Des niches fiscales d’un montant de 7000 milliards de FCFA par an pour le Sénégal ont été délibérément occultées au profit d’amis et autres partenaires bilatérales. Ce qui constitue un véritable manque à gagner pour l’Etat. Des pratiques, ‘’hors la loi’’ qui heurtent la conscience citoyenne sont pratiquées par les hautes autorités de ce pays. C’est ce fait savoir samedi dernier Ousmane Sonko, auditeur interne à la Direction du Contrôle Interne (Dci) de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid) qui animait, une conférence publique dans le cadre des activités mensuelles des «Samedis de l’économie» sur le thème: «Financement des politiques publiques et redistribution: qui paie la facture fiscale?»
Le manque à gagner, en terme de recouvrement fiscal au Sénégal frise l’indécence, faute d’une bonne législation fiscale et d’une administration fiscale performante. Car, il ressort de la dernière étude (2013) sur l’imposition des sociétés que «le Sénégal a perdu plus de 500 milliards de FCFA d’exonération fiscale, soit 30% du budget aux entreprises qui n’investissement pas, ne créent pas non plus de l’emploi, et qui rapatrient tous les bénéfices sans payer d’impôts», a vigoureusement dénoncé Ousmane Sonko, inspecteur principal des Impôts et Domaines, ancien Chef de Brigade de vérification fiscale, et présentement auditeur interne à la Direction du Contrôle Interne (Dci) de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid). Il animait samedi dernier, une conférence publique dans le cadre des activités mensuelles des «Samedis de l’économie» sur le thème: «Financement des politiques publiques et redistribution: qui paie la facture fiscale?»
Selon lui: «Ces sociétés viennent négocier des contrats de 15 ans, mais au bout de 3 ans seulement, elles rentabilisent l’investissement et après elles continuent à gagner et à rapatrier. Aujourd’hui, nous avons des sociétés pétrolières, minières et gazières qui ont eu le permis d’exploiter nos maigres ressources sur la base des contrats opaques, dont on ignore les véritables clauses, vont d’ici peu commercer à piller nos ressources parce que des autorités en ont décidé ainsi», a fustigé l’ancien chef de Brigade de vérification fiscale.
Le conférencier de dévoiler que «c’est une petite catégorie de citoyens qui supporte l’essentiel de la charge fiscale, au nombre desquels citoyens le sénégalais lambda qui paie l’impôt sans s’en rendre compte lorsqu’il achète un petit article à la boutique. Et d’autres (citoyens) parce que fichés et extorqués directement sans aucun consentement».
«Un budget de 3000 milliards, n’est pas un exploit»
Or, poursuit-il, «le Sénégal a une capacité minimale de 7000 milliards de recette fiscale par an. On gagnerait à fiscaliser l’immobilier et le commerce correctement. Tout ceci constitue des niches fiscales. Cette année l’on nous parle d’un budget de plus 3000 milliards. Ce n’est pas un exploit! Il suffit tout simplement de réorganisation l’administration fiscale et la législation fiscale pour aller chercher cela», a t-il expliqué.
Les députés ont fait perdre à l’Etat plus 40 milliards en 8 mois
La mal-gouvernance «institutionnalisée», freine l’envol économique. «Le code général des impôts a fait objet d’une modification vicieuse par le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Ba», a soutenu M. Sonko. Selon lui: «Quand nous avions senti venir, nous avions alerté, en disant : «ne faites pas cela». Vous ne pouvez pas prévoir une disposition pour la remise gracieuse aux entreprises. La remise gracieuse est dans nos dispositifs depuis le code de 1976. Elle a toujours été accordée aux personnes physiques reconnues indulgentes. S’agissant de personnes morales, l’OHADA a prévu un mécanisme pour constater l’insolvabilité de l’entreprise jusqu’à sa liquidation. Mais nous sommes dans un banditisme organisé où on manipule l’administration fiscale, en la structurant selon un objectif à atteindre».
Aujourd’hui, il y a une réelle volonté de créer un bureau chargé des recouvrements dits difficiles pour loger des amis et des partenaires pour dire que la créance est difficile. Le tout, en torpillant le code des impôts pour introduire cette disposition, qui va permettre à une quelconque autorité de renter dans son bureau climatisé et dire: «C’est vrai que c’est 15 milliards mais j’éponge jusqu’à 2 milliards. Et cette disposition est dangereuse, pernicieuse. En ce sens qu’en l’espace de 8 mois après son adoption à l’assemblée nationale jusqu’au moment où le syndicat des impôts tenait une conférence de presse pour fustiger, le Sénégal a perdu plus de 40 milliards», révèle M. Sonko.
534 milliards de dépenses fiscales en 2013
Au titre des années 2010, 2011 2012 2013 les dépenses publiques non exhaustives évaluées se chiffrent respectivement 220 milliards ; 258 milliards, 280 milliards, et 534 milliards en 2013. Alors que le nouveau code des impôts est entré en vigueur le 31 décembre 2012, lequel code a créé un droit commun incitatif, qui a transposé toutes les dispositions des autres codes aux fins de rationnaliser le mécanisme fiscal, notre pays s’est retrouvé avec plus de 534 milliards de dépense fiscale. Ce, après l’effectivité du nouveau code des impôts. Ce qui inspire un doute cartésien chez M. Sonko qui se dit convaincu que cela n’est pas fortuit.
Des pratiques à mourir…
«Ce qui se passe dans ce pays en terme de fraude fiscale est inédit et aberrant. Il n’existe dans aucun pays au monde». C’est en ces mots que le fiscaliste M. Sonko qualifie les dérives autoritaires des hommes politiques. Et de s’interroger: «Comment une personne sous prétexte qu’il incarne l’autorité gouvernementale, se donne le droit de manière unilatéralement d’exonérer à coup de milliards des entreprises sur le dos du contribuable sans prendre attache des services compétentes à même de lui délivrer l’état des comptes de celles-ci. Vous le faites en France, aux Usa et dans un autre pays républicain vous êtes emprisonné. Parce que là-bas le centime du denier public est trésor». Et d’étayer: «Le président Wade en son temps l’avait fait, en décidant unilatéralement de ramener à 25% la pression fiscale qui était de 35%. Et Macky Sall également l’a fait sur pas mal de secteurs notamment la presse. Des entreprises ont retenu des impôts sur leurs salaires et ne les ont pas reversés. Donc, double détournement de deniers publics (pénalité privé et publique). Le comble dans cette affaire, c’est qu’on ne sanctionne pas mais on amnistie», a-t-il regretté. Et de rappeler des affaires dites «Cahuzac», «Bernard Tapis», en France. Ce qui lui fera dire qu’ «ici, il y a même une prime de fraude fiscale».
Le Patronat sénégalais, un congloméra d’affairistes
Dans ce pays, les fraudeurs sont ceux qui savent crier au loup. «Nous avons un congloméra d’affairistes, qui sont tout le temps, entre les quatre murs du palais en train de négocier des marchés, de demander de la protection pour échapper à la fiscalité. Et les plus grosses niches de fraude fiscalité se trouvent dans ce patronat là», a dit M. Sonko. Il apporte un cinglant démenti un d’entre eux : «J’ai entendu un membre du patronat dire au ministre de l’Economie, des finances et du Plan que sur les 1700 milliards de recettes fiscales attendues, le patronat contribuait pour plus de 1300 milliards. Ce qui est totalement faux ! Il y a l’impôt effectivement supporter par le capital et celui dont ils ne sont que des redevables légaux. C’est-à dire, ils collectent et reversent la taxe sur la valeur ajoutée (Tva), et les impôts sur le salaire. Donc, ils ne supportent que l’impôt sur le revenu qui tourne autour de 200 milliards, soit 11% des recettes fiscales par rapport aux salaires qui supportent pratiquement 17% des recettes fiscales». Et d’ajouter: «C’est faux de dire que le Patronat contribue pour beaucoup dans l’ardoise fiscale. C’est tout le contraire. Et, il faut travailler à renverser la tendance», a-t-il soutenu.
Impôts directs, pas moins de 30%
Dans les standards mondiaux, la contribution globale unique (Cgu) dite impôts directs (impôt sur le revenu assis sur les bénéfices industriels et commerciaux, impôt du minimum fiscal, contribution des patentes, taxe sur la valeur ajoutée, contribution forfaitaire à la charge des employeurs, licence des débits de boissons) représentent à peu près les impôts indirects. «Ce qui n’est pas le cas dans nos pays où les impôts directs ne représentent même pas 30% des recettes. Mieux, le capital, notamment aussi bien à l’impôt sur les sociétés et sur le revenu des valeurs mobilières, est imposé correctement et contribue plus que le travail dans les salaires. Et dans nos pays, c’est l’inverse», a-t-il développé.
Les députés ne payent pas l’impôt
«C’est frustrant et ahurissant de constater que ceux qui votent les lois de ce pays ne sont pas des citoyens. Parce que le citoyen, c’est d’abord et avant tout, celui qui s’acquitte de ses obligations fiscales. Dans ce pays, ceux qui ont un train de vie élevé payent moins d’impôts, voire presque pas. Parmi eux, les députés qui ne payent absolument alors que ce sont eux, qui sont sensés faire les lois dans ce pays et parmi tant d’autres…», a révélé le fiscaliste.
Sénégal, champion en signature de conventions fiscales
A ce jour, le Sénégal a signé plus 10 conventions fiscales. «Le Sénégal est l’un des pays de l’Union économique monétaire ouest africaine (Uemoa) qui a signé plus de conventions fiscales. Nous avons signé plus de 10 conventions fiscales bilatérales signées et ratifiées avec la France, Canada, Usa, Belgique, Norvège, Tunisie, Maroc, Ile Maurice, Angleterre et Italie. Mieux, une vingtaine est en négociation», a déploré l’inspecteur de la fiscalité qui voit une incongruité et un paradoxe surtout avec la convention avec l’Ile Maurice, considérée comme paradis fiscal.
Cette politique de signature de conventions fiscales tous azimuts ne milite nullement en faveur du développement de notre pays. Pour exemple, renseigne t-il: «La Côte d’Ivoire en a signé seulement 5 conventions». Pire, «aucune évaluation n’est faite pour voir les opportunités de signer des conventions du genre», déplore le fiscaliste.
Les salariés asphyxiés et affamés
En tant qu’instrument de politique socioéconomique et…, parce que maillon essentiel à l’ardoise budgétaire d’un Etat, la fiscalité telle que structurée et appliquée à tous les salariés de ce pays est doublement pénible. D’abord autant la pression fiscale tirée des salariés est très élevée, autant l’ait également celle tirée sur les prix de la consommation. Mais, tout le contraire des sociétés assujettis de plein droit, les sociétés de capitaux, les sociétés civiles se livrant à des opérations de nature industrielle, commerciale, forestière et minière, celles des opérations de nature agricole et artisanale et qui n’ont pas opté pour le régime des sociétés de personnes, les sociétés coopératives de consommation notamment les boutiques ou des magasins pour la vente et la livraison de denrées, de produits ou de marchandises, les sociétés de coopératives et unions coopératives d’industriels, de commerçants et d’artisans….», a dénoncé M. Sonko auditeur interne à la Direction du Contrôle Interne (Dci) de la Direction générale des impôts et domaines (Dgid).