Ex-enfant terrible du Sopi, Ousmane Ngom, 62 ans, est devenu un mutant de la vie politique sénégalaise dont le flair inspire crainte et révolte.
Vu à distance, son talent politique est souvent réduit à celui d’un voltigeur, avec cette facilité qu’il a à se remettre sur ses deux pieds après le K.-O. Mais de sa vie, on n’en saisira, forcément, que des morceaux, des bribes éparpillées d’un côté à l’autre du pouvoir.
Tailler un portrait sur mesure à ce politicien XXL serait une simple bavure… euh une gageure. D’autant que l’homme cultive volontiers le mutisme. Laissant son téléphone sonner dans le vide, sur le mode Dalal tone où l’on entend résonner la voix gutturale d’un Dabakh.
Récemment, Ousmane Ngom a affolé les aiguilles politiques en signant, juste avant le référendum du 20 mars 2016, un communiqué au vitriol. Il y va de sa lourde main, et accuse, en vrac, l’opposition ‘‘d’être coalisée à des groupes terroristes” dans le but de rendre ce pays invivable et de provoquer “des élections anticipées”. Dans un climat de terreur djihadiste qui mine l’Afrique de l’Ouest, les propos de l’ancien patron des Renseignements généraux font froid dans le dos. D’autant plus que l’homme est connu pour entretenir le culte du secret d’État. Certains y voient une dernière grimace politique avant la grande transhumance…
Le dernier ministre de l’Intérieur du Président Wade traîne depuis deux décennies un surpoids glané dans les allées du pouvoir, des joues pleines qui accusent un appétit du pouvoir. Ousmane Ngom, c’est une vie faite de retournements. Habitué à rebondir après les révolutions, il a survécu à deux alternances politiques, tout en étant dans le sens contraire du vent. Il a été deux fois ministre sous Diouf (Travail et Santé), et puissant ministre d’État sous Wade.
On lui prête aujourd’hui l’intention de changer à nouveau de camp, de se rabibocher avec Macky Sall. Il vient de créer un mouvement, ‘’Libéral ca Kanam’’. Le deuxième appareil politique qu’il crée après son Pls, Parti libéral sénégalais, fondu dans le Pds comme beurre au soleil.
“Il a vraiment le sentiment de devoir récupérer une mise politique, et qu’il doit être payé en retour de ses années d’opposant”, analyse un journaliste politique.
Ousmane Ngom, c’est aussi le côté tragique de ces fils putatifs de Wade qui n’ont jamais réussi à s’asseoir dans le fauteuil du père : Fara Ndiaye, Jean-Paul Dias, Idrissa Seck.
New deal politique
Dans l’opposition, il a tenu la dragée haute au pouvoir de Diouf. Menotté, malmené, il a vécu les “années de braise”, comme on dit, non sans fierté, dans le jargon libéral.
Homme de confiance de Wade, lorsqu’il s’agissait de négocier en catimini avec les émissaires de Diouf pour entrer dans le gouvernement, c’est Ousmane Ngom qui s’en chargeait. Les pourparlers qui ont abouti à l’entrée du Pds au gouvernement en 91 se sont déroulés dans son salon, à son domicile à Yoff Océan, ‘‘où Famara Ibrahima Sagna (“Big Fam”), puissant ministre des Finances de Diouf, arrivait chaque soir, dans une voiture banalisée”, raconte Souleymane Jules Diop dans son livre interdit (Wade et Le Diable Ed. Harmattan).
Après de longs marchandages, Ousmane Ngom, Jean-Paul Dias, Aminata Tall, Massokhna Kane font leurs premières armes dans un gouvernement. Wade, en manitou libéral, occupe un poste ministériel sans portefeuille.
C’est le ‘‘gouvernement de majorité présidentielle’’ élargie de Diouf’’, sorte de gouvernement de réconciliation, issue de la grande crise polito-sociale de 1988. Ousmane Ngom est un enfant de ce new deal politique à la Sénégalaise. “Il a goûté au miel du pouvoir et ne va plus le lâcher”, commente un observateur. Ngom a surtout compris que le pouvoir est avant tout rapport de forces, négociations. “Cette façon wadienne de retourner ses convictions politiques comme un gant, au gré des circonstances, c’est ce qu’il a le plus appris chez son ex-mentor,” analyse un observateur. “Je suis un produit Made in Wade”, a résumé un jour le principal concerné.
Accroché aux basques du “vieux”, qui le recrute comme jeune avocat dans son cabinet, Ousmane n’a jamais vraiment bossé ailleurs que dans la politique.’’
“Qui se souvient d’un procès remporté par Me Ngom ?” ironise un journaliste. Il a été marié en premières noces à une dame mûre, Sophie Ndiaye, cadre à la défunte compagnie Air Afrique. ‘’Ousmane était encore étudiant et elle était de dix ans son aînée’’, raconte un témoin.
Si on évoque ce passé matrimonial, c’est que la dame Sophie Ndiaye a tiré le Pds d’une affaire politique rocambolesque. En 1988, les dirigeants libéraux sont accusés de vouloir fomenter un coup terroriste (déjà !). Une dizaine de “mercenaires” sont appréhendés par la Police sénégalaise à leur descente à Dakar. Ils seraient, selon le pouvoir de Diouf, à la solde du Pds. C’est Sophie Ndiaye qui met à nu toute la manigance d’État et démonte l’affaire. Ceux qu’on présente comme des terroristes libyens sont en fait de paisibles mauritaniens convoyés au Sénégal au frais de… l’État du Sénégal. La dame exhibe les billets d’avion et déjoue le coup socialiste. Elle est évidemment virée de son boulot. Elle sera réhabilitée, et décorée par son mari, Ousmane Ngom, devenu ministre.
‘’Si Ousmane et Karim tombaient d’un étage’’
Il est de ces hommes d’excès qui ne savent pas faire dans la demi-mesure. Quand Ousmane Ngom quitte Wade en 1998, il lui laisse une lettre incendiaire. Sa phrase “Wade m’a appris tout ce qu’un homme de bien ne doit pas faire” est restée dans les annales des injures politiques sénégalaises. Les deux hommes ont entretenu des relations quasi-filiales. “Ousmane en sait plus que moi sur mes propres enfants”, aurait confié Wade un jour.
Feu Boubacar Sall aurait prêté à Wade cette boutade : “Si Ousmane et Karim tombaient d’un étage, c’est Ousmane que je retiendrais.” L’un vers l’autre, ils ont été fidèles en amitié et en ruptures.
En 2000, le Parti libéral sénégalais (PLS) d'Ousmane Ngom soutient le candidat sortant, Abdou Diouf. Le journal Sopi de Wade se fait un malin plaisir de publier à chaque numéro, en guise d'éditorial, une diatribe des plus virulentes contre Abdou Diouf, écrite par… Ousmane Ngom.
La première rupture entre Ousmane Ngom et le Pds est intervenue en 1998, quelques jours avant un remaniement au sein du parti qui le rétrogradait au rang de simple secrétaire permanent du parti, alors qu'il en était l’influent numéro deux.
Me Ngom quitte le Pds avec plusieurs anciens députés et responsables régionaux du PDS, qui contestaient les investitures de candidats aux législatives de mai 98. Parmi les dissidents, il y a Marcel Bassène et Mody Sy deux membres fondateurs du Pds …
La pomme de discorde tient à une chose : pour maximiser ses chances aux Législatives, le Pds, sous l’instigation de Idrissa Seck, nouvellement promu, avant décidé que les cadres devraient être investis à la base. Inquiet, Ousmane Ngom vient alors dire à Wade que dans ce cas, il ne serait jamais élu. ‘’Je n’ai pas eu le temps de me faire une base politique à Saint-Louis, puisque j’étais avec toi”, confie-t-il.
Des ‘’années de braise’’ datent cette “haine viscérale” entre les deux fils putatifs de Wade. “Il faudrait peut-être chercher les origines de cette guerre fratricide entre Ousmane Ngom et le Président du parti Rewmi dès 1988, alors que Wade s’apprête à lâcher la déferlante Sopi sur le régime Dioufien… un petit gars de Thiès, Idrissa Seck, venu de nulle part, est bombardé Directeur de campagne; et manifestement le pape du Sopi est envoûté par ce jeune cadre d’un insolent bagout”, écrit le journaliste Ibou Fall dans son livre, “Les Egocrates”.
‘’Haut les mains’’
Wade a utilisé cette vieille haine à son compte. Quand il a voulu neutraliser Idrissa Seck, il a fait appel à Ousmane Ngom. “Si Macky Sall fait appel lui aussi à Ousmane Ngom, c’est qu’il sait que c’est sa meilleure arme contre Idrissa Seck’’, interprète Ibou Fall. Dans un passage de son brûlot sur l’ancien Président du Sénégal (Wade et Le Diable Ed. Harmattan), Souleymane Jules Diop raconte comment au plus fort de la crise entre les deux hommes (Wade et Idy), Ousmane Ngom, zélé, a dépêché un matin de novembre 2004, une escouade de la très redoutée Brigade d’intervention polyvalente (Bip) à Saint-Louis pour encercler le ranch où Idrissa Seck s’est retiré pour se reposer. La garde rapprochée de l’ancien Premier ministre est alors désarmée et mise aux arrêts pour ‘‘port illégal d’armes et menaces de mort’’.
En démissionnant du groupe parlementaire libéral pour créer son mouvement, Ngom n’a-t-il pas, lui aussi, rendu les armes devant un “haut les mains’’ du pouvoir ?
L’ancien ministre de l’Intérieur est en effet un gros légume pour la Crei, la Cour de répression de l’enrichissement illicite. Dès juin 2012, il est cueilli en pleine campagne pour les législatives par les éléments de la Bip et ramené, par les airs, sous haute sécurité, à Dakar. Il passera un interrogatoire musclé devant les Gendarmes de Colobane. (Retour d’ascenseur pour l’ancien ministre de l’Intérieur !). Son épouse, Aline Correa, n’est pas épargnée. Dans le cadre de la traque des biens dits mal acquis, les pandores ont fouillé jusque chez lui en juin 2013. Interdit de sortie à l’étranger, déchu de son immunité parlementaire, il s’est plaint de son sort : ‘’Je suis dans une prison à ciel ouvert avec ma famille.’’
Il y avait sans doute d’autres raisons pour que la justice du néo pouvoir de Macky Sall, s’intéressât au cas Ousmane Ngom. Il était à la Place Washington quand le ‘’Dragon’’, ce char anti-émeute de la police sénégalaise, écrasait l’étudiant Mamadou Diop, lors d’une manifestation de l’opposition en janvier 2012 à la Place de l’Obélisque.
Des démêlées avec la justice, Ousmane Ngom en a connu. Il a été inculpé de "complicité d'assassinat et d'atteinte à la sûreté de l'Etat" dans l'enquête sur le meurtre du Me Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel, en 1993. Détenu en même temps qu’Abdoulaye Faye, Mody Sy et Samuel Sarr, conseiller financier de M. Wade, il a été, comme le reste du groupe, blanchi.
Blanchi sous le harnais de la politique sénégalaise, l’homme est décrit par ses proches comme “un bosseur, un fin connaisseur des dossiers”. Auréolé de son époque du titre de “meilleur ministre de la Santé par Diouf”, il est crédité sous Wade des réformes majeures au sein de la Police sénégalaise ayant abouti à la création du statut du policier. Même si Ngom garde son mystère entier, Ousmane a fait sa mue. Il a troqué ses costumes amples d’opposant que Wade lui ramenaient de ses voyages en France pour cultiver le raffinement saint-louisien dans des basins richement amidonnés. “Il est devenu un insider, il ne se sent plus à l’aise à la marge. Mais c’est moins le pouvoir qui l’intéresse que l’influence qu’il peut exercer sur le pouvoir”, indique un ancien collaborateur.