D’une confrontation verbale, le gouvernement et les syndicats sont passés à un duel des attitudes. Depuis quelque temps, les deux protagonistes se vouent un mépris réciproque. Les enseignants multiplient leurs mouvements de grève. Alors que le dirigeants eux se signalent par un silence bruissant d’indignation. L’intransigeance se traduit désormais par le dédain.
Le syndicat autonome de l’Enseignant supérieur (Saes) a décrété depuis hier 48 heures de grève et promet d’initier un mouvement illimité si dans deux semaines, le gouvernement ne réagit pas. Pendant ce temps, le Front unitaire qui regroupe le Grand cadre version Abdou Faty et quatre autres syndicats formant l’Useq ont observé un débrayage hier suivi d’une grève totale aujourd’hui et demain. De l’autre côté, le Saems-cusems aussi déroule. Sans compter les différentes initiatives visant à réunir les syndicats d’enseignants et même au-delà, tous les syndicats de la Fonction publique.
Mais en réalité, tout indique que les protagonistes se vouent désormais un mépris mutuel. Chacun semble avoir campé sur sa position, faisant fi de l’autre. La colère des enseignants se sent par les sorties fracassantes contre soit le ministre de tutelle ou son collègue de l’Economie et des Finances, soit contre les plus hautes autorités, le Premier ministre ou le président de la République notamment. Les pédagogues estiment que l’Etat est dirigé par des autorités sans parole, parce que ne tenant pas leurs engagements, y compris ceux du chef suprême. Désormais, leurs sentiments sont traduits par la volonté de ne plus faire de concession face à la non-satisfaction des revendications.
Cependant, l’exaspération semble plus grande du côté du gouvernement. Le silence des autorités en dit long sur leur radicalisation. En effet, malgré les perturbations répétées et les tentatives de former un large Front de la part des enseignants, les autorités semblent insensibles à leurs revendications. Dans le supérieur, en dehors de la loi portant réforme des titres, aucun acte n’a été noté de la part du gouvernement. Si l’on en croit les dirigeants du syndicat, rien n’a été fait sur les autres points. Le ministre de tutelle pourtant si prompt à s’exprimer sur les questions liées aux Universités reste muet depuis quelque temps sur ce point. Pas un seul mot pratiquement sur ce dossier.
Dans l’enseignement moyen-secondaire, la situation est la même. Les mouvements se répètent à un rythme effréné. Chaque semaine, débrayages et grèves totales se suivent. Mais tout cela laisse de marbre le ministre de tutelle. Serigne Mbaye Thiam est d’ailleurs resté pendant longtemps sans piper mot sur la situation de l’école. Tous ces deux ministres, avec celui de la Fonction publique et du Travail, aimaient pourtant soit appeler les syndicats à la patience, soit rappeler les efforts consentis par le gouvernement. Mais depuis quelques semaines, il n’en est rien. Tout est fait comme si un mot d’ordre de silence avait été donné. Le référendum ne peut être qu’un prétexte car, en réalité, l’absence de réaction date d’avant ce rendez-vous populaire.
Les prémices d’une rupture
A voir l’histoire des relations entre les enseignants et le pouvoir de Macky Sall, il n’y a pourtant rien de surprenant. Chacun a commencé à être excédé du comportement de l’autre il y a bien longtemps, particulièrement les gouvernants envers les enseignants. Les sentiments des autorités à l’encontre des syndicalistes ont été réellement exprimés en avril 2015, lorsque le Sénégal était à quelques pas d’une année blanche. Le ministre de l’Education nationale a été le premier à dire ce qu’il pense de ses ‘’amis’’.
Dans une interview accordée à EnQuête le 20 avril 2015, il disait ce qui suit : ‘’La majeure partie de responsables syndicaux et des enseignants ne sont mus que par des considérations professionnelles mais, nul n’est dupe ou naïf pour ne pas savoir qu’il y en a d’autres qui ont des connections et qui sont dans des manœuvres pour des agendas autres que syndicaux.’’ Deux jours après, le chef de l’Etat prend le relais à l’occasion du Conseil présidentiel sur le Pacte national de stabilité sociale et d'émergence économique. Interpellé par Mademba Sock sur les revendications des enseignants, Macky Sall lui demande de ne pas s’en arrêter là et d’interpeller aussi les syndicats d’enseignants.
Mais le Président n’aura pas besoin de Mademba Sock, puisqu’il le fera à sa manière. Apostrophant les syndicalistes, il lance : “Vous n'êtes pas les seuls dans ce pays. Il n'y a pas que des salariés. Vous êtes une minorité, secteur public et privé confondus. Et vous voulez prendre le pays en otage ? Pourquoi et au nom de quoi ? Parce que vous êtes syndiqués et vous êtes intellectuels ? Je dis non !” Il venait sans doute d’indiquer la voie à suivre. Car, une semaine plus tard, le ministre de la Fonction publique Viviane Bampassy s’énerve à la fin d’une plénière de consolidation pour lever brutalement la séance, si l’on en croit Mamadou Lamine Dianté.
Macky Sall ‘’ le syndicalisme est en train de détruire les bases des universités africaines’’
Auparavant, elle avait déjà donné le ton dans un entretien avec l’Agence de presse sénégalaise (l’APS). ‘’Il faut que les enseignants prennent leurs responsabilités, l’Etat prendra les siennes’’, avertissait-elle. Si tous ces propos traduisaient l’exaspération, ce même sentiment semble être aujourd’hui plus que d’actualité. Surtout que le 12 mars dernier, à l’occasion de la cérémonie officielle d’ouverture des premières Rencontres Economiques de Dakar, le président de la République n’a pas raté les syndicats d’enseignants, notamment ceux des Universités publiques. Selon Macky Sall, les mouvements syndicaux sont en train de détruire les bases des universités africaines, et en particulier celles du Sénégal. ‘’Je sais que tout n’est pas facile.
Par contre, il faut que les étudiants et les professeurs soient motivés. C’est une vérité absolue. Nous devons négocier avec les syndicats d’enseignants, car la finalité de l’Université, c’est de former les cadres. Cela doit primer sur tout et doit être dans le package de l’Université de l’excellence en Afrique. Mais le syndicalisme est en train de détruire les bases des universités africaines’’, a regretté le président Sall. Et comme il fallait s’y attendre, la réponse des enseignants du Supérieur ne s’est fait pas attendre et porte la signature du secrétaire général du SAES.
‘’Il (Macky Sall, ndlr) est coutumier des faits. En étant Premier ministre, il a eu à traiter les syndicalistes de criminels. Ensuite, quand il a été élu, au sortir d’une prière de Korité ou Tabaski, je ne sais plus, il est revenu à la charge. Il est parti au Gabon, il a réitéré les mêmes propos. Aujourd’hui, il revient pour dire que le syndicalisme est en train de détruire les bases des Universités africaines. C’est une conviction profonde et j’ai mal. Parce qu’un président de la République ne peut pas se permettre d’injurier une frange de la société, notamment l’élite’’, croit savoir Seydi Ababacar Ndiaye. C’est dire que les divergences sont profondes entre l’Etat et les syndicats d’enseignant. Au grand dam des élèves et étudiants.