Après nous avoir fait rire dans leur carrière, beaucoup d’artistes comédiens sénégalais présentent à fin de leur vie un spectacle à faire pleurer.
Ce dimanche marque la journée internationale du théâtre. S’il est sûr que les artistes comédiens, pour la plupart, auront une pensée pour ceux qui ne sont plus là, il reste certains également qu’ils penseront tous à Baye Peulh. L’homme aux joues dont les prestations ont été remarquables au sein de ‘’Daaray Kocc’’ est actuellement malade. Des appels à soutien de manière officieuse sont lancés pour lui. Pourtant, cet artiste comédien talentueux a participé, d’une manière ou d’une autre, à l’éducation d’une partie de la population.
On regrette, dans le milieu, qu’il en soit arrivé à ce stade. Pourtant, il n’est pas le premier et probablement ne sera pas le dernier artiste comédien à vivre une situation aussi précaire. Avant lui, des acteurs du monde du quatrième art ont connu des fins douloureuses. Malades, seuls, beaucoup ont lancé un signal de détresse sur leurs vieux jours. Les artistes ont été bien souvent obligés de se cotiser entre eux. Alitée depuis longtemps, Ndèye Khady Sy manque de moyens pour se faire soigner. Des téléthons ont été organisés pour elle et des appels à soutien. Il en était de même pour le célèbre acteur et comédien Thierno Ndiaye Doss qui avait pourtant tout donner à son pays. Eu égard à ces situations, l’on considère que l’art ne nourrit pas son homme sous nos tropiques.
‘’On est dans un pays sous développé où on ne rémunère pas les artistes à la hauteur de leur tâche. J’ai joué 7 épisodes dans ‘’Un DG peut en cacher un autre ‘’ et j’ai été rémunéré à hauteur de 80 000 Francs CFA’’, se rappelle Diokel Mbaye dit Mbaye Délégué qui y interprétait le rôle du responsable syndical. Le montant des cachets étaient arrêtés par la production. ‘’En ce moment il n’y avait que la Rts et on nous appelait à la fin du tournage pour nous payer. Cheikh Tidiane Diop écrivait et donnait les scénarios à la RTS et c’est elle qui déterminait ce que chaque acteur doit avoir’’, renseigne-t-il. Les paies étaient dérisoires. Les artistes arrivaient à peine à vivre avec et ne pouvaient espérer de pensions à leur retraite. Même ceux qui sont reconnus comme professionnels et qui étaient au sein de la troupe dramatique de Sorano n’en ont pas.
Que peuvent alors espérer les acteurs du théâtre populaire. Pour certains d’entre eux, les choses allaient de mal en pis. Tel que le rappelle Mbaye Délégué ‘’quand on parlait de la maladie de Modou Diagne cela m’attristait. A la fin, il n’avait même pas de quoi couvrir ses frais médicaux. Je peux aussi citer Ibrahima Gning qui a interprété le rôle de Diouf, on l’appelait Joseph. Il était également malade et est arrivé à se retrouver sans aide. Ce n’est pas normal dans un pays comme le Sénégal. C’était pareil avec Ndiaye Doss, un grand artiste. Tout le monde était au courant de sa maladie. Mais ceux qui m’ont le plus marqué c’est Makhourédia Gueye et Cheikh Tidiane Diop. Makhourédia n’a reçu aucune aide jusqu’à ce qu’il meure. C’est d’ailleurs pourquoi juste après son décès un des artistes de Daaray Kocc, Bouba a fait une sortie pour dire qu’on n’a pas besoin d’aide parce que c’était trop tard’’, explique-t-il.
Aujourd’hui, il y a des comédiens qui ne sont pas malades mais qui ont du mal à joindre les deux bouts. Parmi eux Modou Pène qui vit actuellement sous location à Keur Massar. Après plus de 30 ans de vie artistique, Pène n’a ni maison, ni voiture. Il en est de même pour Demby Fall et bien d’autres.
Président national de l’association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots), Pape Faye relativise face à la situation précaire des artistes. ‘’Le mal existe partout que l’on soit comédien, artiste plasticien, styliste, enseignant ou un acteur du commerce informel. Le mal existe partout comme le bonheur existe aussi partout. En fait, il n’y a pas que le théâtre qui souffre de déficit de couverture médicale. C’est dans tous les secteurs. Maintenant, on parle plus des comédiens et acteurs parce que ce sont les personnes les plus exposées.
Ils sont très souvent à la télé, dans les médias donc ce sont eux qu’on voit. Et si par extraordinaire, ils arrivaient à déserter le plateau pour des raisons de maladie, ça se sent et ça se voit tout de suite. Ce sont des personnes qui accompagnent le téléspectateur le soir devant le petit écran. Il y a une sorte de manque morale que ressentent les téléspectateurs. Ce qui explique quelque fois qu’on a l’impression qu’ils finissent mal’’, analyse Pape Faye. Même s’il reconnaît quand même que ‘’le théâtre, comme dans tous les arts, a deux extrémités qui font l’artiste. C’est la grandeur et la souffrance de l’artiste. A un moment donné, si la carrière n’est pas très bien gérée, il est clair que très souvent on finit un peu dans une sorte de déchéance financière, morale physique ou matérielle. C’est cet aspect-là que l’on appelle la misère de l’artiste ’’, dit-il.
Le comédien suggère à ses collègues d’épargner pendant qu’ils sont actifs. Mais il faudrait d’abord qu’ils aient de quoi vivre pour penser mettre de l’argent de côté. Les cachets dérisoires, beaucoup en parlent tous les jours. ‘’Moi, quand des gens veulent m’engager et que je leur dis mon prix, ils trouvent que c’est excessif. Et quand toi tu rejettes ces cachets dérisoires qu’il te propose d’autres l’acceptent’’, déplore Kader Diarra. Donc, il faudrait que les artistes s’entendent pour une revalorisation de leur paie. En attendant qu’on en arrive là, Mbaye Délégué conseille aux jeunes de ne pas se limiter au quatrième art. ‘’J’exhorte les jeunes talents à trouver un autre métier en suivant leur passion.
Moi je n’ai pas fait que du théâtre, je n’ai pas été qu’à côté des tam-tams, je travaillais et je ne l’ai pas regretté. Aujourd’hui, je ne me plains pas, je vis dans ma maison et j’en rends grâce à Dieu’’, dit-il. Et comme dit l’adage ‘’aides toi et le ciel t’aidera’’. C’est aux artistes de penser à leur fin en premier. Encore que pour Pape Faye ‘’ on peut tendre la main, mais de façon digne. Je suis de ceux qui ne croient pas en la mendicité. Je veux que l’artiste même s’il peinait à vivre de son art qu’il n’en arrive pas à perdre sa dignité’’.
Et pour éviter tout cela, le président de l’ARCOTS n’a pas mille solutions. Il en a une toute simple : ‘’ Il faut que les gens apprennent à s’organiser, à gérer leur carrière. En gagnant des millions par exemple dans une série, il faut penser à investir dans des activités rentables. C’est pourquoi, je conseille toujours aux artistes de ne pas juste se limiter à la scène ou à des activités para théâtrales. Il faut savoir investir dans d’autres activités qui n’ont rien à voir avec l’art. Et il y a des artistes qui sont bien organisés et conscients que leur statut peut changer’’.