La maladie rénale n’est pas mortelle. Beaucoup de gens vivent alors que leurs reins ne fonctionnent plus. Néanmoins au Sénégal, le traitement de la dialyse est astreignant tant au niveau temporel que financier. La Journée mondiale du rein, célébrée hier, coïncide avec un évènement qui redonne le sourire à ces malades : Le vote de la loi autorisant la greffe. Et l’espoir fait vivre...
C’est un rendez-vous trihebdomadaire. Il dure en moyenne quatre heures. Seulement, on n’y va pas avec des fleurs sous le bras ou dans l’espoir de repartir accompagné. On reste couché sur un lit avec son ordinateur, son livre ou à ne rien faire pendant que son sang se promène dans des tuyaux. Il part en fait en balade de santé à l’intérieur d’un rein artificiel. C’est le principe de la dialyse. A la clinique privée Abc Hémodialyse à Liberté 2, on trouve les patients, allongés dans une grande salle ou dans deux plus petites juxtaposées à la première. Homme, femme, jeune, vieux, professeurs agrégés, ingénieur, policier, leur seul point commun est d’avoir deux reins qui ne sont plus en état de fonctionner. Ils sont en phase terminale de maladie rénale. C’est la raison de leur présence ici tous les deux jours. Ils doivent venir se faire faire par une machine ce que leurs reins ne peuvent plus faire : purifier leur sang, enlever les déchets qui sont toxiques pour le malade. Bientôt, ce sera un mauvais souvenir avec l’adoption de la loi autorisant la greffe.
En 2013, le site Réussir Business avançait qu’on comptait alors 80 mille insuffisants rénaux au Sénégal, selon les chiffres du ministère de la Santé. Nombre conséquent pour une maladie qui est contraignante sur un emploi du temps. «Il n’y a que la dialyse qui peut te sauver», a-t-on déclaré à un patient de la clinique Abc désirant rester anonyme (nous l’appellerons X), lorsqu’en 2014 on lui a expliqué que ses reins ne remplissaient plus leur mission. «C’était chaud», avoue-t-il. Cependant, empreint d’une philosophie de vie plutôt positive, il assure qu’il a rebondi pour aller de l’avant : «Je peux espérer. C’est le premier réconfort. Le deuxième réconfort : on m’a dit que c’est les deux reins qui ne fonctionnent plus. Je me suis dit que ce n’était pas trop de ma faute parce que je n’ai pas fabriqué les reins. C’est le bon Dieu… Et j’ai vécu plus de 50 ans avant. Donc je me dis que tout organe est appelé à céder. Ils ont cédé, pas de problème, je m’adapte. Heureusement que la médecine sait gérer ça.» S’il affirme se sentir bien et faire son travail correctement lorsqu’il ne va pas se soigner, il désire pourtant rester anonyme afin d’éviter que tout le monde le regarde comme un dialysé. D’ailleurs, il reconnaît que dans sa famille, «certains ne savent même pas que je dois passer par des dialyses. Il n’y a que les proches et les intellectuels qui sont informés». D’autres malades comme Alioune Sarr s’astreignent à ce rendez-vous depuis neuf ans. L’investissement, temporel comme financier, est considérable.
Une maladie «onéreuse»
Dans la clinique Abc Hémodialyse, les rencontres s’égrainent et un problème revient en boucle : le coût d’une maladie telle que l’insuffisance rénale. Pourtant dans ce centre, les patients ne payent pas leur séance de dialyse. Alioune Badara Cissé, président des lieux, nous explique qu’un rendez-vous vaut 75 mille francs, mais qu’il prend «les imputations budgétaires». L’Etat s’est engagé à la gratuité de ces séances. Donc, il se charge du prix et rembourse à la clinique les 4/5e, soit 60 000 francs. «Dans les autres structures, tu payes cash», explique Alioune Sarr. Cette mesure est salutaire pour ces patients, seulement «si le traitement de l’hémodialyse en lui-même est subventionné par l’Etat, il y a encore le traitement de l’hypertension, de l’anémie, etc.», révèle le docteur Barry, néphrologue dans la clinique. En effet, la maladie rénale arrive rarement seule, le diabète, l’hypertension, l’anémie peuvent l’accompagner. Autant de pathologie qu’il faut surveiller ou traiter à travers des analyses, des médicaments, des poches de sang. Des soins très coûteux. «Il faut prendre des poches de sang qui ne sont pas gratuites. Curieusement, ici on nous vend la poche de sang à 7 000 F alors que normalement dans tous les hôpitaux c’est gratuit», avance notre patient anonyme. Il souligne qu’il y a les injections à faire qui peuvent coûter jusqu’à 80 mille F si on les achète à l’hôpital Le Dantec. Ali Badara Mbaye, autre malade qui est aussi le président de l’Amicale des insuffisants rénaux, déclare qu’il paye 70 mille F Cfa de soin par mois.
Greffe de l’espoir
La question du transport n’est pas aussi à négliger. «Dans la majorité des cas, les patients viennent de la banlieue de Dakar», déclare Dr Barry. Chose que confirme Mr X en train de se faire dialyser. Il dit payer en moyenne 15 mille F Cfa le déplacement pour une journée de dialyse. Trois fois par semaine, pour un traitement qu’on doit suivre à vie, on atteint vite des sommes avec de nombreux zéros. Pourtant malgré les frais, les patients choisissent de venir dans ce centre. «Pour aller dans les hôpitaux publics, il faut s’inscrire et attendre, il y a une liste ou on ne progresse que quand il y a un décès», justifie Mr X. La capacité d’accueil du centre est aujourd’hui de 120 malades par mois contre 58 en 2014. Armée d’une trentaine de personnes dont quatre médecins et de vingt-quatre machines de dialyse, la clinique Abc Hémodialyse est le leader sénégalais dans ce domaine. C’est aussi le plus ancien centre privé de Dakar. Alioune Badara Cissé explique cette position par son poste de président de la société de vente de matériel médical Diminter qui est elle-même une représentante de la société internationale Fresenius. Les machines et les techniciens de cette société sont utilisés pour les soins. «C’est la force de la clinique», dit-il.
De manière plus générale, Dr Barry porte un regard plutôt positif sur le traitement de la maladie rénale au Sénégal : «En matière d’hémodialyse, aujourd’hui, le Sénégal avec le ministère de la Santé a fait un très grand pas. Si vous comparez avec les pays de la sous-région, le Sénégal est en avance. Il y a une décentralisation qui est assez bien faite pour le traitement de l’hémodialyse», déclare-t-il, en ajoutant qu’ils arrivent à sauver et à maintenir en vie pas mal de patients. Selon le président de l’amicale, Mr Badara Mbaye, on compte environ deux décès par an à Abc. Malgré cette satisfaction, Dr Barry veut rester réaliste : «Même les pays les plus riches comme les Etats-Unis ou les pays occidentaux n’arrivent pas à tenir l’hémodialyse. Elle reste un traitement qui est excessivement cher. Il faut trouver une alternative : c’est la transplantation rénale.» Et l’Assemblée nationale a voté la loi qui autorise la greffe. C’est déjà une petite victoire.