Hier, quatre nouveaux témoins ont été entendus par la Cour d’appel, dans le cadre du procès d’Aïda Ndiongue. Mais, c’est Abdou Aziz Diop, ancien coordonnateur du Plan Jaxaay, qui a fait sensation, en révélant un secret d’Etat.
Alors que les avocats s’attendaient à plaider hier, dès la reprise du procès d’Aïda Ndiongue, le substitut général Madiaw Diaw a émis le souhait d’entendre cinq nouveaux témoins. Il s’agit de David Hubert Thioure et Birame Sène, respectivement comptable matière et président de la cellule de passation des marchés au Plan Jaxaay. Mais également deux gendarmes qui, lors de l’enquête préliminaire, ont effectué un transport au niveau des hangars d’Aïda Ndiongue, l’adjudant Ismaïla Diédhiou, l’adjudant-chef Malick Ngom. Le dernier témoin cité, Khadidiatou Sy Diop n’a finalement pas comparu.
Toutefois, il n’y a pas que ces témoins qui ont été auditionnés. Les prévenus Amadou Ndiaye et Abdoul Aziz Diop ont été à nouveau entendus pour être confrontés avec le témoin Hubert Thioure, comptable matière de l’ex-Plan Jaxaay. Au cours de cette confrontation, l’ancien coordonnateur dudit plan a fait une révélation de taille. Notamment, lorsqu’Hubert Thioure et Amadou Ndiaye ont commencé à se renvoyer la balle concernant une partie du matériel, notamment les tentes et bacs à ordures commandés par l’Etat. Le témoin a affirmé n’avoir réceptionné que les motopompes.
Pour le reste, il a laissé entendre que l’ex-comptable pouvait renseigner la Cour. ‘’Vous êtes le noyau central, on veut savoir qui a pris possession du matériel’’, a lancé le président Ousmane Chimère Diouf au témoin. Puis, le juge a invité Abdoul Aziz Diop à rejoindre la barre. ‘’Hubert sait bel et bien où est parti le matériel. En tout cas, les 2000 tentes ont été réceptionnées par les sapeurs-pompiers et d’autres autorités. Pour le reste, si nous étions en audience de huis clos, je vous aurais dit à qui elles ont été destinées, car je ne veux pas révéler de secret d’État.’’
Après cette déclaration du responsable libéral, la défense a pris d’assaut la barre. Ce qu’ils se sont dit est méconnu du public. Mais toujours est-il que dans le souci d’être édifié sur la destination du matériel, le juge a fait savoir à Aziz Diop qu’il s’agit d’une audience publique. Donc, l’ancien coordonnateur du plan Jaxaay a révélé qu’une partie des tentes est allée à des ex-rebelles que l’Etat avait logés à Jaxaay. ‘’2000 tentes ont été remises aux rebelles. L’Etat logeait au plan Jaxaay ceux qui acceptaient de déposer les armes. La réception a eu lieu en présence de l’actuel ministre de la Fonction publique qui était l’ancien préfet de Dakar’’, a révélé l’ancien coordonnateur de Jaxaay. Avant de poursuivre : ‘’On nous avait demandé de ne pas en parler, pour éviter d’apeurer les populations. Si elles apprenaient qu’elles logeaient avec d’ex-rebelles, cela aurait créé des problèmes.’’
Devant l’ampleur de cette révélation qui a jeté un coup de froid dans la salle, le président a tenté de rectifier le tir, en demandant à Abdoul Aziz Diop pourquoi il n’a pas fait cette déclaration devant le magistrat instructeur. Afin d’éviter de révéler des secrets d’Etat, surtout quand il s’agit d’une question de sécurité. Mais le coup était déjà parti. A la suite d’Hubert Thioure, l’adjudant Ismaïla Diédhiou et l’adjudant-chef Malick Ngom ont été entendus. A l’image du comptable matière, les deux gendarmes ont confié la difficulté qu’ils avaient de compter le matériel. Ils ont ajouté que les spécificités techniques sur les motopompes trouvées dans l’entrepôt ne correspondaient pas à la commande. Car, selon l’adjudant Diatta, sur place, il n’y avait que des motopompes d’une capacité de 150 m3 or la commande portait sur 500 m3. ‘’J’ai lu sur la notice 150 MM et jusqu’à notre départ, on ne nous a pas montré des motopompes d’une quantité supérieure’’, a soutenu le gendarme. Pour la défense, les gendarmes ont confondu la capacité au modèle. Selon leurs explications, le chiffre 150 MM est le modèle et la capacité est de 520 m3.
La défense s’oppose sans succès à l’audition de nouveaux témoins
Plus tôt, lorsque le substitut général Madiaw Diaw a demandé la comparution de ces témoins, il s’est heurté au veto des avocats de la défense qui ont fait remarquer qu’il s’agirait d’une violation de la loi, étant donné que les débats d’audience ont été clos le 4 février passé. Me Demba Ciré Bathily a ouvert les hostilités en martelant : ‘’La défense entend s’opposer à l’audition de nouveaux témoins. Nous estimons qu’il y a des préalables à respecter, car ils doivent être présentés à l’ouverture des débats. Or, ils ont pu prendre connaissance des débats et y ont peut-être assisté.’’ Son confrère Me Borso Pouye a abondé dans le même, arguant que les témoins ont eu connaissance des débats à travers les médias. ‘’Les témoins doivent être isolés, lors des débats, pour éviter d’être influencés, or avec la presse qui a tout relayé, personne n’ignore ce qui a été dit’’, a soutenu l’avocate.
Dans sa réplique, le substitut général Madiaw Diaw a fait savoir qu’il n’y avait aucune violation, car les débats n’étaient pas encore clos. ‘’L’audience n’a été que suspendue. Les débats n’ont jamais été clos. Même si vous aviez fixé un délibéré, on peut demander qu’il soit rabattu pour auditionner un témoin’’, a argué le parquetier. Il a ajouté que son souci, c’est d’avoir un débat contradictoire, c’est pourquoi des témoins à charge comme à décharge ont été cités. Les avocats de l’Etat ont, eux, soutenu que rien ne s’oppose à l’audition de nouveaux témoins. Mais les avocats des prévenus sont revenus à la charge. ‘’La défense n’a rien à craindre des auditions. C’est une question de principe que nous posons’’, a martelé Me Abdou Gningue.
Après délibéré, la Cour a donc tranché en faveur du parquet général, en l’autorisant à entendre les témoins. ‘’Ce qui est interdit, c’est d’entendre un témoin quand l’affaire est mise en délibéré’’, a motivé le président Chimère Diouf, avant d’inviter les conseils des prévenus à lui apporter la preuve selon laquelle, les témoins ont suivi la presse.