La situation des droits de l’homme en Gambie préoccupe les organisations des sociétés civiles basées à Dakar. Ce, à cause de l’escalade de la violence dont le régime de Yaya Jammeh fait montre contre les manifestations et les opposants. La Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), le Forum du Justiciable et Amnesty international interpellent la communauté internationale à mettre davantage de pression sur le dictateur gambien.
Me ASSANE DIOMA NDIAYE, LIGUE SENEGALAISE DES DROITS HUMAINS : «Nous travaillons … à amener la Communauté internationale à lancer à Yahya Jammeh une mise en garde sévère»
«Je pense qu’au niveau du gouvernement la tendance est à la négociation. C’est une position diplomatique que le Sénégal a décidé d’adopter, certainement en raison des liens solides et des intérêts, peut être, tenant à la nombreuse population sénégalaise présente en Gambie. Mais, il ne faut pas attendre du Sénégal une position radicale ou une position qui puisse aller dans le sens d’une radicalisation. En revanche, nous interpellons aussi la Communauté internationale parce qu’il y a aussi une question de droits humains. Et quand on parle de devoir d’ingérence, du devoir de protéger, c’est quand nous sommes dans une hypothèse comme celle de la Gambie, où un pouvoir s’adonne de façon récurrente à des violations massives de droits humains et des disparitions forcées, des arrestations arbitraires, des exécutions extrajudiciaires. Nous, nous travaillons dans ce sens, à savoir, amener la Communauté internationale à lancer à Yahya Jammeh une mise en garde sévère, de façon à l’amener au moins à arrêter ces violations massives, et surtout à libérer certaines personnes qui sont arrêtées arbitrairement et à instituer une Commission d’enquête nationale par rapport à des cas comme celui de Solo Sandeng où aujourd’hui nous avons des informations qu’il a été torturé sauvagement avant d’être exécuté. Et parallèlement à cette action sur laquelle nous travaillons, nous envisageons également une plainte contre Yahya Jammeh pour crime contre l’humanité. Ça, c’est au niveau des Ong de défense des droits humains pour éventuellement dissuader par rapport à d’éventuelles violations, qui pourraient être encore beaucoup plus grandes. Parce qu’on ne peut plus se contenter d’actions a postériori où la justice ne serait qu’une justice de réparation, après que le mal se soit produit. Donc, nous envisageons différentes actions. Mais, le problème c’est qu’au Sénégal, c’est par cette politique de complaisance que les gouvernements successifs ont toujours adopté et même ce blocus est plus le résultat d’une action citoyenne, que d’une politique gouvernementale. Des choses beaucoup plus graves se sont passées sans que le gouvernement n’y aille de ses prérogatives, ne serait-ce que des réciprocités. Le Sénégal n’a jamais même usé du droit de réciprocité qui est un principe en matière de relations internationales. Quand la Gambie a exécuté des Sénégalais, quand il a violé d’autres intérêts sénégalais, le Sénégal n’a jamais prononcé, ni même fait un rappel d’ambassadeur ou des notes de protestations diplomatiques».
BABACAR BA, PRESIDENT DU FORUM DU JUSTICIABLE : «Nous devons continuer à crier cela haut et fort afin que … l’opinion internationale nous entende et réagisse»
«Nous dénonçons tous la répression au niveau de la Gambie. Etant des militants des droits de l’hommistes, nous ne cautionnons pas cette répression, car nous croyons à la liberté d’expression. Aujourd’hui, la seule possibilité de la société civile sénégalaise, c’est de continuer à dénoncer les répressions au niveau de la Gambie. C’est tout à fait difficile, mais il faut reconnaitre que l’Etat gambien est tout à fait souverain. L’Etat du Sénégal ne peut rien faire. Mais, je pense que la Cedeao est aujourd’hui l’Institution habilitée à faire quelque chose de concret. Parce que, si on a mis en place des instances sous-régionales, c’est pour qu’en temps de crise, la Cedeao puisse intervenir. On a mis en place des forces d’interposition pour que si on se rend compte qu’il y a un Etat membre de la Cedeao où il y a des guerres ou des répressions, que cette force d’interposition joue ce rôle. Mais, il est regrettable de constater que la Cedeao hésite à envoyer des forces d’interposition au niveau de la Gambie. En tout cas, au niveau du Sénégal, notamment la société civile sénégalaise, ce qu’on peut faire c’est de continuer à dénoncer, à faire des marches, etc. Nous devons continuer à crier cela haut et fort afin que peut-être l’opinion internationale nous entende et réagisse».
SEYDI GASSAMA, DIRECTEUR EXECUTIF D’AMNESTY INTERNATIONAL : «Si le Sénégal n’élève pas la voix sur cette question, on ne peut pas compter sur les Nations unis pour prendre des initiatives vigoureuses»
«Je pense que la situation qui prévaut entre l’Etat du Sénégal et l’Etat de la Gambie est une situation déplorable, mais qui est entièrement due aux faits de Yahya Jammeh. Parce que si Jammeh n’avait pas augmenté les tarifs de façon indue on n’en serait pas arrivé à ce blocus, et à tous les développements qu’on a connus par la suite. Maintenant, il semble qu’il est revenu aux tarifs initiaux. Mais, si c’est le cas, bien entendu, il est de l’intérêt des deux pays et de la sous-région que des discussions puissent avoir lieu. Ces discussions doivent avoir pour but de faire en sorte que plus jamais Yahya s’autorise de façon unilatérale à augmenter les tarifs sans informer la partie sénégalaise, et sans discussion et concertation avec la partie sénégalaise. Il faut également que ces discussions portent sur la construction du pont de Farafény. Ce pont est une nécessité. Nous sommes dans le cadre de la Cedeao, dans un contexte où l’intégration économique sous-régionale est aujourd’hui promue par tous les pays. Par conséquent, on ne peut pas écarter la question du pont de Farafény des discussions avec la Gambie».
«Pour ce qui concerne la question des droits humains et de la répression politique, nous pensons également qu’il est de l’obligation du Sénégal de poser cette question dans les pourparlers avec la Gambie. Le gouvernement ne peut pas aujourd’hui fermer les yeux, se boucher les oreilles face à ce qui se passe en Gambie. On a un régime dictatorial qui, tous les jours, exerce une répression sur son peuple. On ne peut pas ne pas en parler. Et en parler avec la Gambie de façon confidentielle ou publique, c’est une obligation pour le Sénégal. Qu’on ne nous dise pas que c’est une ingérence dans les affaires de la Gambie, ce n’est pas vrai. Il y a des exemples. Récemment François Hollande était en Egypte. Il a signé des contrats portant sur plusieurs milliards en armement. Cela ne l’a pas empêché lors de la conférence de presse avec le président égyptien, de l’interpeller publiquement sur la question des droits humains. Il a fait la même chose aves le roi d’Arabie Saoudite, qu’il a interpellé publiquement sur le respect des droits et libertés en Arabie Saoudite. Le gouvernement américain le fait. Tous les gouvernements au monde le font. Les Etats doivent non seulement promouvoir les droits humains dans leur propre pays, mais également dans des pays voisins. Donc, il faut que cette question des droits humains soit évoquée dans les négociations et avec fermeté pour que Jammeh puisse arrêter. Parce que nous estimons que si le Sénégal n’élève pas la voix sur cette question, on ne peut pas compter sur les Nations unis pour prendre des initiatives vigoureuses contre le régime de Yahya Jammeh».