Forcés à vivre ensemble par le destin, le Sénégal et la Gambie, ont depuis les temps coloniaux essayé d’harmoniser leurs positions aux plans politique et économique. Leur accès séparé à la souveraineté internationale, respectivement en 1960 et en 1965 n’a fait que renforcer la volonté de chacune des parties de sauvegarder ses intérêts nationalistes. La signature de plusieurs accords bilatéraux entre les deux pays n’a pas permis de régler les mêmes préoccupations qui persistent de nos jours. En revisitant la thèse de Doctorat de 3e Cycle en «Etudes Africaines» de Thierno Soulèye Mbodj, sur «La Confédération de la Sénégambie : Réalités et perspectives» soutenue en Janvier 1985 à l’Institut d’Etudes politiques de l’Université de Bordeaux 1, on comprend encore mieux pourquoi il y a toujours le statuquo après les négociations.
Après plusieurs mois de blocus de la transgambienne, la classe politique sénégalaise et gambienne, de même que la société civile s’activent pour que les deux pays «frères» se retrouvent autour de la table des négociations pour arrondir les angles. En revisitant l’histoire, on se rend compte que de l’accord frontalier franco-anglais de 1889, en passant par le traité d’association entre les deux pays du 19 avril 1967 et les accords de Kaur du 17 décembre 1981 instituant la Confédération sénégambienne, les deux pays ont toujours tenté de se rapprocher pour harmoniser leur vie commune. Mais les intérêts nationalistes ont toujours surgi pour bloquer les processus comme c’est le cas aujourd’hui sur la question du pont. La thèse de Doctorat de 3e Cycle e Thierno Soulèye Mbodj, sur «La Confédération de la Sénégambie : Réalités et perspectives» soutenue en Janvier 1985 à l’Institut d’Etudes politiques de l’Université de Bordeaux 1, en explique les diverses raisons.
LES RETROUVAILLES, UNE PREOCCUPATION COLONIALE
Au plan politique, Dr Thierno Soulèye Mbodj nous signale que dès l’époque coloniale, «une Sénégambie unifiée et indivisible constitue depuis le 17e siècle une vielle idée longtemps caressée par les Anglais, puis par les Français pour remédier aux aberrations de leurs rivalités coloniales dans la partie ouest du continent africain». Hélas, poursuit l’auteur, «l'histoire en décidera autrement, puisque le traité de Versailles de 1783, cristallisera définitivement les possessions françaises sur le Sénégal et anglaises sur la Gambie, malgré les tentatives françaises de récupération sans issue du "paradis fiscal" ouest-africain, moyennant l'octroi des comptoirs du Gabon, de la Dembia, et de l'actuelle Côte d'Ivoire». Pour lui, «la création d'un minuscule territoire anglophone à l'intérieur du Sénégal », est «une hérésie historique».
Mieux, il estime que c’est l’une «des fantaisies coloniales les plus étranges que l'histoire ait produit et que l'accord frontalier franco-anglais de 1889, fixera définitivement… L'Afrique sortira de cette grande épreuve, tiraillée, balkanisée, et sera désormais ballotée entre l'unité et le statuquo».
DES ACCORDS POLITIQUES BIEN FICELES
Dans son analyse, Dr Mbodj fait remarquer que «compte tenu de ces éléments, il est indéniable de constater que la sécurité de l'un des Etats passe par celle de l'autre d'où la multiplicité des accords politiques conclus entre les deux pays notamment l'accord d'assistance mutuelle en cas d'agression extérieure ou de menace, l'accord de coopération en matière de politique extérieure du 8 Juin 1964, l'accord portant création de l'organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG) du 18 février 1965, le traité d'association entre les deux pays du 19 avril 1967, etc.» Selon le chercheur et analyste politique, «l'objectif de ces accords avait pour but de résoudre les difficultés nées des questions politiques entre les deux Etats, mais force est de constater qu'ils n'ont pas répondu avec satisfaction aux espoirs qui ont présidé leur conclusion».
DES ACCORDS ECONOMIQUES A LA RESCOUSSE
Pour essayer de réussir le rapprochement que la politique n’a pas pu atteindre, il y a eu au plan économique un certain nombre d’accords qui ont été mis en œuvre. «La Gambie minuscule territoire pratique une politique d'importation massive de produits textiles et autres en provenance des pays de l'Est et d'Asie avec des taxes à l'entrée très faibles sinon inexistantes et qui dépassent de loin sa capacité de consommation "un paradis fiscal", "un free shop" pour qualifier la politique économique de la Gambie», explique Thierno Soulèye Mbodj.
Toutefois, il fait remarquer que «ces mêmes produits importés constituent au Sénégal un secteur important de l'activité industrielle». Le constat : «La Gambie inonde les pays voisins de son surplus de marchandises importées et notamment le Sénégal par le biais de la contrebande et de la fraude douanière», nous dit M. Mbodj. Pour régler le problème de la circulation des récoltes d’arachide de par et d’autre des frontières qui porte un coup à l’économie sénégalaise, «des séries d'accords en matière d'assistance administrative et douanière et de convertibilité du Franc CFA et du Dalasi, sont mis en place».
Des initiatives unilatérales comme les (Comités d'action de lutte contre la fraude au Sénégal) et bilatérales comme (l'accord de lutte contre la fraude douanière) sont mises en œuvre sans pouvoir atteindre les résultats escomptés. Par ailleurs, Dr Mbodj poursuit en ces termes : «La question de deux ponts sur le fleuve Gambie proposée par le Sénégal en remplacement des bacs n’a pas reçu l'agrément des autorités Gambiennes. La Gambie continue d'exploiter ses bacs dont une part importante assure les recettes budgétaires. Enfin, la question de la mise en valeur du fleuve Gambie sur le plan économique, née de la scission en deux Etats de l'ensemble sénégambien fait l'objet faute de mieux d'une exploitation commune dans le cadre de l'organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (O.M.V.G)». Et survint le 30 juillet 1981, un accident de l’histoire. Kukoi Samba Sanyang, surgit de nulle part, profite de l’absence du Président Dawda Jawara, invité au mariage du Prince Philippe en Angleterre, pour s’emparer du pouvoir à Banjul.
LA NAISSANCE DE LA CONFEDERATION
«Il a fallu plus de trois siècles de heurts, de rancoeurs accumulés et de pourparlers secrets et ouverts, après l'échec des négociations coloniales pour que le "mal nécessaire" de la Rébellion du 30 juillet 1981, à Banjul, accélère le cours de l'histoire dans un sens tout à fait opposé aux prétentions prémonitoires de Kukoi Samba Sanyang», renseigne Thierno Soulèye Mbodj. «De ce coup de force militaire, naîtra un compromis inespéré. Déjouant ainsi tous les pronostics géopolitiques et stratégiques, il sera l'occasion pour les Présidents Abdou Diouf, et Dawda Diawara, de signer le 17 Décembre 1981, un Pacte instituant une confédération de la Sénégambie. Ni la fédération encore moins l'intégration préconisées ne furent adoptées», poursuit-il.
Pour rappel, la confédération sénégambienne, annoncée officiellement le 14 novembre 1981 lors d’une cérémonie protocolaire à Banjul, a été signée le 17 décembre de la même année à Kaur sur le navire présidentiel gambien, Lady Tchilel Jawara, par les présidents Abdou Diouf et Dawda Jawara. La confédération, qui est officiellement entrée en vigueur le 1er février 1982, servait pour le Sénégal à désenclaver la Casamance, partiellement isolée du reste du pays par le territoire gambien. Gelée en août 1989, elle sera finalement dissoute le 30 septembre 1989 à la demande du président sénégalais, Abdou Diouf. Aujourd’hui, ce sont presque les mêmes questions évoquées par Mbodj qui persistent entre les deux pays. D’autres accords seront-ils encore de trop ? A table ! Espérons que ceux-ci soient les bons.