Dans la commune de Ngohé, située dans le département de Diourbel, les populations sont révoltées par l’exploitation des carrières de Yéradi et Kadam. Les paysans qui ont été privés de leurs champs et qui ont reçu de modiques sommes en guise d’indemnisation accusent l’Administration territoriale et la mairie d’être de connivence avec les Chinois qui construisent l’autoroute Ila Touba. La révolte couve dans la zone.
Il est en colère contre l’Administration territoriale à cause de l’exploitation des carrières de Yéradi et de Kadam dans la région de Diourbel. «Elle n’est pas sérieuse. Elle a pris fait et cause pour les Chinois au détriment des producteurs autochtones. Ce que le gouverneur a fait, c’est du jamais vu. Il a outrepassé ses prérogatives en prenant cet arrêté qui, en fait, ne repose sur rien. Il a violé délibérément le Code minier qui dispose que seul le ministre en charge des Mines et de la géologie est compétent en la matière», bout de rage un chef de service, sous le sceau de l’anonymat. A Yéradi et Kadam, villages situés dans la commune de Ngohé, les populations n’ont que leurs yeux pour pleurer. L’ouverture des carrières (Kadam : 46 mille 296 m2 et Yéradi : 220 mille 837m2) va faire passer les populations du statut de producteurs à de simples paysans. Elles servent de matière première à l’autoroute Ila Touba. Cette dernière qui était censée créer de la plus-value et faire nager les populations de bonheur a transporté le malheur chez elles. Elle est en train de provoquer un exode rural massif. Excédées, les populations tentent de comprendre. Ousmane Thiaw, habitant du village, évalue le désastre : «34 champs sont concernés. Personne n’a discuté avec nous. Seul le maire est venu nous dire que des gens viendront sonder pour voir s’ils vont découvrir ce qu’ils recherchent. Un lundi vers 14h, le maire nous a demandé de venir répondre au sous-préfet de Ndoulo. Ce dernier, lors de la rencontre qui s’est tenue à la mairie de Ngohé, nous a clairement dit qu’il ne souhaiterait pas que dans sa circonscription administrative qu’il y ait des problèmes. Il faut qu’on discute parce qu’ils ne veulent pas recourir à la force en amenant ici des Forces de sécurité.» Et tout s’emballe : «Ensuite, il nous a demandé de signer des documents sans au préalable qu’ils soient traduits pour nous parce que nous sommes des analphabètes. Vers 22h, le maire nous a demandé de revenir le lendemain répondre de nouveau au sous-préfet de Ndoulo qui nous a dit que les Chinois de l’entreprise Crbc, chargée de construire l’autoroute Thiès-Touba, ont trouvé que le sous-sol de Yéradi contenait de la latérite.» C’est l’or que cherchaient les Chinois qui entament les travaux sans concertation. «De ce fait, ils vont explorer le sous-sol et exploiter la latérite. Nous ne sommes que des pauvres producteurs. Exploiter ce sous-sol et y extraire de la latérite conduit indubitablement à notre perte. Nous ne savons pas ce que demain sera fait parce que nous avons perdu notre seule et unique source de revenus.»
Aujourd’hui, les regrets sont tatoués sur le visage des paysans qui ont été indemnisés par hectare. Ousmane Thiaw a reçu 301 mille F Cfa le 7 février. Là, il est rongé par l’amertume et le chagrin : «Si j’étais instruit comme le sous-préfet ou le maire, je n’aurais jamais signé ces documents. Si je savais que si je refusais, je n’allais pas avoir des problèmes, je ne le ferais pas. Ce n’est pas normal.»
Pour exploiter la latérite, les Chinois utilisent de gros moyens. Quelles seront les conséquences ? «Il faut creuser au moins 30 m. Tous les arbres vont mourir. Le sous-préfet a dit qu’il a signé des documents avec les Chinois et qu’ils vont remblayer après les carrières. Ce que je n’ai jamais vu depuis ma naissance. Les champs étaient ma seule et unique source de revenus. Je m’en remets à Dieu parce que je ne peux rien contre l’autorité administrative. Le service de l’Agriculture a fait des estimations et c’est sur cette base que nous avons été indemnisés. Le service des Eaux et forêts a décompté les arbres. Ils sont venus à la fin du mois de janvier. Je suis très déçu par ce maire que nous avons porté à la tête de cette commune. Juste un mois qu’on m’a indemnisé, mais je suis prêt à retourner l’argent si je pouvais récupérer mes champs», pleure M. Thiaw, marié à 2 femmes et père de 10 enfants.
Dans cette zone, une épaisse couche de poussière enveloppe l’atmosphère. Elle exacerbe la criante des paysans «délaissés» de leur héritage. A Yéradi, la vie tient à un miracle : Une seule borne-fontaine abreuve une cinquantaine de concessions. L’école est un abri provisoire. Malgré ce drame, 35 paysans ont perdu leurs champs. Samoune Guèye est inconsolable : «Notre village Yéradi se trouve au sud de la commune de Ngohé. S’il est connu maintenant, c’est grâce à cette latérite. Ce village est confronté à des difficultés énormes, il est agressé par une société chinoise qui exploite une carrière qui aura des conséquences sur le plan environnemental et sur la santé des populations. La population n’a pas été informée. Ces paysans sont réduits à la main tendue. Il y a un grand risque pour un exode rural massif. Ces paysans sont des illettrés et ont été contraints à signer. Une seule famille a refusé de signer.»
Le forcing de l’Administration territoriale
Abdou Diouf est irrité par le forcing de l’Administration territoriale. Il a reçu 110 mille F Cfa contre trois champs impactés par l’exploitation des carrières. Il dit : «C’est une situation très difficile pour nous. Ces trois champs, je les avais hérités de mon père et je pensais les léguer à mes enfants. J’ai refusé, mais à l’impossible nul n’est tenu. Ils m’ont dit (le sous-préfet de Ndoulo et le maire) que ces parcelles relèvent du domaine national. Si l’argent finit, je ne sais pas ce que demain sera. Je crois que je vais essayer de louer un champ à 50 mille pour essayer de cultiver.» En écho, Abdoulaye Ndour crie de rage : «J’ai dit que mon champ dépassait un ha, mais le technicien de l’agriculture m’a dit que c’était faux. J’avais dans ce champ des arbres qui n’existaient qu’ici. On m’a remis 511 mille. C’est par force qu’on m’a fait parapher le document. Ils m’ont dit que c’est Macky qui a le seul et unique droit de donner une partie du domaine national. Ce projet, c’est celui de Macky et les Chinois qui ont gagné le marché ne vont pas aller en Inde ou en Chine chercher la matière première alors qu’elle existe ici. Ce projet est important parce qu’il quitte Dakar et va jusqu’à Touba. L’autorité administrative, en l’occurrence le sous-préfet de Ndoulo, nous a rencontrés un dimanche et le jeudi, le maire m’a appelé un peu vers 14 heures pour me dire de venir répondre au sous-préfet.» Arrivé à la mairie, il est presqu’anesthésié par l’autorité du sous-préfet : «Lorsque je suis venu à la mairie de Ngohé, le sous-préfet m’a dit signe ici et prend l’argent. J’ai dit que franchement, mon champ dépasse cette superficie. Le sous-préfet m’a rétorqué que j’avais de la chance parce que je disposais de beaucoup d’arbres. Le sous-préfet m’a dit que seuls trois types d’arbre sont indemnisés. Il s’agit du baobab à 80 mille F, du kadd à 20 mille et du soump à 10 mille. Mais malheureusement je n’ai pas bénéficié de mon baobab. J’ai perdu mon unique source de revenus», regrette-t-il. Comment les indemnisations ont été calculées ? Il s’est contenté juste de signer et d’avaler les explications des autorités. «Pour l’indemnisation, elles ont dit que chaque ha doit produire 800 kg à raison de 200 francs. Ce qui revient à 160 mille francs. Ce chiffre est multiplié par trois. Ce qui fait 480 mille francs», détaille-t-il. Face à l’autorité administrative, il étalait ses craintes qui sont tombées sur un mur : La carrière jouxte leurs concessions. «Mais ils m’ont dit qu’elle sera après ensevelie.» Sans oublier les risques sanitaires. «Ils nous ont dit que les nuisances ne causeront pas des problèmes sur le plan sanitaire. Ils m’ont dit aussi que nous pourrons devenir des ouvriers dans le chantier.» Aviez-vous le choix ? «Non ! Le sous-préfet nous a dit qu’on le veuille ou non, cela aura lieu. Et si nous nous opposons, il va amener les Forces de sécurité qui vont user de la force. C’est la peur au ventre qu’on a signé ces documents. Le plus ahurissant, c’est qu’on ne dispose même pas de copies. Pour ces trois années, je dois nourrir ma famille avec 520 mille francs. Ils nous ont dit que le projet n’est pas privé et que s’il l’était, ce sont les Chinois qui allaient venir discuter avec nous, mais c’est un projet de Macky Sall. Nous allons devenir des ouvriers agricoles. C’est dommage et regrettable que dans notre propre pays, on nous traite de cette manière même si les Chinois ont dit que nous pourrons être recrutés comme ouvriers. Ce que nous ne croyons pas.»
A Ndoffène, le maire de Ngohé, François Fall, est indexé. Modou Youm, conseiller municipal, accuse : «Le maire est venu pour dire que les tracteurs passeront de force. Il dit que les Chinois devaient même passer sur nous et nous tuer. Il a eu tort de n’avoir pas convoqué la Commission domaniale encore moins discuter avec nous.» Modou Mbaye, habitant de Ndoffène, met dans le même sac le maire et le sous-préfet de Ngohé. Il dit : «Les populations n’ont pas été bien informées. Elles n’ont pas été consultées. Mieux, on les a mises devant le fait accompli. C’est la raison pour laquelle elles se sont rebellées. Le maire devait consulter les 46 conseillers de la commune. Ce qui n’a pas été fait. Nous n’avons rien comme alternative. Le sous-préfet devait convoquer les gens chez le chef de village. Ce qui n’existe pas. Il y a eu erreur de décompte dans les champs. Ils ont attribué des champs à des personnes qui n’en sont pas propriétaires.»
Aujourd’hui, le ballet des camions sur des terrains cultivables provoque déjà des dégâts. «La carrière est en train d’être exploitée par l’entreprise qui est en charge de la construction d’Ila Touba. Il y avait des champs que les populations exploitaient», dénonce un habitant. A Kadam, c’est la même situation. A ce jour, plus de 100 camions de latérite ont été envoyés à la base de Touré Mbonde, quartier général de la société chinoise qui construit l’autoroute Ila Touba. Coumba Diagne, élève, s’inquiète de la situation de ses parents : «Ils ont creusé et maintenant, nous n’avons plus de champs pour cultiver. C’est triste ce qui se passe.»