Depuis son adoption à l’Assemblée nationale en mars 2014 et sa promulgation par le chef de l’Etat, la loi anti-tabac n’est suivie d’aucune application. Plus inquiétant, les tentatives de l’industrie du tabac pour entraîner dans la désuétude avant son application. C’est le cas à l’Assemblée nationale où le député Mame Mbayang Dione s’est vu couper l’herbe sous les pieds dans sa volonté d’inciter à une implémentation de cette loi au Sénégal. «J’ai eu à poser une question d’actualité notamment sur les résultats de l’enquête Gats (Global Adult tobacco survey: Ndlr) et pourquoi il n’y a pas eu une plus grande appropriation de cette enquête par les institutions.... Malheureusement, cette question a été invalidée par le groupe parlementaire majoritaire Benno Bokk Yaakaar à qui revient cette prérogative», révèle le député, membre de la Commission santé, populations, affaires sociales de cette institution.
Les résultats de cette enquête en question, publiés en 2015, indiquent qu’un demi-million d’hommes et de femmes adultes au Sénégal utilisent actuellement les produits du tabac, en particulier la cigarette. Et suivant les mises en garde de spécialistes selon qui, le tabac est le seul produit qui, utilisé comme le recommande le fabricant, tue la moitié de ses consommateurs, on estime à 250 mille le nombre de Sénégalais qui vont mourir de leur tabagisme s’ils n’arrêtent pas.
Dr Dione qui ne décolère pas après que «sa» question d’actualité a été vite étouffée par les députés de la mouvance présidentielle, déclare avoir en outre adressé une question écrite au gouvernement à travers le ministère de la Santé. «Mais voilà plus de trois mois, se désole-t-elle, je n’ai reçu aucune réponse».
Forte représentation de l’industrie du tabac au Sénégal
Son président Dr Abdoul Aziz Kassé de faire une autre révélation tout aussi éloquente sur le poids du lobby des sociétés de tabac sur les institutions de la République du Sénégal. Signalons qu’au Sénégal, le commerce du tabac génère des recettes estimées en 2014 à environ 32 milliards Fcfa.
«A la suite du premier comité technique ayant abouti à la décision de regrouper les six décrets d’application en un seul grand décret, le document a été renvoyé au bureau des législations du ministère de la Santé qui a repris le travail, cette fois-ci, en intégrant l’intégralité des décrets d’application. Le gouvernement nous (la société civile: Ndlr) a re-convoqué en comité technique au niveau du secrétariat général du gouvernement et au niveau de la primature. Mais, j’étais très surpris ce jour-là de trouver dans la salle cinq membres représentant l’industrie du tabac au Sénégal. Celle-ci était mieux représentée que le ministère de la Santé et la société civile», fulmine Dr Kassé. Selon lui, les sociétés de tabac sont prêtes à tout pour sauvegarder leurs intérêts au Sénégal malgré l’existence de cette loi. Très remonté contre cette vision, l’activiste soutient qu’il aurait aimé protester contre cette forme d’ingérence de l’industrie du tabac, mais que s’il l’avait fait, le processus se serait poursuivi sans la société civile, car, reconnaît-il, le gouvernement n’est pas obligé d’inviter la société civile à un comité technique ministériel. «On était en violation flagrante de l’article 5.3 de la loi qui interdit formellement toute ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques nationales de santé».
Dr Mbayang Dione et Dr Abdoul Aziz Kassé promettent tous les deux au niveau de leurs instances respectives de continuer le combat pour une bonne connaissance de cette loi par les populations. Un combat qui devrait également pousser le gouvernement à hâter le processus devant aboutir à la signature par le président Sall des décrets d’application.