Mballo Dia Thiam, secrétaire général du Sutsas (Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale), évoque ici les questions liées à leur plateforme revendicative, la médiation proposée par des parlementaires qui, selon lui, n’a jusqu’ici rien donné. Le syndicaliste qui déplore cette situation révèle des ponctions sur les heures supplémentaires. Selon le secrétaire général du Sutsas, l’Etat a procédé ce mois-ci à des ponctions et ordres de recette sur les salaires des travailleurs au point que certains de ses camarades se sont retrouvés avec des salaires de 70 mille francs. Il soutient avoir informé le directeur de la Santé qui aurait parlé de machine en difficulté. En tout état de cause, le syndicaliste annonce une réunion la semaine prochaine pour apprécier la situation afin de prendre les mesures qui s’imposent. Mballo Dia Thiam s’est aussi prononcé sur l’appel de ses collègues syndicalistes, notamment celui du Sames. Pour lui, ce sera le comité exécutif national de son organisation qui va en décider.
Vous avez déroulé quatre plans d’action et vous avez décidé de surseoir au 5ème plan d’action à la suite d’une médiation parlementaire qui n’a pas visiblement encore porté ses fruits. Quelle est l’attitude à adopter pour la suite dans le cadre de votre bras de fer avec l’Etat ?
Quand on déclinait ces quatre plans d’action, c’était pour satisfaire à des points de revendication spécifiques contenus dans une plateforme minimale. Il y avait, entre autres, le statut du personnel des établissements publics de santé, la question de la loi d’orientation sociale en ce qui concerne la carte d’égalité des chances. Un point qui concerne les heures supplémentaires, le recrutement des contractuels et du personnel communautaire, le statut des directeurs d’hôpitaux et des présidents de conseil d’administration. Donc, c’était sur une plateforme minimale parce que le gouvernement, en signant avec nous les accords en 2014, avait dit qu’il ne se prononcerait pas sur les questions à incidence financière parce qu’il est en train de commanditer une étude pour nous proposer à la fin de cette étude un système de rémunération plus équitable et plus attractif, parce que le régime qui l’a précédé a déréglé le régime indemnitaire. Cela signifie qu’on n’a jamais eu de négociations avec le gouvernement actuel sur les questions à incidence financière qui tournent autour de l’augmentation de l’indemnité de risques, l’octroi de l’indemnité de logement, l’octroi de l’indemnité de responsabilité, le rallongement de l’âge de la retraite à 65 ans, couplé d’un recrutement massif dans la Fonction publique, entre autres.
Où est-ce que vous en êtes avec la plateforme minimale ?
Sur ces questions, quand on a commencé à dérouler nos plans d’action, le Parlement est intervenu avec des médiateurs comme Assane Diop, ministre-conseiller et membre du Haut conseil pour le dialogue social, accompagné de Imam Mbaye Niang, chef de file de la médiation, Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar, le député Cheikh Seck, Cathy Cissé et Omar Sarr. Ils nous avaient dit : «Votre lutte est juste, votre plateforme est pertinente, mais nous vous demandons de surseoir à votre 5ème plan d’action. Nous allons rencontrer les hautes autorités de ce pays pour trouver une solution.» Evidemment, cela a été fait parce que les médiateurs ont pu rencontrer le Président Macky Sall, d’après leurs déclarations. Ils ont pu rencontrer le ministre de la Santé, Awa Marie Coll Seck, celui de la Fonction publique, Viviane Bampassy. Au finish, nous avons rencontré le Premier ministre qui nous a promis la signature du décret portant création du statut du personnel. Cela n’a pas été fait.
Donc, malgré la médiation sur la plateforme minimale, il n’y a pas eu de satisfaction pour le moment ?
Il n’y a pas eu de satisfaction. La question du statut du personnel est restée entière malgré les assurances du Premier ministre. Le président de la République ne nous a pas encore reçus. Le ministre de la Santé Awa Marie Coll Seck nous avait rassurés disant que la question du statut est la priorité du Président Macky Sall et qu’il allait signer le document. Pour ce qui concerne les heures supplémentaires, nous nous rendons compte que non seulement le décret n’a pas été modifié, mais le gouvernement a procédé à un charcutage de nos heures supplémentaires.
Des informations nous sont parvenues et font état d’un plafonnage de crédits horaires maximums d’heures supplémentaires à 50 mille francs pour les hôpitaux et 25 mille pour les districts. Voulez-vous parler de ça ?
Je n’ai pas eu cette information, mais dans nos structures, nous avons des agents qui émargent avec le statut général des fonctionnaires et d’autres qui émargent avec le Code du travail. Ce n’est pas la même chose. Pour ce qui est du Code du travail, on n’a pas besoin d’enveloppe. Le code dit clairement qu’à partir de la 40ème heure, toute heure effectuée doit être payée. C’est différent des fonctionnaires qui se contentent d’une enveloppe, d’un forfait que les gens se partagent mensuellement ou annuellement. De ce point de vue, nous avions demandé la modification du décret parce que le taux horaire est très faible. Il remonte aux années 90. Donc ça ne peut plus payer un sandwich. Cela pose problème. Le gouvernement avait proposé la modification du décret et même à son temps, les plénipotentiaires du gouvernement avaient dit que ce décret pouvait être modifié en moins de trois jours parce qu’il n’avait pas besoin d’être circularisé. Si le ministre des Finances donne son accord de principe, le Premier ministre et le président de la République peuvent signer.
Explique-nous alors le charcutage que l’Etat est en train d’opérer avec les heures supplémentaires…
Ce qu’on a constaté c’est que non seulement les heures supplémentaires ont été versées avec du retard, mais plus grave, il y a eu des ponctions. Et même quelque part, il y a eu des coupes sombres. Nous avons appris que le logiciel du centre Peytavin s’est emballé et qu’il aurait procédé à des ordres de recette. Donc pour quelqu’un qui attendait ses heures supplémentaires, non seulement on lui coupe son dû, mais aussi une partie du salaire. Et cela pose problème. Maintenant qu’est-ce qu’on nous dit, on nous demande de faire la réclamation. Je pense qu’on aurait dû se passer de tout cela.
A combien estimez-vous les ponctions et les coupes qui ont été effectuées sur vos salaires ?
Nous ne pouvons pas les estimer.
Donnez-nous un montant ponctionné sur un salaire d’un de vos militants…
Il y a déjà deux de nos camarades qui nous ont dit qu’il y a une coupe de 70 mille francs Cfa. J’ai fait parvenir ces informations au directeur de la Santé. J’ai interpellé Bayal Niang qui m’a lui-même dit qu’il y avait des difficultés avec la machine. Maintenant, nous saurons tout à la fin du mois. Nous aurions préféré qu’on nous informe en amont. Il y a une autre difficulté, c’est que les bulletins de salaire ne sont pas disponibles à la fin du mois. C’est généralement vers le 10 du mois que les gens voient leurs bulletins de salaire, mais au moins à la fin du mois ils se rendent compte qu’un tiers ou la moitié du salaire a disparu. Quand on perçoit 70 mille francs, c’est extrêmement grave. Maintenant, si chacun doit voir son bulletin avant de faire la réclamation, vous voyez que cela ne peut pas se faire dans les délais parce que généralement au-delà du 5, l’Etat boucle les comptes et ce sera pour le mois prochain.
Une autre question par rapport toujours à ce point, nous avons dit au gouvernement : «Si vous ne modifiez pas ce décret, nous ne serons pas en mesure de consommer l’enveloppe qui nous a été attribuée.» De ce point de vue, nous avons même menacé de boycotter les gardes et les permanences. Cette mesure peut bien être remise au goût du jour et c’est en ce moment que le ministre du Budget, Birima Mangara, avait promis d’inscrire 1 milliard dans la Loi rectificative des finances et le ministre de la Santé 550 millions de francs Cfa. Ce qui ferait 1 milliard 550 millions de francs Cfa pour compenser les défauts de modification du décret.
La Loi des finances a été votée et ce qui nous a surpris, c’est que cette proposition a été réitérée lors de notre rencontre avec le ministre du Budget. A ce jour, on se rend compte que l’argent n’est toujours pas disponible. Nous avons interpellé le ministre de la Santé ces derniers jours, elle nous a dit qu’il y a des correspondances qui sont en train d’être échangées entre le ministère de la Santé et celui des Finances pour essayer de régler cette question. Mais dans tous les cas, le milliard 550 millions n’est pas encore disponible. Or, c’est avec cet argent qu’on devrait doter les structures qui n’avaient pas d’heures supplémentaires en 2015, à savoir les centres régionaux d’action sociale, et ensuite cela permettrait de compenser les structures qui étaient déséquilibrées et de ramener à la normale celles qui en avaient plus. Aujourd’hui de guerre lasse, on attend. On n’a pas compris, la loi a été votée, on attend.
Cette situation ne va-t-elle pas remettre en cause la suspension de votre mot d’ordre de grève ?
Oui. Nous avons promis de nous réunir le 18 février dernier. Nous n’avons pas pu le faire pour des raisons de deuil. Mais la semaine prochaine, nous allons nous réunir pour apprécier tout cela, car nous sommes un syndicat de combat. Donc, nous pouvons donner du temps, mais quand on donne assez de temps au temps aussi nous pouvons nous tourner vers la lutte.
Cela arrive dans un contexte où des syndicats du secteur de la santé ont déposé un préavis de grève et vous ont appelés à la lutte. Allez-vous répondre à cet appel ?
Nous sommes preneurs de toute unité d’actions parce que je rappelle qu’en 2007, lors de notre dernier congrès, nous avions pris la résolution d’aller en unité d’actions avec les organisations syndicales que vous venez de citer. Le Syndicat unique et démocratique des travailleurs de la santé (Sudts), le Syndicat national des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Snts/As) et d’autres, chacun de ces secrétaires généraux avait défilé au niveau de notre présidium pour déclarer que l’heure était à l’unité d’actions. Ce qui nous avait permis de mettre sur pied la Fédération des syndicats de la santé. Quelque temps après, le gouvernement n’ayant pas supporté ce regroupement a manœuvré au point que la fédération a éclaté. Donc, les uns sont partis. Le Sas est resté et nous avons créé la Convergence Sustas/Sas.
Nous n’avons pas baissé les bras. Nous avons continué le combat et cela nous avait permis de grappiller beaucoup de points et de faire appliquer beaucoup d’accords. Maintenant si on doit revenir, le principe est là, mais le secrétariat permanent n’est pas l’instance habilitée à prendre ce genre de mot d’ordre. Il nous faut aller au Comité exécutif et nous allons convoquer le Comité exécutif national qui va apprécier parce que ce n’est pas seulement le fait d’aller ensemble. Si nous devons aller, c’est pour une finalité qui est l’application de l’accord. Ce n’est pas un problème d’état-major. Il s’agit d’un problème de travailleurs qui se sont pratiqués dans les luttes et qui, quelque part, ont des plaies qui ne sont pas refermées totalement. Cela pose un problème. Il faut une rencontre pour éclairer les camarades et savoir sur quoi nous allons nous battre et comment nous allons nous battre.
Vous parlez de cicatrices et de plaies. Cela revient-il à dire que la façon dont les autres syndicats s’étaient retirés de la fédération ne vous a pas plu ?
Oui. Quelque part, il y avait des difficultés. Dans la fédération, nous avions quelques lignes sur lesquelles nous nous étions accordés. Il y avait un pacte de non-agression. La présidence était tournante et ensuite, nous devions nous battre autour d’une plateforme revendicative. Si après avoir déposé un préavis de grève, le secrétaire général d’une organisation prend un billet d’avion et va à l’étranger et nous retrouve après la lutte, vous voyez que cela pose un problème.
Et qui est ce secrétaire général ?
Il se reconnaîtra. Il faut que nous réglons cela, car beaucoup de nos camarades n’ont pas apprécié cette attitude. Nous sommes pour la lutte.
Il y a aussi le Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) qui vous lance un appel pour organiser une journée sans santé. Etes-vous partant ?
C’est leur slogan. Je respecte leur point de vue. Une journée sans santé ? Nous ne sommes pas pour une journée sans santé. Nous sommes pour la lutte, pour des grèves humanisées. Nous n’avons jamais fait de grève sans service minimum et sans urgence. Le service minimum et les urgences devraient être de mise.
Le Sames vous a approché ?
Nous avons eu quelques rencontres au plan informel. Les secrétaires généraux des syndicats de la santé ont eu une rencontre informelle dans une perspective d’aller ensemble. Nous avons une expérience avec les regroupements de syndicats. Nous devons en tirer les leçons avant de connaître d’autres mauvaises expériences. Jusqu’à présent, nous n’avons fait qu’échanger, mais aucune décision n’a été prise pour nos états-majors pour définir les conditions de cette lutte. En tout état de cause, nous sommes preneurs d’une lutte qui prendrait en charge le système de rémunération de manière plus globale parce que c’est le gouvernement qui avait promis un système de rémunération plus attractif et plus équitable et nous voudrions qu’on en arrive à ce point.
Cette lutte ne concerne pas seulement les syndicats du secteur de la santé, mais tous les fonctionnaires. D’autant plus que le ministère des Finances nous menace tous les jours. On l’entend souvent dire qu’il a besoin de réduire les dépenses. A lire dans ses déclarations, c’est comme si les dépenses publiques ne devraient concerner que le chapitre personnel. Or, il y a d’autres niches qu’il faut explorer pour avoir beaucoup plus de ressources.
Comme ?
Il y a des salaires qu’on distribue dans d’autres secteurs ou d’autres investissements dans d’autres domaines. Mais ils doivent épargner les salaires des travailleurs. On menace de nous retirer les heures supplémentaires. La motivation tarde à être payée. Le gouvernement doit comprendre qu’un pays ne doit pas se développer sans ses fonctionnaires.
Vous ne trouvez pas bizarre le fait que vous, les syndicalistes du secteur de la santé, revendiquez presque les mêmes points et que vous n’arrivez pas à unir vos forces pour faire face à l’Etat ?
Je vous ai dit tout à l’heure qu’en 2007, on a essayé de se réunir en créant la fédération. On a fait deux à trois pas et les autres sont partis.
Peut-être que c’est à cause de cela que le gouvernement traîne en longueur dans l’application des accords ?
C’est clair, mais nous avons aussi notre part de responsabilité parce que quelque part, des gens ont accepté de se faire divertir. Au finish, ce sont les travailleurs qui ressentent le plus le désespoir et le gouvernement qui croit pouvoir gagner, car il ne fait que différer le combat et personne n’y gagne.
Maintenant, quelle sera l’attitude à adopter surtout après les coupes et les ponctions ?
Nous avons un préavis de grève qui court jusqu’à fin avril. Cela signifie que nous pouvons à tout moment aller en grève.