Dimbaya, Touba Tranquille, Katack…voilà des localités, département de Bignona, transfrontalières de la Gambie. Ici Sénégalais et Gambiens cohabitent. Mais le pays de Yaya Jammeh semble dominer ce bon voisinage. L’anglais y est parlé couramment. Les établissements scolaires et sanitaires des gambiens sont fréquentés par des Sénégalais au profit des abris provisoires installés par les autorités étatiques sénégalaises. Reportage.
Il est 14 heures. Nous sommes à Dimbaya. Un village situé en basse-Casamance, dans le département de Bignona et la région de Ziguinchor. La délégation du ministère de l’Education nationale, conduite par Serigne Mbaye Thiam, est accueillie par les autorités de ladite localité. C’est une première qu’un ministre sénégalais pose ses pieds dans cette zone réputée dangereuse du fait de l’implantation des camps de rebelles, nous dit-on. Certaines indiscrétions nous signalent que le campement des rebelles est à quelques encablures. Tout porte à le croire si l’on observe bien. Les militaires sont armés jusqu’aux dents. Ils sont visiblement en état d’alerte. Tenues bien serrées, gilet par balle collé à la peau, fusil à la main. Les militaires ne badinent pas avec la sécurité des populations. Ils sont prêts à faire face à toute menace.
Certains membres de la délégation affichent une peur bleue, même si les activités continuent, pendant que d’autres soulignent leur étonnement face à des habitants des villages restés zen en dépit de la présence militaire. Ils sont tellement habitués à ces scènes qu’elles sont devenues, à leurs yeux, banales. Toujours est-il que l’état d’alerte est au maximum d’autant plus que les militaires ont encerclé toute la zone. On peut les apercevoir à cent mètres dans cette brousse dense. «Un camp des rebelles n’est pas loin d’ici», nous souffle-t-on. Un spectacle inhabituel pour les membres de la délégation venus du lointain Dakar. Certains d’entre eux se sont même permis d’immortaliser ces instants grâce à leur téléphone portable. Pour des questions de sécurité, les prises de vues sont interdites dans certains endroits. C’est le cas du camp militaire. Votre serviteur l’a appris à ses dépens. La discrétion est de rigueur. Pour des raisons de sécurité, les journalistes doivent se contenter de la cérémonie officielle à Touba tranquille et à Dimbaya. Nous sommes dans les dernières localités du Sénégal. A 500 mètres de la Gambie. Nous apercevons les boutiques et autres habitations gambiennes. Gambiens et Sénégalais cohabitent. Mais ce voisinage semble plutôt se pencher du côté de la Gambie que du Sénégal.
Jammeh Prophète au Sénégal
Les habitants de ces localités sont plutôt «gambiens» que Sénégalais. Un enseignant nous raconte une anecdote pour confirmer cette thèse. L’enseignant dit poser à ces élèves la question suivante : Qui est le président de la République du Sénégal? L’élève lui répond sans ambages, Yaya Jammeh. Une dame venue suivre la visite nous interpelle : Monsieur, où est le ministre ? Décidément, elle ne connait pas son ministre de l’Education nationale. Des exemples de ce genre, il y en a à profusion.
FCFA OUT, DALASSI IN.
Au-delà de ce qu’ils ont en commun avec les autres villages à l’intérieur du pays, notamment un enclavement notoire, l’absence de route ou de pistes, de l’eau potable, ils ont la particularité de subir, c’est selon, l’envahissement des habitudes gambiennes. Ils sont « Sénégalais ». C’est un secret de polichinelle. Mais leur mode de consommation est étiqueté « made Gambia ». Les produits de consommation courante, notamment les boissons, tabac, les produits alimentaires, sucre, thé, huile sont utilisés par la majeure partie des villageois, pour ne pas tous. Les prix de ces denrées coûtent moins chers en Gambie. Voilà deux localités sénégalaises où le dalassi est la monnaie d’échange. Le dalassi s’impose dans le marché et les foyers. La monnaie FCfa n’est pas maîtrisée. « Nos élèves ne connaissent pas le FCfa. Ils utilisent que le dalassi », nous confie un enseignant de la localité.
Et ce n’est pas tout. Le « made Gambia » va jusque dans les services de soins de santé, le secteur des télécommunications et les médias. Pour le dernier secteur nommé : l’absence des chaines de télévisions sénégalaises est notoire. Elles n’émettent pas dans ces zones. C’est la télévision gambienne qui apparait sur le petit écran. Quid de la téléphonie ? Gamtel et Africel occupent la place. Orange Sénégal est en mode roaming : pas de crédit, donc pas d’appels, pas de réponses. D’où la préférence qu’ont les habitants transfrontaliers de s’abonner au réseau des opérateurs gambiens de téléphonie mobile.
«I SPEAK ENGLISH» (JE PARLE L’ANGLAIS)
En plus des produits gambiens utilisés par les habitants transfrontaliers, s’y ajoute l’exode des enfants sénégalais dans les établissements scolaires gambiens plus attrayants, disent-ils. Au moment où le Sénégal propose des abris provisoires pour les enseignements-apprentissages, le pays de Yaya Jammeh donne l’opportunité à tous les potaches d’être dans de bonnes conditions. C’est la conséquence des abris provisoires qui donnent un visage hideux au système éducatif. Du coup, les parents préfèrent les écoles gambiennes. Ainsi, la majeure partie des enfants parlent couramment l’anglais. Pour preuve : « how do you feel ? (Comment tu te sens) demande un membre de la délégation à un enfant qui répond sans hésitation : « I feeling good. I speak english » (je me sens bien. Je parle anglais à l’école, Ndlr).
A Dimbaya (département de Bignona), le phénomène des consultations sanitaires prend de l’ampleur. Les femmes préfèrent aller en Gambie pour bénéficier des soins de services. Les établissements sanitaires, disent-elles, restent plus accueillants et les soins de santé moins chers.
Sur le plan des télécommunications, c’est Africel et Gamtel qui dictent leur loi. Tous les trois opérateurs sénégalais sont quasi inexistants. Les membres de la délégation étaient tous en mode roaming dans ces quartiers pourtant sénégalais.
L’hymne national chanté pour la première fois…
Voilà une visite de terrain du ministre de l’Education nationale emprunte de solennité. Les habitants de cette localité de la Casamance racontent que c’est pour la première fois que l’hymne national a été chanté ici à Dimbaya. Avant d’ajouter que jamais un ministre n’a posé les pieds dans ces localités. Pourtant ils n’ont jamais cessé de revendiquer leur « sénégalité », à l’image des enfants qui brandissent le drapeau Sénégal. « Je suis fier d’être sénégalais », pouvait-on lire sur l’une des pancartes portées par une jeune fille. Non sans rappeler au ministre leurs différentes doléances de la localité frontalière de la Gambie voisine.