Si l’option controversée de traduire en justice Karim Wade et Hissène Habré a renforcé le palmarès impressionnant de cet inusable défenseur des droits humains, l’homosexualité pourrait lui coûter une sortie de route ministérielle. Me Sidiki Kaba a manifestement du mal à se débarrasser de son costume d’activiste des droits de l’Homme. Un point sur lequel le successeur d’Aminata Touré file le parfait désamour avec l’opinion publique sénégalaise. Et compte ne pas céder.
Ce petit homme au teint clair, toujours en costume cravate, peut dire merci au caricaturiste Damien Glez, au chanteur Waly Seck et, dans une moindre mesure, au fugitif Boy Djinné. Grâce à eux, l’œil d’un cyclone médiatique qui se dirigeait sur lui a bifurqué dans d’autres directions. Et dans le même temps, il a dû vertement savonner ses deux fils qui ont failli le replonger dans la marmite de la presse, en commettant la bourde d’avoir été pris en flagrant délit de conduite sans permis et d’outrage à agents. Ce qui aurait été le comble pour un ministre de la justice. Mais plus de peur que de mal pour lui. L’étau se desserre après sa mise au point du texte législatif, l’article 319, sur l’homosexualité, la charge des associations anti-gays, d’une partie de l’intelligentsia, de l’avocat Me El hadji Diouf qui ont demandé que ce sexagénaire, natif de Tambacounda soit démis, ‘‘expulsé’’ même de ses fonctions ministérielles.
Pourtant le fond discursif de Sidiki Kaba sur l’homosexualité n’a jamais vraiment varié. 8 janvier 2009, voici ce qu’il déclarait sur le site internet de France 24 après l’interpellation puis la condamnation d’homosexuels de Mbao à huit ans : ‘‘Il faut savoir qu’au Sénégal, l’article 319 du Code pénal ne mentionne pas directement l’homosexualité mais parle plutôt d’actes contre nature. Autrement dit, d’actes entre deux personnes du même sexe et de zoophilie.
En réalité, c’est une qualification fourre-tout qui permet à la justice de condamner les homosexuels plus facilement’’, lançait-il alors qu’il était président honoraire de la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh). Sept ans et un portefeuille de ministre plus tard, Sidiki s’y reprend, presque de plus belle, et dans un contexte pratiquement similaire. ‘‘Aux yeux de la loi sénégalaise, il n’y a pas d’homosexuels. Nous avons une législation qui condamne ceux qui pratiquent des actes contre nature dans un lieu public, c’est-à-dire ce qui est attentatoire à la pudeur. C’est ce qu’il faut surtout retenir’’, s’est-il fendu lors de l’inauguration du quartier des détenus mineurs à Thiès, il y a moins d’un mois.
Cette fois-ci encore, la libération express pour manque de preuve, de onze personnes qui auraient organisé un mariage homosexuel à Kaolack, a servi de trame de fond à des scénarios de mécontentements généralisés appelant le départ de Me Kaba de la tête de la justice. Avis aux plaignants, ce ne sera pas une tarte à la pomme. Du moins si l’on en croit son chargé de communication, Soro Diop, qui avertit que le natif de Tamba en a vu des vertes et des pas mûres. ‘’Ce n’est pas un homme qui cède. D’ailleurs il est suffisamment caparaçonné pour avoir vécu d’autres situations. Il a été en Colombie et en Hongrie, alors que des menaces pesaient sur sa propre personne. Je ne pense pas qu’il cède, d’autant qu’il y a des positions et arguments non justifiés’’, défend-il.
Le feu aux poudres
Avec sa mise au point, cet ‘‘excellent manager’’ a comme qui dirait craqué une allumette, pour y voir clair, dans une chambre où il y avait une fuite de gaz. Ce n’est pas Me Diouf qui se sera privé d’une saillie dont lui seul a le secret : ‘‘L’acte contre nature est condamnable au Sénégal. La loi le dit. On n’a pas besoin de tapettes ici. Il (Sidiki Kaba) est en train de favoriser le « goorjiguénisme » (homosexualité) et le « yambarisme » (...) Et si le ministre de la justice et d’autres juristes qui soutiennent les homosexuels disent que cela n’est pas sanctionné au Sénégal, je leur dis que c’est faux’’, rétorquait l’avocat juste après la sortie de Me Kaba.
L’ancien enseignant à l’université Aké Loba d’Abidjan souffre comme qui dirait d’un dédoublement de personnalité professionnelle. Difficile, dans ses propos, de tracer la ligne de démarcation entre l’activiste des droits de l’Homme qu’il a été, et le garde des Sceaux ministre de la justice qu’il est. La palme de la charge la plus véhémente revient au professeur Malick Ndiaye connu pour ses sorties régulières, mais pas aussi vipérines : ‘‘Si Sidiki Kaba n’est pas expulsé du gouvernement, le Sénégal sombre dangereusement dans la promotion de l’homosexualité.
Alors la société va constater qu’elle n’est plus gouvernée. Face à cette situation, on doit prendre nos responsabilités’’, pronostiquait-il à la suite de Me Diouf. Pourtant ses anciens collègues assurent qu’il n’a pas le profil progressiste qu’on lui prête et qu’il ne sera pas le canal par lequel passera cette pratique dans le pays. ‘‘Je me rappelle qu’à sa nomination à la CPI, je l’ai appelé du Tchad vers 5 heures du matin mais il m’a répondu qu’il était sur sa natte de prière. C’est un musulman accompli. Il a un engagement un peu fan, mais je sais qu’il est attaché aux valeurs sociologiques et religieuses et il ne fera jamais la promotion de contre-valeurs qui seraient en porte-à-faux avec la religion musulmane’’, témoigne Me Assane Dioma Ndiaye au bout du fil.
Généreux dans l’effort
Plus haut fait d’armes de ce militant des droits de l’Homme, il a été le ‘‘premier non-Français et le premier Africain à diriger la Fidh qui était une chasse gardée de la France’’, poursuit son collègue. Parler de son palmarès international peut se révéler une immense gageure. Sidiki est un arc-en-ciel de nominations et d’honneurs. Les deux dernières récompenses internationales, parmi tant d’autres, rehaussent l’éclat de ce citoyen honoraire de la ville de Quito (Equateur, 2004), et montrent l’estime dont il jouit à l’étranger. Élu Président de l’Assemblée des Etats-parties du statut de Rome en décembre 2014, il est fait Commandeur de la légion d’honneur, plus haute distinction honorifique française, des mains du président François Hollande, moins d’un an plus tard, en novembre 2015.
L’ancien du lycée Lamine Gueye, 1972, a dédié sa vie aux droits de l’Homme. Activistes et opposants politiques connaissent bien le deuxième ex-président de la première structure droit-de-l’hommiste du Sénégal, l’Observatoire national des droits de l’homme (Ondh). Il a défendu Abdoulaye Wade et 200 militants du Pds durant les années de braise, Idrissa Seck, Alassane Ouattara, Alpha Condé, les journalistes Abdoulaye Bamba Diallo et Pape Samba Kane, ainsi que Halidou Ouédraogo, président du mouvement des droits humains dans le cas Norbert Zongo.
Une maîtrise en Droit des affaires de l’Ucad, trois licences (Droit, Philo, et Lettres modernes) à l’université d’Abidjan, et quatre publications dont ‘‘L'avenir des droits de l'Homme en Afrique à l'aube du XXIème siècle’’ montrent le background académique intéressant de cet bosseur taquin, mais qui cède à l’énervement quand le travail stagne. ‘‘Il a des accès de colère comme toute personne surtout quand un de ses collaborateurs traîne sur un dossier. D’ailleurs sa devise est qu’il ne faut jamais trouver une pile sur son bureau car c’est symptomatique de quelqu’un qui ne travaille pas.
A 7 heures du matin, il est déjà au bureau et n’en ressort que vers 22 ou 23 heures’’, estime Soro Diop. L’homme qui aime inviter ses partenaires à table tient peut-être cet altruisme d’un père qui sacrifiait deux bœufs les vendredis, pour les distribuer aux plus démunis et dans les mosquées. Le ministre a pris la relève. ‘‘C’est quelqu’un de généreux, qui s’engage à fond, qui aime travailler en groupe. Il n’a jamais été mû par ses intérêts particuliers. Il est sollicité un peu partout et il y répond. Un homme exceptionnel et parfois on a du mal en entendant certaines critiques crypto-personnelles’’, déclare son dircom qui désapprouve la levée de bouclier contre Me Kaba.
Rire philosophique
‘‘La critique n’est pas de s’attaquer à lui, mais de faire en sorte que notre législation puisse protéger davantage la société, étant entendu que la conception que nous en avons est que libertés individuelles doivent se verser dans la morale collective. Les Etats africains ont une charte qui les démarque de la conception 'européocentriste' des droits de l’Homme’’, propose Me Assane Dioma qui ne s’explique pas ces critiques contre cette valeur sûre pour la défense de la cause humaine.
Si l’on met de côté la coïncidence incommodante que c’est sous son ministère (de la justice), lui ancien avocat des victimes tchadiennes, que s’est tenu le procès de Hissein Habré au Sénégal, la sortie qui lui vaut d’être la cible d’associations sénégalaises et d’une partie de l’opinion qui pensent, à tort ou à raison, qu’il donne plus de gages aux partenaires droit-de-l’hommistes, dont l’action pour le droit des minorités sexuelles est connue, pourrait trouver une issue dans les propos de Me Ndiaye. Autre petit désaveu pour cet ‘‘homme particulièrement attaché à sa famille et à Tambacounda avec laquelle il n’a jamais rompu le cordon ombilical’’, la sortie de Mame Balla Lo. Le député-maire de Tamba s’est désolidarisé de son ministre en déclarant que ‘‘les propos de Sidiki n’engagent que lui’’. Une petite goutte dans la vaste mer de réprobations qu’il essuie, stoïque. Une situation à laquelle il n’a pas eu d’autre choix ‘‘que d’opposer un rire philosophique’’, Soro dixit.