Présent à Paris cette semaine dans le cadre du groupe consultatif pour le Sénégal conduit par le président Macky Sall à la tête d'une forte délégation, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, Mankeur Ndiaye, a évalué la situation sécuritaire dans le Sahel et a réagi à la formation du G5 du Sahel (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mali).
Quels sont les enjeux du groupe consultatif ?
Il faut penser aux pays en crise comme le Mali ou la RCA, mais il faut également penser aux pays stables car si vous n’aidez pas ces pays, demain, tout peut arriver et il faudra chercher de l’argent pour leur venir en aide. Il faut les aider à développer leurs économies et à lutter contre la pauvreté. C’est le message important du président Macky Sall. L’autre message important, c’est la nécessité d’assurer le suivi des politiques publiques. C’est pourquoi le président a décidé d’instaurer au sein de son cabinet une structure chargée du monitoring et du suivi de nos engagements avec les partenaires internationaux.
Est-ce que les bailleurs de fonds se montrent de plus en plus réticents ?
Ce n’est pas une réticence, c’est parce que les regards sont toujours tournés vers les situations de crise. Il y a tellement de tables rondes destinées aux pays en crise qu’on oublie d’autres pays qui ne sont pas en difficulté. Il ne faut pas épuiser les ressources vers les pays en situation de crise.
Sécurité dans le Sahel : «la lutte contre le terrorisme n’est pas gagnée».
Quelle évaluation faites-vous de la situation sécuritaire dans le Sahel?
C’est un environnement régional très compliqué. Nous avons fait des progrès en stoppant l’avancée des terroristes au Mali avec l’intervention française que nous saluons encore à nouveau. L’intervention française appuyée par l’intervention des forces africaines. Nous avons fait des progrès. Nous avons gagné un combat avec les forces africaines mais la lutte contre le terrorisme n’est pas gagnée.
La guerre contre le terrorisme, ce n’est pas facile. Je crois que toute la communauté internationale s’est mobilisée pour aider le Mali. La sous-région est davantage consciente des menaces qui pèsent sur chacun de nos pays, sur tout le sahel et au delà.
Ce n’est pas trois ou quatre pays, c’est une vingtaine de pays, c’est une bande, donc il faut sécuriser le Sahel, mettre fin au séjour des groupes rebelles terroristes dans ce «no man’s land», dans toute cette bande de terre. Il faut renforcer la présence des États dans leurs espaces territoriaux, et je crois que cela, c’est extrêmement important ; mettre en œuvre une véritable politique de décentralisation et de déconcentration, investir dans les écoles.
Ce que le président Macky Sall appelle la territorialisation des politiques publiques. Il faut que nos partenaires nous appuient dans cela, c’est extrêmement important. La menace est encore là, nous travaillons avec nos partenaires. Un pays, si puissant soit-il, ne peut pas à lui tout seul lutter contre le terrorisme. Il faut la conjonction des efforts, la mutualisation des forces dans nos sous-régions et sur le continent africain.
Je suis rentré il y a quelques jours d’une réunion importante à Bruxelles sur la situation au Sahel et nous avons décidé également de mettre l’accent sur la prévention. C’est important de mettre l’accent sur l’éducation du citoyen. Donc, tous nos pays sont engagés dans le combat contre la menace terroriste dans notre espace régional, contre l’instabilité, contre les trafics en tout genre. Ce n’est pas seulement le terrorisme, c’est le trafic de drogue aussi.
Plusieurs pays de la sous-région sont touchés par le banditisme et le terrorisme. Et le Sénégal ?
Le Sénégal n’est pas touché, mais les menaces sur son potentiel sont là. Le Sénégal vit dans la paix mais nous sommes vigilants parce que ce qui est arrivé au Mali peut demain nous arriver. Mais nous avons tiré les leçons maliennes et nous prenons des dispositions au plan national et sous-régional avec les pays partenaires pour éviter que ce qui s’est passé au Mali se reproduise.
L’Union africaine a décidé de mettre en place ce qu’on appelle une capacité africaine de réponse immédiate aux crises. Le Sénégal l’avait proposé. Nous sommes partie prenante. Il y a une dizaine de pays qui sont parties prenantes.
«Ce n’est pas normal qu’à chaque fois que nous sommes en situation de crise, l’Afrique fasse appel à l’extérieur»
La capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) soulève la polémique au motif qu’il existe déjà un projet similaire : la Force africaine en attente (FAA) en gestation depuis 10 ans. Par conséquent, des doutes subsistent sur la capacité des pays africains à mettre en place cette force d’intervention rapide ?
Les pays ont pris la pleine mesure de la gravité de la situation et se sont rendu compte que d’un jour à l’autre, un État peut s’effondrer. C’est cela la fragilité de nos États, leur incapacité individuelle à se protéger face aux menaces telles que la menace terroriste. Les terroristes sont surarmés. Voyez les armes qui sont utilisées par les grands mouvements terroristes au Mali qui viennent de la Libye, des armes lourdes ; donc les pays ont pris conscience de cela.
C’est pourquoi il faut tirer les leçons du Mali et ne pas attendre d’être surpris, donc mettre déjà en place un mécanisme d’alerte précoce, une capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC). Ce n’est pas normal qu’à chaque fois que nous sommes en situation de crise, que l’Afrique fasse appel à l’extérieur. Nous devons être capables de mettre en place un dispositif pour agir, nous donner des moyens immédiats, des réponses immédiates à des situations de crise.
Cinq pays du Sahel, la Mauritanie, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont formé le G5 du Sahel pour coordonner le développement et la lutte contre le terrorisme. Faut-il interpréter la non-participation du Sénégal comme une exclusion de facto ?
Il n’y a pas d’exclusion. Ces pays ont considéré, sur la base d’un rapport des Nations unies, qu’ils sont les plus exposés et qu’il fallait rapidement s’organiser pour voir comment mobiliser les ressources ou comment utiliser les ressources disponibles pour faire face aux menaces.
Nous saluons cette initiative mais ces pays sont également conscients, qu’à eux seuls, ils ne peuvent pas lutter contre le terrorisme dans le sahel. Mais c’est une initiative qu’il faut saluer et encourager. Nous sommes prêts à coopérer avec eux parce que nous sommes au moins frontalier avec deux pays parmi les cinq.
Mais la naissance du G5 du Sahel intervient alors que les bailleurs de fonds ont prévu de mobiliser une enveloppe pour la sous-région, vous ne vous sentez pas mis volontairement à l’écart ?
Pas du tout, nous sommes déjà dans un cadre beaucoup plus élargi, la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-sad). Et il y a d’autres pays intéressés. L’Algérie, on ne peut pas l’exclure de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, le Maroc est dans l’espace et on ne peut pas l’exclure non plus, la Guinée-Bissau également.
Donc encore une fois, nous saluons cette initiative. Ces pays pensent qu’ils sont les plus exposés, ils ont mis en place une structure baptisée G5. Nous sommes prêts à apporter notre contribution mais avec la claire conscience que la lutte contre le terrorisme est une lutte globale qui exige la mutualisation des efforts de tous les pays de l’espace sahélo-saharien. Et je pense que sur cette question-là, il n’y a aucune divergence.