Coordonnateur du Cadre de concertation de l’opposition et du Front patriotique pour la défense de la République, Mamadou Diop Decroix semble ne pas être ébranlé par des retrouvailles de la famille libérale. Surtout que le leader d’Aj/pads estime que le dialogue tant agité ces jours derniers reste encore une arlésienne. Aussi, dans cet entretien avec EnQuête, le leader du FPDR qui continue de contester les résultats du dernier référendum se projette déjà dans un schéma de cohabitation. Lequel passe par une victoire de l’opposition aux législatives de 2017.
Le chef de l’Etat a agité l’idée des retrouvailles de la famille libérale ? Quel commentaire cela vous inspire ?
Ça me semble être un débat qui concerne les libéraux. Je ne suis pas un libéral. Toutefois, je me méfie aujourd’hui des étiquettes et des épithètes quand je vois les uns et les autres à l’épreuve du pouvoir.
Un tel schéma ne risque-t-il pas de torpiller les actions du Cadre de concertation de l’opposition ?
Le Cadre de concertation n’est pas bâti sur des bases idéologiques ou doctrinales mais sur des bases politiques. Nous sommes opposés aux politiques et à la gouvernance de Macky Sall. Notre responsabilité est de mettre en place une plate-forme qui soit réellement nouvelle, porteuse des réformes dont le pays a un ardent besoin y compris les mécanismes qui empêcheront un (e) élu (e) de n’en faire qu’à sa tête. En bref, il s’agit de faire du Sénégal une véritable République où la loi règne en maître et non la volonté du prince ; un pays où on respecte les engagements pris, où l’Etat de droit est respecté et où la citoyenneté est sublimée.
La prochaine plate-forme de l’Opposition devra démontrer sa supériorité sur les politiques en cours dans tous les domaines et à tous égards. Une coalition qui travaille sur ces chantiers d’une brûlante actualité ne peut pas être torpillée par des initiatives extérieures surtout pas par un débat sur les retrouvailles de la famille libérale. Dans le cadre de concertation que nous avons mis en place, vous avez, par ordre alphabétique, Bokk Gis gis, le Pds, Réew mi et l’Ucs qui sont tous des formations d’obédience libérale jusqu’à plus ample informé. Mais vous avez aussi Aj/Pads, le Fsd/Bj et le Grand parti qui ne sont pas d’obédience libérale. Chacun a le droit de débattre avec qui il veut de ce dont il veut puisque les partis sont souverains. Mais je ne crains pas qu’un débat puisse influer négativement sur notre travail de rassemblement du maximum de forces politiques et sociales pour une alternance qui porte une alternative de prospérité et de liberté pour le peuple sénégalais.
Qu’en est-il du Front pour la défense de la République ? Cette coalition peut-elle survivre à des retrouvailles de la famille libérale ?
Ce qui est valable pour le Cadre de concertation est valable pour le FPDR. Le Front travaille à la restauration des valeurs et des principes qui fondent la République. D’ailleurs cette tâche incombe à toutes et à tous et sa prise en charge dépasse les deux cadres dont vous avez parlé. J’estime que tous les partis politiques qui sont sur le terrain de l’opposition devraient se retrouver pour agir de concert avec les organisations et mouvements de la société civile et les personnalités indépendantes dans le sens des objectifs qui sont largement partagés et que j’ai listés à l’instant. Les mobilisations du référendum ont montré, en dépit de leur allure de marche forcée imposée par le camp d’en face, qu’il est possible de passer à un cran supérieur en terme d’unité et de cohésion. Le pays y gagnera à coup sûr.
Selon vous, sur quoi doit porter le dialogue entre le pouvoir et l’opposition ?
Soit le dialogue conjure les convulsions, soit les convulsions débouchent sur le dialogue. Ceci est prouvé par l’Histoire des Nations. Mais le dialogue qui conjure les convulsions ne saurait être une entreprise où le pouvoir cherche à rouler son opposition dans la farine. Le pouvoir poursuit des objectifs mais il connaît aussi les exigences de l’Opposition. Celle-ci est victime depuis quatre ans de toutes sortes de brimades qu’il faut corriger. La restauration des libertés politiques, la ré-crédibilisation du processus électoral par un retour au consensus de 1992, l’organisation des élections par une autorité consensuelle, l’accès aux médias du service public, etc. sont aujourd’hui des préoccupations qui enjambent les barrières partisanes, doctrinales, idéologiques, confessionnelles…
Ce sont des exigences de tous les pans de notre société. Quant à la façon dont le président de la République gouverne le pays, c’est à lui d’en répondre devant le peuple le moment venu. Il ne nous appartient pas, selon moi, de dialoguer avec lui sur ses politiques. Nous de l’Opposition, notre rôle est de nous démarquer, de dénoncer et de combattre ses politiques si nous ne sommes pas d’accord comme c’est le cas dans moult domaines y compris les nombreux scandales comme, pour ne citer que le dernier en date, celui de Bictogo et ses 12 milliards de l’argent public versés pour dédommagement d’on ne sait quoi pour l’instant. Mais ce sont là juste des positions de principe qu’il est bon de rappeler. Il reste évident que le dialogue reste encore une arlésienne. On en parle mais on ne le voit pas. Lorsque celui qui en a proclamé la volonté politique se décidera à passer à l’acte en nous saisissant, alors nous aviserons.
Continuez-vous à contester les résultats du dernier référendum ?
Absolument ! Nous avons produit des preuves accablantes qui montrent clairement que ce qui s’est passé le 20 mars 2016 et en amont, ne doit plus se reproduire dans notre pays. Nous le montrerons lorsque nous en déciderons.
Comment l’opposition compte aller aux prochaines législatives ?
Unie comme un bloc monolithique et solide comme le granit pour l’emporter largement sur Macky Sall et lui imposer la cohabitation pour ce qu’il restera de son mandat.
Le gouvernement a décidé de signer les APE. Est-ce une bonne chose, selon vous ?
C’est l’une des pires choses qu’il aura faites. L’Europe est infiniment plus forte que l’Afrique au sud du Sahara et pourtant elle refuse de signer l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis d’Amérique dans les conditions actuelles. Nos économies vont disparaître. Il n’y aura plus d’agriculture, plus d’industrie, plus de services sinon leur agriculture, leurs industries, leurs services… Le Nigeria a refusé de signer. Il pèse 60% des nos économies et fait 50% de la population de la sous-région. Pourquoi ne pas faire bloc avec lui et mettre en œuvre une proposition pertinente consistant à ouvrir une caisse de solidarité pour compenser les pertes que certains pays pourraient connaître du fait de la non-signature des accords ?
Il est démontré que les montants nécessaires sont largement en deçà des pertes encourues en cas de signature. Il faut d’ailleurs déplorer le fait que la sensibilisation des populations sur ces accords avec l’Europe n’ait pas connu l’ampleur nécessaire en dépit des efforts louables que le Président Wade avait fait là-dessus. Aujourd’hui, ce sont pour l’essentiel les organisations de la société civile qui se battent presque toutes seules. Je souhaiterais que les partis politiques notamment de l’Opposition rejoignent ce combat qui est un combat de libération nationale et d’émancipation sociale.
Pourtant l’ambassadeur de la France au Sénégal estime que notre pays a intérêt à signer ces APE
Est-ce qu’il en a apporté les preuves ? Non il ne les apportera pas tandis que ceux qui disent non aux APE apportent, eux, des preuves palpables à la signature. En France où il est ambassadeur du Sénégal, la Délégation de l’Assemblée nationale française au Parlement européen est hostile aux APE, en parlant d’un ‘’Projet constituant une erreur politique, sociale, économique et stratégique’’. Comme toujours, hélas, nous sommes plus royalistes que le roi.
Après le Saes, le Fuse et le Sutsas ont suspendu leur préavis de grève. Qu’en pensez-vous ?
J’imagine que le gouvernement a dû faire des concessions qui ont conduit les enseignants à suspendre leur préavis ou ont donné des garanties plausibles dans ce sens. Si tel est le cas, il faut s’en féliciter et demander au gouvernement de faire la même chose avec les autres dirigeants de syndicats d’enseignants qui sont en lutte comme les Dianté, Zoumarou et autres.
Que préconisez-vous pour résoudre de manière définitive la crise de l’Education?
Il faut distinguer la crise structurelle de gestion et la crise de vocation de l’Ecole. Les crises cycliques du système se donnent sous la forme de crise de gestion mais la crise fondamentale est une crise de vocation. Répondre à votre question serait trop long dans le cadre de cet entretien. J’ai produit un document qui synthétise ma vision de l’Ecole et de l’Université. Il est extrait d’un manuscrit qui sera probablement publié si les circonstances me donnent le temps de le terminer. Il s’intitule : ‘’Quelle vision politique pour le Sénégal ?‘’. La thèse centrale qui y est soutenue est que nous devons ‘’changer de cap pour un nouveau programme alternatif fondé sur le ’Gëm sunu bopp’’ (Ndlr : croire en nous). Pour la crise en cours de l’Ecole, il faut juste que le gouvernement respecte ses engagements.
S’il en est incapable, qu’il arrive à convaincre les enseignants sur ce qu’il est capable de faire. J’imagine que lorsqu’on voit la gestion gabegique en cours, ce sera difficile de convaincre les enseignants de l’impossibilité pour le gouvernement de régler les problèmes à incidence financière qui sont posés. Concernant le côté vocation, il nous faut d'abord savoir à quoi sert l'Ecole, par delà ses invariants, à chaque moment historique déterminé, pour assigner aux instruments qui lui sont dédiés des rôles et fonctions en cohérence avec les finalités. Encore une fois, ‘’il n’y a pas de bon vent pour le marin qui ne sait pas où il va’’. Il nous faut une jeunesse formée différemment. Les générations devancières peinent à décoloniser leurs cerveaux.
Est-ce que cela est suffisant pour résoudre les problèmes de l’Ecole et de l’Université ?
A côté de l’école classique profondément réformée, la promotion des langues nationales et l'inclusion des Daara dans le système éducatif vont renouveler et raffermir, pour ainsi dire, les bases de notre enracinement et de notre modèle spécifique de développement. Ce seront de puissants antidotes à l'aliénation culturelle à l'ère de la mondialisation. C'est, au demeurant, toute la portée et la place du "gëm sunu bopp" dans l'éducation et la culture. La vraie histoire du pays et de l'Afrique y sera enseignée de façon que la jeunesse acquière la fierté légitime qu'elle doit acquérir et la force de caractère que confère la confiance en soi.
Y seront également enseignées l'histoire des résistances anti esclavagistes déjà, puis l'histoire de la résistance coloniale aussi bien sous sa forme traditionnelle et temporelle que sous sa forme religieuse et spirituelle ; et sous cette dernière forme, l'histoire de la résistance religieuse armée comme celle de la résistance religieuse non armée. Les thèses de Cheikh Anta Diop et de ses disciples seront mises à contribution dans cette œuvre de rédemption historique.
C’est en nous ancrant à ce substrat que nous pourrons brasser nos valeurs de civilisation avec celles des autres civilisations en participant victorieusement à la bataille des contenus qui fait rage sur la toile et les bouquets de Tv. (…) Le service civique national, repensé et réformé et le service militaire seront articulés de manière que chaque jeune, à partir d'un âge à déterminer, puisse subir une formation adaptée à son profil afin de pouvoir, pour une période d'un an à deux ans, servir le pays dans un domaine déterminé, selon des programmes et des curricula élaborés par les spécialistes dans les filières concernées. C’est dans ces têtes-là que germeront le Sénégal et l’Afrique de demain.