Président de l’Association des Sénégalais des Etats-Unis d’Amérique, Ibrahima Sow revient dans cet entretien avec EnQuête sur la série de meurtres qui frappe nos compatriotes établis au pays de l’oncle Sam et dans d’autres pays d’accueil. Ainsi que sur les craintes de son organisation face au discours raciste de Donald Trump, candidat républicain à la maison blanche.
Depuis un certain temps, on note une recrudescence d’assassinats de Sénégalais aux Usa. Dernier crime en date, celui de Modou Diagne. Quelle explication en faites-vous ?
C’est vrai. Cette semaine on a eu un décès. Je crois que le corps est arrivé. Là également, c’est une affaire qui est pendante devant la justice. On n’a pas encore, que je sache, arrêté les personnes qui ont commis le meurtre. Et c’est quelque chose que nous suivons avec beaucoup d’attention. Les organisations de Sénégalais qui sont là-bas sont en train de suivre cela. Les Sénégalais qui sont tués, c’est quelque chose de très courant, que cela soit aux Usa ou ailleurs. C’est une question devenue extrêmement importante qui nécessite que les autorités se concertent avec les organisations pour voir comment l’arrêter ou au moins l’amoindrir.
Mais qu’est-ce qui explique, selon vous, cette série de meurtres qui frappent la communauté sénégalaise établie aux USA ?
Cela est lié à plusieurs facteurs. Les Usa est un pays relaxe en termes de possession d’armes à feu, ce qui fait que c’est un pays qui a un taux de criminalité élevé. Cela peut-être aussi dû au fait que, quand on est étranger, le pays d’accueil peut ne pas être très engagé dans le sens de rechercher les gens qui commettent certains types de crimes sur les non-nationaux. On a l’impression qu’il y a un sentiment d’impunité qui favorise la recrudescence des assassinats. De notre côté, nous attendons de voir comment les choses vont évoluer.
Récemment, un Sénégalais a été tué en France. En Espagne, en Italie, au Brésil en Argentine etc., des émigrés sénégalais ont été également victimes d’assassinats ou de meurtres. N’avez-vous pas le sentiment que nos compatriotes établis à l’étranger sont devenus des cibles faciles ?
Personnellement, je ne crois pas que ces personnes aient été tuées parce qu’elles sont sénégalaises. Je crois, par contre, que nous sommes dans une société qui est devenue plus violente. Il y a également la crise économique qui fait qu’il y a une certaine montée de la xénophobie. Dieu a fait que nous sommes des Noirs, nous sommes potentiellement des cibles, même si ces actes criminels ne sont pas spécifiquement dirigés contre des Sénégalais. Mais comme vous l’avez dit, nous constatons que beaucoup de Sénégalais à travers le monde en sont victimes. Aux Usa, en Europe, au Brésil, en Argentine nous en sommes victimes. Récemment, le président de l’association des Sénégalais vivant en Argentine a été tué.
Qu’est-ce que vous comptez réellement faire pour remédier à cette situation ?
On sent qu’il y a une certaine impunité. On n’a pas souvenance d’un des nôtres qui a eu un procès équitable. C’est ce que j’essayais de dire. Il n’y a pas cette frénésie à aller rechercher ces personnes qui commettent ces meurtres. Pour un pays comme les USA, il y a beaucoup de meurtriers qui sont recherchés. Et s’il n’y a pas une certaine pression médiatique, il peut arriver qu’un acte de meurtre soit laissé impuni. Parce que les ressources qui doivent être utilisées pour rechercher le meurtrier sont attribuées à d’autres secteurs.
Il y a le cas du fils du ministre de l’Elevage Aminata Mbengue Ndiaye. Son meurtrier a été arrêté, jugé puis acquitté. A votre niveau, qu’avez-vous fait pour que justice soit rendue ?
C’est une situation que je connais personnellement. Parce que je suis l’un des rares Sénégalais, dès que le meurtre s’est produit, à être présent. Comme vous l’avez dit, la personne a été acquittée. Le garçon travaillait comme responsable dans un grand restaurant. Maintenant, nous, nous ne détenons pas la justice. Dans les cas aussi flagrants où on voit que la personne est relâchée, nous organisons des manifestations pacifiques pour exprimer notre indignation. Mais avant, nous allons d’abord au tribunal pour constituer un groupe de pression. Nous ne nous en arrêtons pas là. Nous saisissons également les responsables politiques. Quand les élections arrivent également, nous nous organisons de sorte que les entités qui ont pris en charge dans leurs plates-formes électorales cette question de l’impunité des meurtriers nous sentent à leurs côtés.
Dans ce combat contre l’impunité, sentez-vous l’appui de l’Etat à travers sa représentation diplomatique à New-York ?
Il faut dire qu’il y a des efforts qui sont faits par les représentations diplomatiques. C’est certainement des choses qui pourraient être améliorées s’il y avait beaucoup plus de concertations entre nous et elles. C’est l’un des aspects également qui nous pousse à appeler l’Etat pour plus de concertations. En tant que représentants des émigrés, nous devons être intégrés et consultés dans la mise en place des politiques publiques d’émigration, surtout en ce qui concerne la sécurité des émigrés.
Face à cette situation, quelle doit être l’attitude du gouvernement sénégalais ?
L’attitude du gouvernement doit être une attitude de protestations très vives. A chaque fois qu’un Sénégalais est tué, le gouvernement doit montrer qu’il prend très au sérieux la question et le signale aux autorités du pays où cela s’est produit. C’est vrai qu’il faut respecter la souveraineté du pays et sa justice mais pour autant, si on voit que ces nationaux sont assassinés partout, il faudrait que des stratégies soient développées pour voir comment il faut faire pour arrêter cela.
Certains de vos compatriotes établis aux Usa se plaignent du fait qu’ils sont souvent jugés par défaut au Sénégal dans des affaires civiles ou commerciales. Qu’en est-il exactement ?
En réalité, il y a beaucoup de Sénégalais qui vivent à l’étranger et particulièrement aux Usa. Vous vivez une partie de votre vie aux Usa et une autre partie au Sénégal. C’est un statut hybride. Il peut arriver que, étant aux Usa, vous ayez une entreprise ou une autre activité économique au Sénégal. De ce point de vue-là, ce sont des choses qui génèrent des contentieux. Maintenant, il y a une facilité à aller en contentieux avec un Sénégalais qui est à l’extérieur parce que la disposition de la loi fait qu’on peut vous juger par défaut très facilement. Par exemple, si je suis en contentieux avec un Sénégalais établi à l’étranger, je n’ai pas besoin de lui envoyer une notification pour le convoquer. Je peux simplement déposer la citation au niveau du parquet. Cela suffit.
Si on vous convoque une première fois, une deuxième fois et que vous brilliez par votre absence, on vous juge par défaut. Il y a beaucoup de cas comme ça. Il y a des gens qui ont perdu leurs maisons. Il y a des gens qui ont perdu leur ménage. Il y a eu des jugements énormes de ce genre qui sont faits. Et cela ne va pas de pair avec l’encouragement du gouvernement qui dit aux gens : revenez investir dans votre pays, soyez plus actifs dans l’investissement économique de votre pays. Il n’y a pas cette protection-là qu’il faudrait. On ne demande pas un privilège de juridiction. Nous n’en voulons pas. Nous demandons simplement que les émigrés sur qui plane une citation au parquet soient mis dans des conditions leur permettant de se défendre. Qu’on les mette sur le même pied que le Sénégalais qui est à l’intérieur du pays. Ainsi, à chaque fois qu’on vous convoque devant le juge, au moins qu’on vous crée les situations vous permettant de vous présenter.
Avez-vous saisi les autorités sur toutes ces questions ?
Nous avons écrit. Nous leur en parlons aussi quand elles viennent nous rencontrer. Nous ne nous en arrêterons pas à cela. Nous comprenons bien l’importance de cette question dans la vie d’un émigré. Si cette question n’est pas prise en charge, elle peut poser beaucoup de problèmes. Les gens commencent à se sentir comme des citoyens de deuxième zone dans la mesure où ils peuvent être jugés très facilement et être condamnés parce que simplement ils ne sont pas présents.
Les primaires battent leur plein aux Usa ; il y a le phénomène Trump avec son discours raciste. Avez-vous des craintes par rapport au succès que connaît Trump ?
Nous avons beaucoup de craintes. C’est une question avec un très grand enjeu, particulièrement pour la communauté sénégalaise même si notre organisation est apolitique. Notre association n’appelle pas à voter. Elle ne peut pas s’engager non plus sur le terrain politique. Trump est une personne que nous avons connue dans un passé récent alors qu’il était à la tête des marchands de la 5ème avenue. Quand il est venu, il a dit qu’il faut qu’on assainisse cette rue en commençant par dégager les Sénégalais qui y officient comme vendeurs à la sauvette. C’est une chose qu’on a vécue. Et si quelqu’un a pu faire ça en profitant de sa simple posture sans avoir aucun pouvoir, il faut beaucoup craindre, si jamais il devient Président. Encore qu’il ne s’en cache pas. Depuis qu’il fait campagne, Trump attaque vigoureusement toutes les minorités. Qu’il s’agisse des Musulmans, des Sud-américains, des handicapés, etc. Nous nous accommoderons de tout, sauf de Trump, vu ce qu’il symbolise comme haine.
A part les assassinats et le racisme, quels sont les autres problèmes auxquels vous êtes confrontés ?
Il ne faut pas dire que nous n’avons que des problèmes. Il y a des choses beaucoup plus positives.
Comme quoi…
Nous sommes installés dans un vaste pays comme les Usa et partout où vous irez, il y a une forte communauté sénégalaise. Si vous venez à New-York par exemple, vous avez ‘’little Sénégal’’. C’est un quartier que les Sénégalais ont installé au cœur de New-York. Il n’y a pas de ‘’little France’’, ‘’little Allemagne’’, ‘’little Nigeria’’ ou ‘’little Ghana’’. Il n’y a que ‘’little Sénégal’’. Les seuls autres pays qui ont leur quartier dédié sont la Chine et l’Italie. Des Sénégalais partis de nulle part ont pu s’installer et installer des Sénégalais.
Il y a des mosquées sénégalaises, des boutiques sénégalaises, des restaurants sénégalais. Et le plus important est que les enfants qui sont nés là-bas se comportent extrêmement bien sur le plan scolaire. Malgré quelques déviances, de manière générale l’éducation des enfants se porte bien. Il y a beaucoup d’autres choses positives. Ces Sénégalais qui sont aux Usa n’ont pas oublié leur pays. A la limite, ils demandent même à être impliqué davantage. Mais tel n’est pas encore le cas.
Pourquoi ? Est-ce à dire que le gouvernement ne vous accompagne pas dans vos initiatives ?
L’année dernière, nous avons organisé un sommet de l’investissement. Parce que de notre point de vue, les connections qu’il doit y avoir n’existent pas. On a le sentiment que les Sénégalais qui sont aux Usa ne connaissent pas les opportunités d’investissements qui s’offrent à eux dans le Sénégal d’aujourd’hui ; que le gouvernement n’a pas donné la formation qu’il faut à ces Sénégalais-là pour qu’ils puissent connaître les opportunités d’investissements. Cela créerait un cadre qui rapprocherait le gouvernement des Sénégalais. De ce point de vue-là également, on a l’impression que le gouvernement n’est pas très sensible aux opportunités que représente la manne financière qui est ici.
Pour l’organisation que je dirige, l’un des plus grands problèmes de nos membres est l’épargne retraite. Il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas de papiers et qui ne peuvent pas cotiser quelque part. Si aujourd’hui les rapports de confiance étaient établis avec le gouvernement au point que l’on puisse mettre avec le gouvernement un cadre où les Sénégalais des Usa et d’autres Sénégalais vont cotiser par exemple, beaucoup de fonds pourraient être utilisés dans la construction d’infrastructures. Il y a aussi l’expertise. Dans la communauté sénégalaise des Usa, il y a beaucoup de personnes qui sont des entrepreneurs. C’est le petit et moyen entrepreneuriat qui s’est développé ici. Le Sénégal aurait pu utiliser cette expertise pour former et encadrer les gens qui sont restés au pays.