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10 ans de la Grande muraille verte: Les balbutiements d’un bouclier agro-pastoral
Publié le vendredi 6 mai 2016  |  Enquête Plus
L`Agence
© aDakar.com par DR
L`Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte se réunit à Nouakchott
Nouakchott, le 27 Juillet 2015 - Les pays membres de l`Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte se sont retrouvé, lundi à Nouakchott. Plusieurs chefs d`État africains dont Macky Sall ont été du rendez-vous.




La Grande Muraille Verte est certainement le programme le plus ambitieux pour le moment dans tout le continent africain. Il a démarré en 2005/2006. Au Sénégal, il a connu un début d’exécution dont les impacts se font déjà sentir dans les zones ciblées. Cependant, le programme fait face à des obstacles liés à l’eau. Il s’y ajoute les attaques des parcelles par les troupeaux, mais aussi un problème de budget (1 milliard par an pour un besoin total de 500 milliards) pour faire face aux charges.

Née d’une réflexion entre quatre chefs d’Etat (Abdoulaye Wade, Olusegun Obasanjo, Thabo Mbécki et Abdelaziz Bouteflika), l’idée d’une Grande Muraille Verte a vu le jour en 2005. Il s’agit d’une grande bande verte allant de Dakar à Djibouty dont l’objectif est d’aboutir à un équilibre écologique, en créant des conditions de retour ou de maintien des espèces animales et végétales. Longue de 7000 km, ce grand programme touchant 11 pays et censé traverser le continent africain d’Est en Ouest a connu des vitesses variables, en fonction des pays. Le Sénégal, pour sa part, a fait preuve de pionnier dans le domaine. Voilà 10 ans que le pays a démarré les travaux dans la partie Nord du pays, précisément dans le Ferlo.

À terme, 545 km doivent être reboisés, de la commune de Léona sur l’océan atlantique (région de Louga) à Bellé, la frontière avec le Mali. Il est à préciser cependant qu’il ne s’agit pas d’une ligne continue de bout en bout du Sénégal. ‘’Le terme “Grande Muraille”, c’est pour frapper les esprits. Ici, ça ne ressemble pas à ça. Ce sont des parcelles éparses d’environ 600 hectares chacune pour laisser circuler le bétail, mais entourées de fils de fer barbelés pour protéger les jeunes plants’’, précise le sergent Ndiaye au journal Le Monde.

A ce jour, la zone touchée allant de Mbar Toubab, dans la zone de Keur Momar Sarr, à Lougéré Tioly (Matam) est évaluée entre 150 et 175 km. Cela représente 40 000 ha sur la superficie de 817 500 ha concernée, d’après le directeur général de l’Agence Nationale de la Grande Muraille Verte (ANGMV), le colonel Pape Waly Guèye. En moyenne, 5 000 ha sont reboisés, chaque année, avec environ 500 km de pare-feu, afin de protéger les plantations. Pour couvrir une telle surface, il faut des plans en quantité.

Par exemple, l’année dernière, 2 millions de plants ont été produits dans les pépinières. 1,7 million a été acheminé vers les parcelles ciblées. Une partie des 300 000 restants a été offerte à la population pour ‘’des activités personnelles’’. L’autre sert à reprendre la plantation partout où les plants n’ont pu résister aux conditions climatiques. Il est à préciser, par ailleurs, qu’on n’a pas toujours besoin de planter. Dans certains endroits, les spécialistes font ce qu’ils appellent la régénération naturelle assistée (Rna) ou mise en défense. ‘’Si la nature a déjà donné ce que nous recherchons, on n’a pas besoin de réinventer la roue. Il suffit de le protéger’’, souligne le colonel Guèye.

Les critères de choix des espèces

Au tout début du programme, des questions se sont posées. Quelles espèces utiliser et dans quelles zones intervenir ? Les spécialistes se sont penchés sur les aspects scientifiques et techniques. Il a été retenu, à l’issue des réflexions, que les zones d’aménagement devaient se situer dans des endroits où il y a entre 100 et 400 mm de pluies par an. Autrement dit, les zones arides. Le choix des espèces a aussi obéi aux mêmes règles. Ainsi, un certain nombre de critères s’est dégagé dont trois essentiellement qui sont d’ordre social, économique et environnemental. Il faut, premièrement, que les espèces soient dotées d’une capacité d’adaptation aux conditions climatiques. ‘’Quant un arbre résiste à la pluviométrie, à la chaleur et au type de sol en plus d’être local, on peut compter sur lui pour faire quelque chose’’, relève M. Guèye. Deuxièmement, la plante doit être fourragère. Et le troisième critère veut que l’arbre offre des possibilités d’exploitation économique.

Ce qui fait qu’au finish, les espèces retenues sont, entre autres, l’Acacia Sénégal, l’acacia tortulis, le balanitès égyptiaka, (sump), le jujufis maurisiana (sidém). ‘’La stratégie de départ, contrairement à certaines pensées, n’était pas une bande de verdure qui est censée arrêter le désert. Non ! C’était une stratégie de développement socio-économique orienté vers les potentialités locales’’, précise notre interlocuteur. ‘’La muraille n’est que le résultat final. Ce que nous cherchons à faire, c’est protéger et restaurer les écosystèmes de ces régions du Sahel et [ainsi permettre] l’amélioration de l’alimentation, de la santé, du mode de vie et de l’environnement des populations de la savane’’, déclarait l’ancien directeur général de l’agence, Matar Cissé.

D’ailleurs, la perception de la grande muraille verte cache des activités agricoles annexes. Des jardins villageois permettent à la population de la zone de trouver des emplois alternatifs, d’avoir plus de revenus et de consommer des produits agricoles qui jadis étaient un luxe.

Les facteurs bloquants

A l’heure d’un premier bilan, bien que les résultats commencent à être perceptibles sur le terrain (voir interview), il existe un certain nombre de facteurs contraignants qui limitent les effets. Sur le plan technique, le manque d’eau est un problème fondamental. Un arbre qui a besoin par exemple de 200 mm de pluie se retrouve parfois avec moins de 70 mm. Sa chance de survie s’en retrouve donc réduite. La solution pourrait consister peut-être à recourir à l’eau des forages. Sauf que là aussi, ce n’est guère évident. En effet, les forages de la zone sont des ouvrages pastoraux. Ils ont été érigés prioritairement pour l’élevage. Les activités agricoles viennent donc en dernier lieu. ‘’Nous nous contentons des excès d’eau, quand le bétail a fini de boire. Très souvent, nous n’avons pas suffisamment d’eau pour l’arrosage des pépinières ou l’irrigation de nos jardins polyvalents’’, avoue-t-il. Il y a cependant une petite bouffée d’air venue du Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC) qui construit ou réhabilite beaucoup de forages dans la zone.

Le troisième facteur bloquant est la divagation. L’activité principale dans cette zone étant l’élevage, si l’on en croit le colonel Guèye, des points d’eau comme celui de Widou, Labgar ou Téssékéré reçoivent environ 15 000 têtes par jour, sur un rayon de 15 km. Or, contrairement à d’autres régions, dans cette zone du Ferlo, il n’y a pas de tracé ou de limites fixées pour le déplacement des bêtes. Si donc un troupeau trouve un champ en cours de plantation, il est réduit à néant. De même, quand un premier animal découvre un trou dans une grille de protection et s’y engage le premier, c’est tout le reste qui suit. ‘’Ces bétails ne connaissent pas les parcelles. Quand ils passent dans une plantation, c’est presque perdu. Malheureusement, ça nous arrive souvent. C’est même fréquent.’’

Pour pallier ce problème, des gardiens ont été recrutés. Mais le DG de l’ANGMV avoue que, quand une horde de 300 bovins foncent sur une parcelle, ça fait pitié de regarder le gardien se démener sans résultat. Pour toutes ces raisons, le taux de réussite de la plantation est actuellement de 67%.

Un besoin estimé à 500 milliards

Par ailleurs, même si le Sénégal devance ses voisins et fait même office de laboratoire, il faut reconnaître qu’il lui reste un long chemin à parcourir, surtout en matière de financement. En effet, l’Agence a un budget annuel de 1 milliard. 250 millions pour son fonctionnement et 750 millions destinés à l’investissement. Pour un projet qui emploie 1 800 personnes par an, pendant 6 à 8 mois (pour un salaire de 54 000 par mois) et qui impacte sur 322 000 individus, sans compter les autres effets économiques, sociales et écologiques, un milliard par an n’est pas forcément la traduction de la meilleure des volontés politiques.

Depuis 10 ans qu’il a démarré, la somme injectée est évaluée à 8 milliards, selon certaines sources. Or, les estimations du colonel Guèye font état d’un besoin de 500 milliards pour tout le programme. A ce rythme, il faudrait donc 5 siècles pour achever le travail. S’il ne fallait compter que sur une main d’œuvre rémunérée, le retard serait encore plus important. Mais les responsables peuvent compter sur une mobilisation sociale. Environ 1 200 jeunes viennent par groupes et à tour de rôle apporter leurs pierres à l’édifice. Les étudiants, les organisations de jeunes, l’armée française… ont toujours apporté leur soutien.

Perspectives heureuses

Cependant, un petit vent de changement est en train de souffler. L’agence a élaboré un plan stratégique de développement de cinq ans, 2016-2020. A partir de ce plan, un contrat de performance a été signé avec l’Etat du Sénégal pour une durée de 3 ans, avec des indicateurs techniques, de gestion et de service public. Cet engagement de l’ANGMV lui permet de voir son budget porter à 1 milliard 100 millions en 2016. En 2017, ce sera 1,35 milliard et en 2018, 1,6 milliard. Une augmentation qui, toutefois, ne représente pas grand-chose par rapport aux besoins. Même si le directeur lui, se félicite de cette hausse.

Il pourra cependant compter sur des fonds extérieurs. L’Union européenne va injecter environ 5 milliards pour deux projets différents, l’un pour deux ans et l’autre pour 4 ans. L’Uemoa va aussi mettre 4 milliards au profit des 4 pays traversés par la muraille et membres de l’Union. Un financement de la Banque islamique de développement pour 100 milliards pour tous les pays est aussi à l’étude. Autant d’argent en perspective qui, s’il arrive dans les parcelles, pourra booster réellement les activités.

1ERE CONFERENCE INTERNATIONALE SUR L’INITIATIVE DE LA GRANDE MURAILLE VERTE

Mobiliser des financements à travers le monde

La Première conférence internationale sur l’Initiative de la Grande muraille verte (GMV) pour le Sahara et le Sahel se tient à Dakar du 2 au 7 mai. La cérémonie d’ouverture a été présidée hier par le ministre de l’Environnement du Sénégal, Abdoulaye Bibi Baldé. Cet évènement, contrairement à ce que son nom laisse entendre, est différent de la Grande muraille verte, elle-même. Il va en fait au-delà des plantations et des 11 Etats concernés directement par la GMV. Il s’agit d’une stratégie politique, un mécanisme de mobilisation de financement à travers le monde. Son objectif est d’avoir une nouvelle approche ou orientation d’accompagnement des populations, afin de déployer les potentialités locales.

De ce fait, l’initiative regroupe des organisations africaines telles que l’Observatoire du Sahara et du Sahel, le Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel, le Nepad… Il y a aussi les partenaires mondiaux que sont les organismes financiers internationaux comme l’Union internationale de conservation de la nature, la Convention des Nations unies sur la biodiversité, la Fao, la Banque mondiale… Une dizaine de ministres de l’Environnement de la sous-région sont ainsi attendus.

REGENERATION DE L’ECOSYSTEME

Réapparition de certaines espèces

Même s’il est sans doute trop tôt pour se réjouir, il n’en demeure pas moins que la grande muraille verte est en train de donner des résultats sur le plan de la biodiversité. Les acteurs s’accordent à dire qu’il y a un mouvement d’espèces animales constaté, grâce au retour de l’écosystème dans certaines zones. Dr Pape Ibnou Ndiaye est un écologiste, enseignant à la Faculté des Sciences et techniques. Ce chercheur, qui a eu un séjour de 15 jours au mois de mars dernier pour faire un état de référence, affirme avoir constaté la présence d’espèces dont la survie n’est possible que grâce au retour de leur lieu d’habitation naturel. C’est le cas surtout de la faune aviaire. Les oiseaux sont en effet très nombreux dans la zone.

L’autre point qui reste constant, c’est qu’il y avait une dynamique de disparition de beaucoup d’espèces. Le phacochère, la tortue, l’hyène sont autant d’animaux qui existaient dans la zone, mais qui n’y sont plus. L’enquête menée par le chercheur auprès des populations a permis de recenser 8 grands mammifères présents sur les lieux. Toutefois, l’enseignant précise qu’après observation, lui et son équipe n’ont pu confirmer que l’existence de 6 espèces vues directement ou dont les indices ne laissent point de doute. On peut citer le singe rouge appelé Patas ou la genette. Malgré tout, Dr Ndiaye se veut prudent. Il ne peut pas annoncer le retour d’espèces ayant disparu. Il lui faut d’abord connaître les animaux qui vivaient dans la zone et qui avaient réellement quitté, à la suite de la dégradation de l’environnement.

Du côté des autorités de la Grande Muraille Verte par contre, on se veut catégorique. Il y a bel et bien le retour d’espèces qui avaient déserté la zone. ‘’Il y a certaines espèces que les populations ne connaissaient plus. Le chacal est en train de revenir. Malheureusement, en nombre même exagéré jusqu’à pouvoir attaquer les animaux domestiques. On voit des biches, alors qu’on n’en voyait plus depuis quelques années. Pour ce qui est des petits mammifères, tout ce qui est reptile, oiseau, ver de terre commencent à revenir. On remarque leur présence sur les parcelles’’, s’enthousiasme le Dg de la Grande Muraille Verte, le colonel Pape Waly Guèye.

Il reste cependant un travail scientifique plus objectif à faire à ce niveau. Et il a déjà commencé, puisque M. Guèye révèle que des recherches approfondies seront faites et que des étudiants de l’Université cheikh Anta Diop y font même leurs thèses.
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