Si Baaba Maal reste, à 60 ans passés, un artiste singulier, c’est en partie pour sa capacité à transporter sans heurts les chansons de son Sénégal natal dans des univers inattendus. Pour «The traveller», il a fait appel au savoir-faire musical du producteur suédois Johan Hugo, du groupe électro The Very Best, et aux mots de Lemn Sissay, un poète anglo-éthiopien.
Baaba Maal, star de la musique sénégalaise, guerrier culturel, ambassadeur des Nations unies et artiste nommé aux Grammy awards dévoile son nouvel album The traveller. Dès le début de sa carrière, ce chanteur, fils de pêcheur du nord du Sénégal, a apporté une note discordante et novatrice dans ce paysage. Loin du sempiternel mbalax, il a fait entendre la voix et le rythme des Halpulaars au monde entier. Il était inévitable que Baaba Maal appelle un jour un album The traveller, car pour le vétéran sénégalais, le voyage et la musique sont indissociables.
De longue date, le chanteur et guitariste sénégalais Baaba Maal tente de relier les continents à travers sa musique lumineuse et sa poésie précieuse. Infatigable voyageur, il se fait un devoir d’écumer les scènes internationales pour porter un message d’ouverture et de tolérance universelle. Dès les années 80, son désir ardent de faire scintiller sa culture au-delà des frontières le guide vers Paris où il découvre un mode de vie, une façon de pensée et une rigueur artistique qui dessineront les contours de sa future destinée.
C’est au tournant des années 90 que son épopée s’accélère... Peter Gabriel, déjà conquis par la voix de Youssou Ndour, se laisse séduire par celle de Baaba Maal pour l’album Passion. Cette exposition médiatique aura la vertu de faire apparaître un nouveau nom dans le paysage musical cosmopolite européen. Fort de cette expérience, Baaba Maal aurait pu se laisser griser par la reconnaissance et les louanges, mais ce fils de pêcheur sait où sont ses racines et la source de son inspiration. Bien qu’il soit désormais accueilli dans la grande famille de la pop-music occidentale, il se fait fort de rester une personne humble et modeste.
Ce n’est pas le succès, en 1994, de l’album Firin’ in Fouta et du titre African woman qui modifieront son état d’esprit. Baaba Maal veut garder la tête froide et transmettre à ses contemporains des valeurs humaines dignes et respectables. C’est à travers le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), dont il sera l’un des ambassadeurs, que Baaba Maal pourra exprimer ses préoccupations sociales et œuvrer utilement pour le bien-être de tous. Sa grandeur d’âme mènera ses pas jusqu’à Nelson Mandela qu’il rencontrera 4 fois et dont il garde un souvenir ému et profondément révérencieux.
En faisant paraître The traveller, Baaba Maal poursuit son aventure de paisible militant. Connaître la planète, ses richesses, sa diversité, ses faiblesses, ses atouts donne une autre lecture du quotidien et foi en l’avenir. 30 ans ont passé depuis ses débuts discographiques, mais la flamme vitale n’a jamais vacillé. Elle brille de mille couleurs et éclaire notre regard sur le monde qui nous entoure... !
Comment faut-il entendre le titre de votre nouvel album, The traveller ?
Baaba Maal : Toute la vie se résume à un voyage. Si nous voulons savoir quelle est la leçon la plus adéquate pour comprendre le monde, il faut voyager. Sur le plan physique et mental : on peut rester chez soi, regarder des documentaires, recevoir des gens qui viennent d’ailleurs et qui ont voyagé vers vous, échanger et apprendre beaucoup de choses.
Quel est le point de départ concret de ce projet ?
Pour comprendre l’album, il faut repartir à la base de l’écriture des chansons : c’est venu après une discussion avec Johan Hugo dans le train, lors du Projet Africa express de Damon Albarn. Il m’a fait écouter ses compositions avec la participation de musiciens qui viennent de Namibie, du Malawi et encore d’autres endroits. Je lui ai fait écouter certains de mes titres et après il m’a fait rencontrer Winston Marshall. Je les ai invités tous les deux au festival Les Blues du Fleuve, à Podor, au Sénégal. Quand ils sont arrivés là-bas, ils m’ont dit que c’était un choc – c’était la première fois qu’ils venaient en Afrique. Mais c’était un choc très positif parce qu’il y avait tellement de couleurs, de sons autour d’eux, d’odeurs, de choses qu’ils n’avaient pas prévu de voir en un seul jour pendant le voyage entre Dakar et Podor, chez moi. On a commencé à parler de voyage et on savait qu’après le festival, on allait rester là pour écrire des chansons sur le voyage. On sait combien c’est nourrissant, comment cela peut rapprocher les gens.
Quand vous avez rencontré Johan Hugo, quelle connaissance de votre musique avait-il ?
La première rencontre a d’abord eu lieu chez lui. On lui avait demandé de remixer un de mes albums pour en faire quelque chose qu’on entend dans les boîtes de nuit. Il connaissait ma voix, le nom, mais pas beaucoup la musique. Il m’a fait un deal très intéressant parce que la condition sine qua non pour faire ce remix, c’était de venir chanter sur un des titres de The Very Best, son projet. C’est comme ça qu’on s’est connu et l’étape d’après, c’était Africa express dans le train.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans son univers musical ?
Quand je l’ai entendu pour la première fois mettre de la réverb, sachant que lui vient de Suède, qu’il a grandi en Angleterre, qu’il est beaucoup plus dans la musique qui s’écoute dans les boîtes de nuit, je me suis dit que c’était seulement son environnement. J’ai appris à connaître The Very Best et je me suis rendu compte que c’était un projet avec des gens de la diaspora africaine et qu’il avait compris qu’aller vers les autres est bien pour la musique. Et il allait très souvent vers la musique américano-latine, algérienne, celle de l’Afrique noire. Je me suis dit que c’était peut-être une oreille qui pouvait être attentive à ce que j’aimerais bien faire.
Vous collaborez surtout avec des artistes ou producteurs anglophones. Cela veut-il dire que leurs homologues francophones n’ont pas cette ouverture que vous recherchez ?
Non, ce n’est pas la question. Du fait que ma maison de disques soit installée en Angleterre, en Jamaïque et un peu aux Etats-Unis, beaucoup plus qu’en France et ailleurs, il est beaucoup plus facile pour elle de me faire écouter le travail de telle ou telle personne qui est dans le monde anglophone et de faire les connexions. Je veux bien faire quelque chose avec le monde francophone parce que je suis francophone, même si je ne suis pas français de nationalité. Je l’ai dit durant le sommet de la Francophonie, lors de la soirée que j’avais dédiée au Président Abdou Diouf, avec le Président Hollande. Du Sénégal à la Côte d’Ivoire, en passant par le Burkina Faso et autres, la musique africaine a beaucoup apporté à la Francophonie, à la langue française. D’ailleurs, il y a un concept que j’ai mis sur pieds et qui est très atypique au niveau du Sénégal : ce sont des soirées semi-traditionnelles où le poème récité en français, accompagné par la musique, joue un grand rôle. J’aimerais bien pouvoir produire quelque chose de ce genre, mais cela ne pourrait être fait que par quelqu’un qui parle la langue française.
Puisque vous parlez de poésie, comment est née votre collaboration avec le Britannique d’origine éthiopienne, Lemn Sissay, qui dit en musique deux textes qu’il a écrits à la toute fin de votre album ?
On s’est rencontré parce que j’ai initié un festival à Londres qui s’appelait Africa utopia, au moment des Jeux olympiques. Il m’était offert deux semaines pour présenter quelque chose sur le thème de l’Afrique qui ne tend pas la main, qui ne se plaint pas, mais qui propose quelque chose de beau. C’est en préparant cet événement que j’ai rencontré Lemn. Et je lui ai proposé de monter une prestation avec de la musique et des poèmes. C’était tellement beau et les gens ont tellement aimé que j’ai dit qu’il fallait qu’on mette cela en boîte. Donc, ces deux titres ont été faits bien avant les autres qui sont sur le Cd. Quand le projet avec Johan Hugo s’est précisé, je lui ai dit de me laisser de la place pour deux morceaux et cela ne pouvait être que ce que j’avais fait avec Lemn Sissay.
Ces deux morceaux se suivent et ont respectivement pour titre War et Peace, ce qui n’est évidemment pas fortuit. Quelle est leur articulation avec le reste de l’album ?
Quand j’ai vu la tournure que prenaient les événements dans le monde, avec tous ces problèmes d’incompréhension, de terrorisme, je me suis dit que les deux titres War et Peace, donc la guerre et la paix, étaient assez appropriés pour être placés à la fin de cet album. Après avoir fait tout ce voyage, puis s’être plaint un peu de toutes ces guerres, ce serait bien de dire que notre aspiration à tous est d’avoir un moment de répit. Et cela ne peut être que la paix. C’est ce que nous désirons tous.