako, on va tuer le Port de Dakar. Ce n’est pas possible d’avoir ce schéma. Surtout que pour l’écartement standard, ce serait deux fois 754 milliards. Est-ce que les 2 pays ont les moyens de le faire ? Je pense que Non. Donc il faut être réaliste.
Pour un transport massif de marchandises, on n’a pas besoin d’aller forcément à l’écartement standard. Le pays qui utilise le plus d’écartement métrique, c’est l’Afrique du Sud qui a un réseau très performant. L’Inde a le plus gros réseau de métrique au monde. Le Brésil a 60% de son réseau qui est en métrique. En Europe, quand on a commencé à faire standard, c’est quand on a voulu faire de la vitesse comme les TGV (Trains à grande vitesse). Cette discussion, les gens le font volontiers. Dans un pays plat comme chez nous, on peut même faire du transport de marchandises sans aller au standard. Mais pour le TER (Train express régional), il est prévu de faire deux voies à écartement standard, car il s’agit dans ce cas de transporter des voyageurs.
Quel est l’horizon que vous vous êtes fixé, pour que DBF puisse prendre sa vitesse de croisière ?
DBF n’a pas d’autres horizons que celui de la phase transitoire. On est dans une période transitoire avant l’avènement d’une nouvelle concession pour la laquelle des investisseurs privés ont déjà manifesté leur intérêt. Dakar Bamako Ferroviaire est chargé, depuis le 5 mars 2016, de conduire les opérations en attendant l’arrivée de nouveaux investisseurs. La durée de la transition est fixée à un an. Donc d’ici mars 2017, on devrait être prêt pour une nouvelle concession et présenter ‘’une nouvelle mariée’’ dans un état reluisant.