Ce serait presque mathématique. Pendant 15 jours, 15 artistes, 15 femmes se sont amusées à hanter les murs de la galerie du Village des Arts. Intitulée «Taru Jiguen» (ou la beauté de la femme), l’exposition, une quarantaine d’œuvres d’art au total, et toutes signées par des femmes, a baissé les volets dans la soirée d’hier, jeudi 31 mars. Idrissa Diallo, le commissaire d’exposition, explique d’ailleurs qu’il a surtout voulu échapper à ce qu’il appelle le «folklore» du 8 mars. «Taru Jiguen» regroupe des artistes de plusieurs pays : Togo, Mali, Mauritanie, Hongrie, Suisse, France, Sénégal etc.
A y voir de près, aucune de ces 15 artistes, 15 dames, ne fait vraiment la même chose que les autres, autrement dit pas le même coup de pinceau d’une toile à l’autre, ni le même coup de flash, et certainement pas le même coup d’œil…Et c’est sans doute tout le charme très subtil de cette exposition collective du Village des Arts, qui a comme qui dirait voulu éviter le corset sinon le côté plus ou moins «folklorique» voire «protocolaire» de ces célébrations annuelles du 8 mars. Peut-être parce que la pratique des arts visuels voudrait que l’on prenne un peu de «recul», histoire d’éviter quelque réaction épidermique ou dans l’air du temps…En jouant sur le symbole, le commissaire d’exposition Idrissa Diallo explique aussi à quel point le concept «Taru Jigueen», intitulé de cette exposition qui a baissé les volets ce jeudi 31 mars, s’est agrippé comme à un porte-bonheur au nombre 15, quand on sait que celle-ci aura aussi duré toute une quinzaine de jours, ni plus ni moins, histoire sans doute de ne pas désacraliser le symbole.
Mais que l’on ne s’y méprenne pas. «Taru Jigueen», le concept, parle bien de beauté féminine, mais sans que cela ne soit ni superficiel, ni purement «plastique» pour ne pas dire un peu-beaucoup terre à terre. Dans une sorte de relecture sociologique de la condition féminine qui s’amuserait à questionner la notion même de féminité, jusque dans la moindre de ses représentations : de la plus naturelle pour ne pas dire conventionnelle ou entendue, à la plus hardie. On y découvre par exemple «l’amazone» sans visage de l’artiste Kemboury Bessane, reconnaissable à cette singulière façon qu’elle a de se réapproprier les circuits électriques de certaines machines éventrées ou de leur donner un second souffle, assez anonyme pour se superposer à n’importe quel récit comme à n’importe quel personnage ; de quoi donner des ailes aux plus hésitantes.
«Beauté intérieure»
La petite série en noir et blanc de la photographe Marie Jampy explore quant à elle ce vieux mystère de la maternité, mais de façon très intime et avec assez de poésie pour échapper à l’explication biologique ou à la banalité du quotidien, que l’on apprivoise d’ailleurs à coups de flash, dans une sorte de langage universel, qui se contenterait parfois d’un regard complice, entendu, ou alors d’un subtil geste de la main. Chez Béatrix Jourdan, les photos ont leur petit côté «gravure de mode» classique, avec un certain charme «vieillot» et sans poudre aux yeux, en plus de l’élégance toute princière de ses personnages féminins.
Dans l’œuvre de quelqu’un comme l’artiste française Claire Lamarque, à qui l’on doit d’ailleurs un certain nombre de toiles et autres sculptures, parmi la quarantaine d’objets d’art de cette exposition, on soupçonnerait une sorte d’obsession pour le travail de l’argile. Ses héroïnes font de la poterie, tandis que les toiles de l’artiste, assez réalistes du reste, passeraient presque pour de la photographie dessinée ; avec le souci du détail, jusqu’à la délicatesse du poignet, jusqu’aux plis du visage, jusqu’à la moue de l’effort, mais toujours avec pudeur et retenue, autrement dit sans effraction.
Quand on y pense, «Taru Jiguen » a surtout échappé à la traduction littérale de son intitulé, qui la cantonnerait peut-être à quelque critère physique ou plastique. Idrissa Diallo préfère d’ailleurs parler de «beauté intérieure », surtout lorsqu’il laisse entendre que l’exposition interroge nos «valeurs», le culte du travail par exemple, comme elle questionne aussi les mille et une façons qu’il y a aujourd’hui d’être femme, mère, danseuse ou potière, peintre, sculpteure ou photographe etc. Sans que cela ne soit contradictoire, et sans oublier non plus que l’expo a aussi permis, comme il dit, à certaines artistes plus ou moins casanières, de pouvoir sortir de leur routine ou de renoncer à leur train-train, pendant une quinzaine de jours.