Le Sénégal ne pourra pas atteindre l’autosuffisance en riz en 2017 comme décrété par le président de la République, Macky Sall, qui en fait son fonds de campagne. Des producteurs rencontrés à la 17e FIARA, au Centre international pour le commerce extérieur du Sénégal (CICES), ont estimé en effet que si certaines anomalies en cours ne sont pas rectifiées, cette vision restera une utopie. Même si d’autres y croient fermement, surtout si les producteurs s’y mettent à fond.
L’autosuffisance du Sénégal en riz semble être une utopie entretenue par le président de la République, Macky Sall, qui envisage une production d’un million de tonnes de riz en 2017, malgré les efforts consentis jusqu’ici. C’est la conviction de certains acteurs, producteurs de riz dans la vallée du fleuve Sénégal. Ils estiment en effet qu’il y a un certain nombre de facteurs à prendre en compte et des anomalies à corriger pour que cette initiative soit effective. «Le Président de la République parle d’une production de 1000.000 de tonnes de riz en 2017. Mais si les problèmes existants ne sont pas réglés, atteindre ces objectifs pour l’autosuffisance en riz sera très difficile», a signalé Yatma Ndiaye, responsable commercial de la société Coumba Nor Thiam (CNT), basée à Thiagar dans la commune de Ronkh (département de Dagana). Révélant au passage que tout le stock de riz de la vallée est transporté à Dakar pour les besoins de la FIARA, M. Ndiaye reste formel.
Pour lui, l’écart entre la projection du président de la République et l’existant est très grand. «Il n’y a présentement plus de riz dans la vallée du fleuve Sénégal. Si le président parle d’une production d’un million de tonnes en 2017 alors que c’est seulement 350.000 tonnes qui ont été produits, il y a un gap énorme. En réalité, il n’y a pas assez de riz de la vallée pour satisfaire la demande», renchérit-il. Trouvé au fin fond de son stand, enchevêtré entre les sacs de riz, ce producteur tient par contre à garder l’anonymat. Sa réaction est cinglante. «Nous n’avons pas de moyens, pas assez de matériels pour pouvoir relever ce défi. Notre président est trop ambitieux en fixant l’atteinte de l’autosuffisance en 2017. On comprend sa détermination à vouloir atteindre cet objectif, mais c’est une utopie. Les moyens ne sont pas réunis», décrète-t-il.
DES PROBLEMES A CORRIGER DARE-DARE
Pour Yatma Ndiaye, responsable commercial de la société Coumba Nor Thiam (CNT), les difficultés rencontrées par les producteurs sont énormes et constituent un grand frein au relèvement des rendements agricoles, surtout pour la production hivernale. «Nous rencontrons beaucoup de difficultés, surtout durant l’hivernage. Les solutions doivent émaner de la Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta (SAED) mais nous n’avons encore rien vu. Là où tu peux obtenir 110 à 120 sacs à l’hectare en contre saison, c’est difficilement que tu puisses obtenir même 60 sacs à l’hectare durant l’hivernage», révèle-t-il en rappelant que les rendements étaient très satisfaisants avant l’ère du barrage en 1986, période durant laquelle tout le monde cultivait pendant l’hivernage. Il pointe ainsi du doigt la SAED et l’ISRA. «Jusqu’ici, ni la SAED ni l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) n’ont trouvé la solution pour régler ce problème. Personne n’est encore en mesure de nous indiquer la solution à cette difficulté.
Auparavant, tout le monde produisait durant l’hivernage et il y avait de bons rendements. C’est seulement à partir de 1986 que les gens ont commencé de cultiver en contre-saison ». A son avis, il faut répondre à un certain nombre de questions pour trouver la solution à ce problème du rendement agricole. «Pour le riz, il y avait toujours un système de changement des variétés qui étaient utilisées pendant une certaine période. Je peux citer le Sahel 108 qui a trop duré dans le secteur. On pouvait essayer de le changer parce qu’il a trop duré», dit-il. «La longévité du Sahel 108 est-elle à la source de la faiblesse du rendement durant l’hivernage, ou est-ce la qualité des semences ou la qualité de l’eau claire sans boue fournie par le barrage ? Est-ce que c’est l’excédent d’eau dans lequel baigne le riz qui est à l’origine ? Les chercheurs devraient nous aider à trouver la réponse», argumente Yatma Ndiaye qui révèle que son entreprise produit plus de 8000 à 9000 tonnes de riz par an sur 7000 hectares, 1000 hectares exploités par l’entreprise et 6000 hectares octroyés à des réseaux de producteurs.
Toujours selon les producteurs interrogés, malgré une maitrise de la chaine de production jusqu’à la commercialisation, la gestion de la qualité et le manque de matériels sont d’autres facteurs bloquants. «D’abord s’il n’y a pas suffisamment de moissonneuses qui puissent récolter le riz qu’il faut immédiatement sortir des champs, il sera rougeâtre ou jaunâtre s’il est touché par la pluie. Ce qui n’est pas du goût des consommateurs de Dakar qui ne connaissent que le riz blanc. L’autre aspect est le séchage car le riz ne doit pas être stocké avec un certain taux d’humidité. C’est d’ailleurs à cause de ces paramètres que beaucoup de producteurs préfèrent la culture en contre-saison. Au mois de juillet, nul ne peut sécher son riz à cause de la fréquence des pluies», explique-t-il.
DES POINTS POSITIFS MALGRE TOUT
Par ailleurs, il y a d’autres producteurs qui ont donné un satisfecit au président de la République pour avoir osé «rêver». C’est le cas de Mme Codou Diop de l’entreprise Lamtoro de Fanaye. «C’est Dieu qui dispose, l’homme ne fait que proposer. Le Président de la République a fait son devoir en mettant des moyens dans l’agriculture. Il a donné des tracteurs, des motopompes, des intrants et a mis beaucoup d’argent dans les banques pour soutenir les producteurs. Je pense que si les gens y mettent leur engagement comme il l’a fait, nous pourrons approcher l’objectif fixé», souligne-t-elle. La ressortissante du Walo est convaincue que même si le Sénégal n’atteint pas l’objectif fixé par Macky Sall, il pourra réduire ses dépenses pour les importations de riz. Elle a tout de même reconnu que les producteurs sont bien exposés à plusieurs difficultés liées à l’enclavement avec l’impraticabilité des pistes de production durant l’hivernage.
Il faut signaler que deux types de culture, pluviale et de contre-saison, existent au niveau de la vallée du fleuve Sénégal où une contribution à hauteur de 57% est attendue dans le cadre du programme d’autosuffisance en riz. Deux à quatre variétés de riz y sont généralement produits, le parfumé 329 et 177, le riz ordinaire Sahel 108, 134 et 201. Selon le bilan technique 2015 de la SAED, «une superficie globale de 60 092 hectares a été mise en valeur, et la production annuelle de riz a atteint, malgré les contraintes, 438 337 tonnes de paddy, correspondant à une contribution de l’ordre de 32,14% à la couverture des besoins nationaux en riz».