Dans cet entretien exclusif accordé au journal Sud Quotidien, Aimé Sène, vice-président du Conseil national du patronat sénégalais (Cnp) n’approuve aucunement la démarche des autorités par rapport à la création d’une nouvelle Compagnie aérienne dénommée «Air Sénégal Sa», suite à la dissolution «Sénégal Airlines». Même s’il reconnait par ailleurs, en tant qu’ancien actionnaire de la défunte compagnie n’avoir jamais eu droit au chapitre parce que les fondamentaux avaient été bafoués, en dépit des gages de l’ancien Président de la République Abdoulaye Wade. Lequel président, les recevant (secteur privé) au début de la création de la société leur avait lancé ceci : «Attention, je ne veux pas que les politiques s’en mêlent».
Comment appréciez-vous la dissolution de Sénégal Airlines, en tant qu’actionnaire de cette défunte compagnie?
Premièrement, une société ne se dissout pas du jour au lendemain parce qu’elle ne se créé pas d’un claque du doigt. Ce n’est pas parce que le ministre ou quelconque autorité a le privilège de décider qu’il se doit de dissoudre la société. Heureusement, ces temps-ci, il y a eu une évolution. Parce que tout simplement la dissolution ou la faillite d’une société répond à des normes.
Donc, l’Etat ne peut pas dissoudre une société privée tant bien même qu’il soit actionnaire. Il y a des procédures et heureusement les gens ont essayé de mettre des formes. Nous sommes des hommes d’affaires et des administrateurs de sociétés. Nous gérons des sociétés et nous payons régulièrement les taxes. Les actes que nous posons tous les jours sont des actes d’administration. Dans une société, il y a des démarches surtout dans le secteur du tourisme. Franchement, je n’apprécie pas. Nous constatons et subissons. On nous a demandé d’être patients, d’être citoyen, nous le sommes.
En revanche, je dois dire que nous n’étions vraiment pas inquiets par rapport à ce qui se passe. Parce que Sénégal Airlines est une société privée.
En créant Sénégal Airlines, le président Abdoulaye Wade nous (actionnaires) avait bien parlé et on sentait en lui qu’il voulait vraiment une compagnie. Car, il nous disait: «Attention, je ne veux pas que les politiques ne s’en mêlent!». De cette audience, nous avions été convaincus de ses déclarations. L’intention est bonne. On veut toujours créer en tant qu’hommes d’affaires. Mais, il faut qu’il y ait un suivi. Pour Sénégal Airlines, dés le départ, il y a eu de mauvais choix, notamment la composition du conseil d’administration, les masses salariales sont assez exorbitantes pour une société en devenir.
La suite, nous la connaissons bien! Les salariés étaient inquiets sur leur sort. Ils ont tiré la sonnette d’alarme. Ils sont même venus me voir. Je leur ai fait comprendre que nous ne sommes pas les administrateurs de la compagnie. Ces administrateurs sont responsables.
Dans une société, les actionnaires injectent leurs argents et croisent les bras après. C’est seulement au moment des assemblées générales dont nous n’avons d’ailleurs jamais assisté, que nous avons notre mot à dire.
Comment l’expliquez-vous?
C’est parce que les choses ne fonctionnaient pas normalement. Dans une société sérieuse, c’est une chaine et chaque maillon doit jouer sa partition pour faire avancer les choses et grandir.
Pour cette nouvelle compagnie Air Sénégal Sa, un appel semble être lancé aux privés sénégalais. Serez-vous à nouveau partant ?
Il faut d’abord une séance d’explication sur le pourquoi du comment de la dissolution de Sénégal Airlines. Il fallait qu’on nous rende compte. Figurez-vous qu’il y avait des succursales de sociétés françaises dans le tourisme dont je vais taire les noms, qui ont mis leur argent dans cette société avec l’accord de l’Etat. A chacune de leur conseil d’administration en France, elles me demandaient des documents. Ce que j’ai toujours refusé.
Tous les avertis savent qu’une compagnie aérienne ne gagne pas de l’argent, car, elle est purement stratégique. Et nous avons choisi d’investir dans la compagnie Sénégal Airlines de façon patriotique. En revanche, il y a des gens qui peuvent gagner de l’argent. Un avionneur qui entre dans société d’une compagnie aérienne peut gagner de l’agent par le fait de louer ses avions. Même s’il n’y a pas de résultats, ce n’est pas son problème.
Il y a des gens, des actionnaires qui, quand ils rentrent, ce n’est pas les résultats de la compagnie qui les intéressent, mais plutôt les transactions qu’ils vont faire. Donc, cela est important. Dans ce cas précis, c’est un signe de souveraineté.
A titre illustratif, au moment de la guerre froide entre la Russie et les Etats-Unis, il y avait un avion qui s’appelait Panaméricain (Panam) et cet avion volait à vide avec les pilotes rien que pour aller à Moscou, atterrir et revenir. Il allait atterrir à Moscou avec le pavillon américain et revenir. Parce qu’ils ne pouvaient pas fermer cet aéroport. Donc, une compagnie est le symbole de la Nation et elle porte les couleurs de la Nation.
Vous, en tant que secteur privé, avez-vous tiré profit de Sénégal Airlines ?
Mais avant de tirer des dividendes, il faut d’abord gagner de l’argent. A peine mise en place (Sénégal Airlines), elle a commencé à perdre de l’argent.
Honnêtement, une société normale ne peut pas gagner de l’argent même au bout de deux ans d’exercice. Parce que vous investissez beaucoup sur les gros matériels, sur l’outil de travail. Et l’outil de travail d’une société aérienne n’est pas d’avions. Les avions coûtent très chers…
Etiez-vous impliqué en tant que privé dans la nouvelle démarche qui a débouché à la création de Air Sénégal SA ?
Au départ, nous n’avions pas été informés. C’est par voie de presse que nous l’avons su. Quand l’Etat a pris la décision de dissoudre, il y a eu une levée de bouclier et s’en est suivi beaucoup de débats autour de la question. On dit que cette société avait commencé à gagner de l’argent, à payer les salaires. On ne comprend pas pourquoi la publicité qui a été faite. Cette compagnie n’avait plus d’argent, elle n’avait plus d’avions. C’était les avions de Transair qu’elle louait. Je pense qu’ils s’en sortaient. En tout cas, je pense sincèrement dans une affaire «un deal», il faut que les deux parties s’en sortent. Est-ce que c’était normal ou viable? Je pense que non, peut-être c’était une situation d’attente même si ça profitait à Transair. Ce n’est pas mal parce qu’ils arrivaient à payer les salaires. Ce qui est mauvais est que la personne gagne de l’argent dans une situation anormale. Personnellement, je ne veux pas faire d’affaires avec quelqu’un qui ne gagne pas de l’argent. Quand je fais des affaires c’est pour gagner de l’argent dans un partenariat gagnant-gagnant (win-win).
Peut être dans cette affaire, l’état disait : «non, il y a du mieux à faire». Peut-être aussi que l’Etat a trouvé des partenaires.
Après tant d’années infructueuses pour Sénégal Airlines. Concrètement, selon vous qu’est-ce qu’il faut faire?
Je pense que l’Etat devrait se rapprocher des actionnaires de la défunte compagnie (Sénégal Airlines) en les conviant à une table de discussion. Certainement, il (Etat) s’est approché des gros actionnaires. Mais, nous aussi, sommes des actionnaires parce que nous sommes des citoyens et des partenaires. Ce qu’il devait faire et qui peut encore être fait, c’est de convoquer un conseil d’administration pour tout rectifier. Et sur ce, je pense qu’il compte organiser un Conseil d’administration pour faire les comptes et la société sera déclarée faillite.
Parce que, la compagnie a plus de dette que d’avoirs. C’est une compagnie qui n’est pas viable. Cette approche me paraisse responsable, catholique et respectable.
A partir de ce moment, je pense que l’Etat ne serait-ce que pour encourager ces patriotes qui avaient mis leur argent, doit les appeler à cet exercice d’une vrai Sa qui prône la sociabilité et la communication.
Certes, Sénégal Airlines a été créée et puis tombée en faillite. Sur ce nouveau chapitre, nous ne sommes pas automatiquement éligibles. En revanche, nous attendions que l’Etat nous appelle pour nous encourager, en disant: «Venez, c’est vrai que vous avez essayé mais ça n’a pas marché. Mais, nous allons discuter avec vous, pour voir comment vous rétribuer vos actions d’une façon symbolique». C’est ainsi qu’on peut amener les gens à avoir le culte de racheter des actions. Je pense que l’Etat a le devoir d’appeler ces honnêtes citoyens.
D’aucuns parlent d’une compagnie sous-régionale en lieu et place d’une compagnie nationale. Partagez-vous de cette option?
Vraisemblablement, par logique, de souci de rationalité et d’efficacité, nos micro-Etats et nos micros-compagnies doivent s’unir. D’abord, cela, nous permettrait d’amoindrir les risques très lourds (pénales, morales…) et la redynamisation de l’espace communautaire (Cedeao, Uemoa) en terme d’échanges des biens de personnes. Franchement, je pense qu’il est possible de réussir ce pari s’il est mis en jeu. L’histoire nous conforte dans ce que fut Air Afrique, même si la suite a été malheureuse. Mais, il est possible de réussir dans l’union. Pour preuve, les grandes compagnies comme Air France, Delta se rassemblent pour minimiser les coûts. Vous pouvez partir directement à New-York à partir de Dakar par Air France parce que Delta, c’est Air France.
Vous voulez dire qu’il n’y a pas d’avenir pour les petites compagnies ?
Absolument! Tant qu’il y aura des compagnies nationales en Afrique, chacun va concurrencer l’autre. Et ceci ne militera en faveur d’aucune compagnie.
Toutes les grandes compagnies sont en train de s’unir de façon à minimiser certains coûts du transport exorbitants. Les compagnies ne sont pas viables. Pour preuve, Air France qui était forte a enregistré des pertes, il y a deux ans de cela. Ils sont plusieurs compagnies à mutualiser leurs forces. Toutes les petites compagnies marchent parce qu’on vient de les créer et après, ça tombe. Nous devons mettre sur pied une compagnie régionale, comme à l’époque avec Air Afrique qui était beaucoup plus viable, et qui était un bel outil. C’est sûr que quelque part, les avionneurs ont tout intérêt à casser ce pacte. Parce qu’ils vont vendre et louer des avions à toutes ces petites compagnies. Cette remobilisation pour une synergie d’actions communautaires me semble viable et fiable pour optimiser les risques et mieux gagner de l’argent. Tout compte fait, d’autres compagnies ont réussi ce pari, mais on les compte des bouts du doigt. C’est le cas d’Ethiopian Airlines et Air Kenya qui sont des compagnies sérieuses parce que rigoureuses.