Il y a quelque chose de cramé qui s’exhale de Keur Jaraaf. Une odeur indéfinissable qui suggère aux appendices nasaux l’air d’une ‘’Vieille Dame’’ bien connue aujourd’hui embourbée dans les pires crasses du football sénégalais. L’équipe dite de la Médina trousse, par ces temps incertains, un drôle de quotidien et une manière de fracas qui évoquent le jeu mortifère du tue-l’amour qui a laissé se consumer sur le bûcher la Jeanne d’Arc, sa meilleure ennemie des époques glorieuses.
Dans le grand roman du football sénégalais, le Jaraaf a longtemps campé le héros princier aux bonnes manières, symbole d’une certaine élégance, d’une certaine idée du jeu. Aujourd’hui, il porte les haillons du vilain petit canard, en apnée dans la mare de ‘’cancres’’ de la Ligue 1 sénégalaise, qui claudique vers un pôle négatif où iraient s’engloutir ses dernières illusions. Si l’on n’y prend garde…
Sous nos yeux d’enfant, la maison vert-blanc a longtemps pris la dimension incommensurable d’une magie permanente, constellée d’étoiles scintillantes qui luisaient d’un football galactique. Ses prestidigitateurs les plus étourdissants avaient un talent hypnotisant, des patronymes clinquants : Léopold Diop, Amadou Diop ‘’Boy Bandit’’, Moussa Diop ‘’Quénum’’, Thierno Youm, feu Abdoulaye Sagna, Moussa Badiane entre autres ‘’perles rares’’ qui, de leurs pieds gracieux, ont troussé les rimes vertigineuses d’un poème passionné et enlevé aux bels accents médinois. La chronique historique, entretenue par la vieille garde, présente Matar Niang, dans un bel élan d’unanimité (chose rare dans le football), comme le meilleur d’entre ces magiciens en culotte courte. Un nom qui agite la mémoire collective des suiveurs historiques du Jaraaf, une légende qui court encore et encore sans que l’oubli n’ait pu atténuer l’effet envoûtant de son génie balle au pied. Comme du reste le football racé, distingué qui a enguirlandé l’ambition princière du club vert-blanc dans les années 1970-80-90. C’était le bon vieux temps…C’était le foot en noir et blanc. C’était surtout le siècle dernier.
Un monde ancien, un passé prospère et un faste révolu auxquels le Jaraaf d’aujourd’hui s’attache avec des fils un peu trop cotonneux et sous la houlette de fils un peu trop hasardeux pour, un jour, se hisser à la dignité de ses illustres devanciers. Le Prince d’hier était fringant, celui d’aujourd’hui est transparent. Invisible. Désincarné. On ne sait plus qui il est, où il habite ni ce qu’il revendique. Son royaume, son pouvoir, ses influences et ses ambitions se sont dilués dans cette sorte de management abstrait de son Président, soupçonné d’être un peu trop lisse et un peu trop riche pour mener des combats qui réclament de plus en plus de sueur.
Au sujet de Cheikh Seck traîne une anecdote qui épouse sa personnalité comme un gant à l’immense gardien qu’il fut : il se raconte que les matins de match, les anciens du Jaraaf scrutaient le ciel et… le visage de l’ancien portier pour guetter les signes avant-coureurs d’orage ou de beau temps. Car si le gardien de but a été d’un talent d’une rare éloquence, l’homme est toujours resté de peu de mots. Le garçon en cage était un masque à déchiffrer, un mystère à décoder. Triomphe ou dégelée, rien ne transpirait, à part parfois un sourcil brièvement haussé, un décibel supplémentaire sur un mot, une façon singulière de soupirer. L’enfant de la Médina était un inamovible totem du Jaraaf, qui traversait les vestiaires, les succès, les crises et les époques…sans rien faire que son job de Général de goal au culte célébré.
Mais on ne vit pas aujourd’hui comme on vivait hier. Son métier de Président lui impose de sortir du bois, quand l’intéressé tient toujours à rester en cage. Sans doute parce qu’il n’a jamais rien demandé…Sans doute parce qu’il fait le job par devoir, par gratitude à l’endroit d’un club qui lui a donné ce nom ronflant, ouvre-porte quasi-infaillible qui a fait son trou dans le monde des affaires. Sans doute parce qu’il a été juché là par défaut, rappelé d’urgence et à grands effets de manche par les “anciens” pour contrer in extremis l’ambition verbeuse de Me El hadji Diouf, “pièce rapportée” aux manières un peu trop roturières pour une institution footballistique qui se revendique encore princière.
En Cheikh Seck brûle toujours le feu de l’amour pour ‘’son’’ Jaraaf. Mais il y a comme l’ombre d’un doute dans sa volonté d’honorer sa présidence physiquement (il est rarement présent lors des matches du Jaraaf), intellectuellement et philosophiquement. Quatre ans après sa ‘’prise de pouvoir’’, le club médinois se vit encore et survit toujours dans une forme d’illusion passéiste, de fonctionnement désuet et de revendications traditionnalistes qui le confine dans un surplace inconséquent, qui charrie la menace de plus en plus prégnante d’un destin fracassé. D’une maudite fin à la JA…
Amant de la gagne mais amoureux du beau jeu, le Jaraaf baigne de nostalgie son atmosphère d’aujourd’hui, alors qu’il se devait d'irriguer son présent d’une psyché collective innovante. De se réinventer un supplément d’âme, de s’inventer un nouveau logiciel de management plus conforme aux exigences du football moderne.
Ses errances de “STF’’ (sans terrain fixe), son inclinaison aux crochets de son Président et la faiblesse inexplicable de ses actifs-joueurs sont des insultes répétées à la bonne gouvernance d’un club riche (sans l’être) de deux grands domaines terriens au Point E, une des zones résidentielles où le mètre carré a l’une des plus grandes valeurs marchandes dans Dakar. Cherchez l’erreur…
Cette marche en Vert et contre toute logique confine le Jaraaf dans une sorte d’entre-deux, au beau milieu de ses fiertés passées et de ses regrets présents. A l’image du destin qu’il se tricote dans le championnat actuel de Ligue 1. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Et mille et une failles qui laissent subodorer le pire.
ABDALLAH DIAL NDIAYE
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