Le ‘’reniement’’ du président de la République Macky Sall sur la question de la réduction du mandat présidentiel en cours risque de lui être fatal. Selon l’enseignant-chercheur en Sciences politiques, Ibrahima Sylla, le président de l’Alliance pour la République (Apr) encourt une sanction électorale qui le mènera vers un gouvernement de cohabitation. Dans cet entretien avec EnQuête, le Dr en Sciences politiques dissèque la situation actuelle du pays qui n’est pas, selon lui, très favorable au chef de l’Etat qui a réussi la prouesse de rassembler et de revigorer l’opposition.
Comment analysez-vous la situation actuelle du pays ?
Le premier constat, c’est que cela peut paraître très étonnant que pour une question aussi cruciale qui aurait dû recueillir l’assentiment de tous les Sénégalais, l’on se retrouve dans deux camps opposés. Dans l’histoire du Sénégal, souvent il y a des moments de consensus où les gens s’accordent sur le nécessaire. C’est ce qu’il faut faire pour que tout le monde chemine ensemble pour consolider la démocratie. La réforme des institutions ou la révision constitutionnelle sont des sujets qui doivent faire l’objet d’un consensus au terme d’un dialogue constructif. Pour la première fois au Sénégal, on voit autant de disparités, de dissensions, de conflits et d’opposition par rapport à quelque chose qui aurait dû rassembler toute la classe politique et tous les Sénégalais.
Cela veut dire que quelque part, il y a quelque chose qui ne va pas, à tel point que, même certaines personnalités qu’on pensait proches de l’Etat comme l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, Cheikh Tidiane Gadio et beaucoup d’autres personnes prennent le contre-pied par rapport à ces sujets qui auraient dû constituer un consensus. On a choisi aujourd’hui une mauvaise voie avec un mauvais texte qui est incomplet. Certains considèrent qu’on n’y a pas mis l’essence même de la réforme. Cela touche par exemple la question du cumul des mandats. Quelque part, on a le sentiment qu’il y a eu une démarche solitaire du président de la République et de son staff qui ont voulu imposer 15 points aux Sénégalais.
Le président de la République appelle au dialogue et à la concertation. Pensez-vous que cela puisse aboutir ?
Je pense que le temps de la concertation est derrière nous. Aujourd’hui tout le monde parle de consensus et cela pose problème. Je dis qu’il y a eu trois ou quatre moments de consensus qui auraient pu nous épargner aujourd’hui le dialogue. Premier moment, les Assises nationales. Certains diront qu’elles ont réuni seulement quelques personnes et qu’on ne peut pas en tenir compte. Mais c’étaient des moments importants où les gens sont allés au fin fond du Sénégal et c’était dans un élan populaire où toutes les couches de la société étaient représentées à travers ces Assises nationales. Cela a donné lieu à un consensus qui a été introduit dans un texte qu’on a appelé la Charte nationale de gouvernance démocratique.
Deuxième temps fort du consensus, certains ayant dit que les Assises nationales ne comptent pas, le chef de l’Etat lui-même a initié la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) dirigée par Amadou Makhtar Mbow. Là aussi, c’était un moment de consensus où les spécialistes ont fait le tour du Sénégal pour recueillir les points qui méritaient d’être réformés.
Troisième consensus, tous les spécialistes reconnaissent aujourd’hui la nécessité de consolider la démocratie en adoptant ces différentes réformes, révisions et modifications. Donc il y a une triple légitimité à travers ces réformes et un triple consensus. D’abord un consensus intellectuel et scientifique, puis un consensus populaire et enfin un consensus institutionnel de la part du président de la République qui a initié ces réformes.
On lui propose à la fin un avant-projet de Constitution, on lui propose pratiquement 100 points si on les répertorie, il laisse cela de côté, il s’enferme dans son bureau, il ne sort que 15 points. Cela pose problème. A partir de cet instant, quelle est la pertinence, quatre ans plus tard, après avoir dit : moi je choisis ce qui m’intéresse personnellement, de tenir ce référendum. Quelle crédibilité donner aujourd’hui à cette option solitaire du pouvoir ? Et c’est cela qui a conduit aujourd’hui à des conflits d’interprétation, de cheminement, à une mésentente nationale sur quelque chose de nécessaire. Aujourd’hui, le pouvoir a réussi la prouesse de réconcilier les partis de l’opposition et la société civile.
Le référendum sans la réduction du mandat présidentiel en cours, a-t-il un sens ?
Cela n’a pratiquement aucun sens. Aujourd’hui les gens parlent d’un nouvel esprit démocratique et ce n’est pas un emprunt par rapport à l’Occident. On considère désormais que quatre ou cinq ans suffisent pour présider un pays. Certains disent que c’est insuffisant mais c’est insuffisant pour quelqu’un qui arrive au pouvoir, qui n’a aucun programme, aucune vision, aucune ambition. Celui-là, un mandat de 10 ans est même insuffisant pour lui. Mais quelqu’un qui observe la société, qui analyse pendant qu’il est dans l’opposition, qui a un programme viable, quand il arrive, deux ans sont suffisants pour mettre en place sa politique. Le drame dans nos pays, c’est que les gens aspirent au pouvoir sans avoir un seul programme. Ils se lèvent avec des slogans, ensuite ils vont acheter un programme. C’est le cas du Programme Sénégal émergent (Pse).
On va acheter un programme qu’on essaye de plaquer par rapport à nos réalités. Finalement on se rend compte qu’on perd trois ans ou quatre ans à voir par quel bout prendre la République. On perd beaucoup de temps et cela montre l’absence de crédibilité, d’efficacité. Cette éthique de la promesse nécessaire en politique qui n’est pas respectée, qui nous mène finalement à une mauvaise voie, est l’expression d’une mauvaise foi politique. On nous parle aujourd’hui du Conseil constitutionnel mais ils oublient que la souveraineté appartient au peuple. Au-dessus du président de la République, du Conseil constitutionnel, au-dessus de toutes les communautés, il y a la volonté du peuple et ça, le président semble l’oublier.
Je fais confiance à la maturité du peuple sénégalais plus qu’à la sagesse des juges. Dans certains pays, quand les peuples ne sont pas sages, on voit ce que ça donne, ils vont jusqu’à prendre des palais en otage, détruire des Assemblées nationales. Ils oublient souvent les hommes politiques, que la légitimité ne s’arrête pas aux urnes. Il y a ce qu’on appelle en Sciences politiques la légitimité-réflexivité. Il faut revenir au peuple pour demander son avis. Mais on veut nous enfermer dans un juridisme, dans des théories, l’article 51 ou l’article 103, encore même qu’il y a une question de mauvaise foi. Le chapitre de la révision est le seul chapitre où, à l’article 103, on parle de la révision. Si on voulait changer et qu’on était de bonne foi, on passerait par l’article 103, on n’a même pas besoin de consulter le Conseil constitutionnel.
Est-ce que cette attitude du président ne risque pas de se retourner contre lui ?
Bien sûr que oui ! Maintenant il y a des conséquences et il faut avoir une lecture politique par rapport à cela. Il y a plusieurs cas de figures qui risquent de se produire. Premier cas de figure : l’élection est repoussée, il ne faut pas l’exclure. Le président, sentant que la sanction va tomber, recule finalement et diffère la date. Ce qui risque de poser problème parce que les gens vont dire : voilà ce qu’on disait. Il n’y a que lui qui maîtrise le calendrier électoral et en démocratie, le calendrier électoral ne peut pas reposer, même si c’est un référendum, sur les épaules d’un seul et même homme.
Deuxième constat de ce qui peut arriver : on va aux élections, le NON l’emporte sur le OUI, ce serait l’hécatombe. Le NON, ce n’est pas seulement par rapport au référendum, c’est par rapport à sa manière de conduire la République en tant que chef d’Etat. C’est comme cela qu’il faut l’interpréter. Je mettrai dans le NON ceux qui vont boycotter et ceux qui s’abstiendront. Il y a beaucoup de gens qui disent qu’on n’attache plus aucune crédibilité à la bonne foi de ces hommes politiques parce qu’ils nous ont encore menti, donc on ne va pas voter. Il y en a qui sont totalement dépités et qui ne vont pas voter. Si le NON l’emporte, le président de la République devrait en tirer toutes les conséquences politiques en disant : ‘’Mon peuple m’a désavoué, a montré un signe de défiance politique, j’en tire toutes les conséquences, je poursuis.’’ Les gens vont l’attendre aux législatives. Maintenant si le OUI passe, c’est tout bénéfique pour lui mais le Sénégal aura raté une occasion formidable de faire les vraies réformes dont il a besoin.
Selon vous donc, il y a de fortes chances que le NON l’emporte sur le OUI ?
A la vitesse dont les choses évoluent, il y a des risques. Je ne peux pas faire de la prédiction, mais sachez que tout est possible. On est dans un peuple volatile et versatile électoralement. Les gens sont capables de dire OUI comme ils peuvent dire NON.
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Comme disait David Diop, le Sénégal est un peuple qui se tait quand il doit crier et qui crie quand il doit se taire. Les Sénégalais peuvent dire NON là où ils doivent dire OUI et dire OUI là où ils doivent dire NON.
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Moi je fais partie de ceux qui pensent que le peuple dira NON, je suis partisan du NON, ce sera tout bénéfique pour le peuple. Je préfère que le peuple dise NON pour qu’on reprenne le travail depuis le début et qu’on arrête de passer par le Conseil constitutionnel, qu’on arrête de tergiverser et qu’on fasse des réformes qui prennent en compte les préoccupations du peuple. Quand on a envie de bien faire, la volonté du peuple est au-dessus de tout, quand on pense que quelque chose est utile pour son pays, on ne doit pas différer l’utilité.
On ne peut pas dire que c’est utile de faire cinq ans mais je m’applique sept ans parce qu’on m’a donné sept ans. Non. Il faut commencer par montrer que c’est tellement utile pour notre démocratie que moi je me l’applique. La mauvaise question que le président a posée au Conseil constitutionnel, c’est de dire : est-ce que l’article 51 me permet ? Il n’aurait même pas du prononcer l’article 51. La question qu’il aurait dû poser au Conseil constitutionnel c’est tout simplement comment faire pour respecter ma parole, par quelle voie devrais-je passer pour respecter cette éthique de la parole donnée. Dans ce cas, les gens allaient lui conseiller l’article 103 ou d’autres voies. Mais comme on dit en politique, les promesses ne tiennent que pour ceux qui y croient. Le Sénégal, encore, n’a pas les dirigeants qu’il mérite.
Comment analysez-vous l’attitude de l’opposition et de la société civile ?
C’est de bonne guerre. Ce sont les occasions qui font le larron. L’opposition qui a été quelque part en perte de vitesse, aujourd’hui, elle se renforce et c’est tout bénéfique pour elle. Le fait de se dédire et d’être dans ce postulat, regardez ce qui se passe aujourd’hui avec le Front du NON ; des gens qui n’avaient rien à faire ensemble se retrouvent autour du NON. Il y a des affinités qui vont se créer, il y a une dynamique et aujourd’hui le Sénégal électoral se réveille.
Ces gens-là qui, peut-être, n’auraient jamais pu s’entendre parce que certains avaient des ambitions personnelles et leur propre calendrier, aujourd’hui on leur a facilité les choses en les regroupant. Aujourd’hui il y a une véritable bataille autour de la communication à faire passer autour du NON. Les Sénégalais ne sont pas dans les subtilités du Droit. Ce qu’ils vont retenir, c’est tout simplement : le Président Sall avait promis de réduire son mandat de 7 à 5 ans et au final il n’a pas respecté sa promesse. Cela risque de lui être fatal, de le mener vers un gouvernement de cohabitation, de la sanction électorale, le désaveu, le désamour avec le peuple qui va dire que cet homme est comme les autres, il est dans des réformettes qui ne consolident en rien notre démocratie.